SlideShare une entreprise Scribd logo
Le point de départ est vraiment diffé-
rent. Le rapport aux colonies en France a
longtemps été fondé sur la toute-puissance
de Paris, la formation des fonctionnaires
coloniaux se faisant à partir d’un moule
commun. Tandis que l’« Indirect rule » bri-
tannique, appuyé sur les élites locales, et le
Statut de Westminster de 1931 adoucissent
cette vision au Royaume-Uni. Malgré tout,
les Dominions britanniques doivent tou-
jours prêter allégeance à la Couronne et
toute modification de la Constitution des
Dominions est soumise à un vote préalable
à Westminster. De plus, la métropole n’hé-
site pas à réprimer durement l’opération
« Quit India » en 1942 lancé par le Parti du
Congrès. Il s’agit bien du Commonwealth
« britannique » des Nations.
Le divorce entre l’opinion et la réalité 
Au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, l’ « esprit de Brazzaville » prend
forme chez la plupart des dirigeants poli-
tiques français. Brazzaville, c’est cette
ville congolaise où, en 1944, le général De
Gaulle évoque pour la première fois, dans
un discours officiel, la notion d’émanci-
pation. Deux ans plus tard, l’Union Fran-
çaise est constitutionnellement née. «  La
France forme avec les peuples d’outre-mer
une union d’égalité de race et de religion »,
pouvait-on lire dans la Constitution de la
IVe
République. Cette même année, 63 %
des Français étaient disposés à ce que les
«  indigènes acquièrent les mêmes droits
que les métropolitains ». C’est ce que Jac-
ques Marseille, grand intellectuel français,
appelle «  le divorce entre l’opinion et la
réalité ». Une réalité traduite par la guerre
coloniale en Indochine.
Du côté britannique, l’ « esprit de Dun-
kerque  », ce sentiment de fraternisation
entre les classes sociales face à la Seconde
Guerre mondiale, règne encore. À l’in-
verse des Français qui ont découvert leur
empire dans les années 1930 à travers de
« Les brûlures de la décolonisation »
dans les anciennes métropoles françaises et britanniques
L’opposition entre les réactions françaises et britanniques vis-à-vis de la
décolonisation est fréquente. Les premières censées être fondées sur
l’irrationnel, la volonté de puissance et la violence ; les secondes sur la
raison et le pacifisme. La fureur des révoltes de Sétif et de Madagascar
d’un côté ; la décolonisation calme de l’Inde et du Pakistan de l’autre.
Pourtant, aussi bien la France que le Royaume-Uni font encore face à
« des brûlures de la décolonisation », comme l’avait titré il y a de ça trois
ans le mensuel L’Histoire. Retour sur les légendes et les traces qu’elles
ont laissées dans les mémoires.
P.2
La décolonisation
un tournant dans
l’organisation du monde ?
DOSSIER
AFRIQUE
P.15
dossier
AMÉRIQUES
P.18
dossier
ARCTIQUE
P.22
P.23
Dans le cadre de l’une de ses
grandes conférences, lundi 15
mars dernier, l’Institut québé-
cois des hautes études inter-
nationales (HEI), avec la par-
ticipation, entre autres, de la
SORIQ, présentait Anne Nivat.
Cette journaliste française, au
passage en sol québécois for-
tement médiatisé, était venue
nous témoigner du contexte
journalistique difficile sévissant
à notre époque en Occident, et
dans lequel elle a choisi de faire
cavalier seul pour mieux livrer
les enjeux se rapportant aux
grands conflits qu’elle couvre.
Tchétchénie, Irak, Afghanistan
comment couvrir ces
nouvelles croisades ?
Anne Nivat
www.revue-media.com
SONIA ARAUJO
candidate au master en politique internationale
sciences po bordeaux
sonia.araujo.1@ulaval.ca
constantinou.wordpress.com
LE JOURNAL DES HAUTES ÉTUDES INTERNATIONALES VOLUME 5 NUMÉRO 2 AVRIL 2010
2 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca
nombreuses expositions coloniales, les
Britanniques connaissent leur empire
depuis bien longtemps et sont prêts à leur
accorder des possibilités d’émancipation.
La réalité rattrapera rapidement les
métropoles, notamment la France. Les
idées internationalistes ont leurs effets
dans les colonies. Les peuples commen-
cent à s’émanciper de la tutelle des métro-
poles. Les illusions des deux côtés de la
Manche empêchent de se rendre compte
de l’irréversibilité du mouvement de déco-
lonisation qui s’est enclenché.
Scalpel et ressentiment
Pour ce qui est de la décolonisation, ce
terme n’a fait son apparition en France
qu’en 1957 dans le Larousse, alors qu’il
était déjà dans toutes les bouches. Signe
encore plus révélateur, ce n’est qu’en 1960
qu’une personnalité publique, en l’oc-
currence le général De Gaulle, utilise ce
terme dans un discours officiel. La défaite
de Dien Bien Phu de 1954 a eu au moins
l’effet de rétablir la réalité de l’ampleur
du mouvement. Les Français s’engagent
aussitôt dans un nouveau conflit dès le
1er
novembre 1954, suite à la « Toussaint
Rouge ».Lenationalismeestalorspuissant
en France, présenté comme la solution à
la guerre en Algérie, ou plutôt, aux « évé-
nements d’Algérie  », comme les médias
et hommes politiques les qualifiaient à
l’époque. La décolonisation s’avère une
question d’intérêt national et de défense
des territoires français.
Les Britanniques voient davantage
dans la décolonisation des enjeux com-
merciaux, autour de la préservation de
leur puissance maritime. La politique
coloniale des différents gouvernements
britanniques de l’époque apparaît beau-
coup plus souple, plus évolutive que celle
française. Elle n’en laisse pas moins des
traces et du ressentiment. Il faut souli-
gner que la divergence des opinions est
au cœur même de la machine politique.
Sous un gouvernement conservateur
comme celui de Churchill entre 1951 et
1955, les processus de décolonisation se
sont considérablement ralentis. Il reste
au sein de ce parti des résidus d’une poli-
tique impériale qu’il n’y a pas dans les
gouvernements travaillistes. C’est donc
le gouvernement Attlee qui décide que le
moment est venu de se retirer d’Inde. Il
procède alors à une décolonisation dans
l’urgence, laissant à des juristes londo-
niens comme Sir Cyril Radcliffe le soin
de procéder en 11 jours, du 21 au 31 juillet
1947, à la construction de frontières
entre l’Inde et le Pakistan. « Ce n’est pas
d’un scalpel de chirurgien dont je vais
avoir besoin pour disséquer le Penjab et
le Bengale, mais de la hache d’un bou-
cher !  » s’écriait-il. Un an plus tard, la
première guerre indo-pakistanaise avait
déjà éclaté. Les ombres s’avèrent donc
de plus en plus sombres derrière ce qui a
été la décolonisation « pacifiste » britan-
nique de 1947. Le cas du mandat britan-
nique sur la Palestine et de son retrait en
1947 de la province au profit de l’Orga-
nisation des Nations Unies illustre aussi
cette part d’ombre. Une simple donnée
reflète ce constat général  : l’essayiste
Stephen Smith dressant un bilan des
victimes de conflits entre 1960 et 1990,
a pu comparer les 40 000 morts estimés
dans l’ancienne Afrique française aux
deux millions dans les ex-colonies de la
Couronne britannique.
Des « brûlures »
toujours flamboyantes
Les rapports entre la France et le
Royaume-Uni, d’un côté, et la décoloni-
sation, de l’autre, ne s’arrêtent pas une
fois l’indépendance acquise. Les retom-
béeséconomiques,politiques,diplomati-
ques, administratives et même sportives
sont innombrables. De la promotion du
cricket à la formation d’une administra-
tion locale, de partenariats stratégiques
à des accords d’échanges, les rapports
avec les anciennes colonies ont ceci de
paradoxal qu’ils n’ont jamais cessés.
L’influence diplomatique et militaire de
l’ancienne métropole soulève certaine-
ment la question du néo-colonialisme.
Dans son discours de La Baule en 1990,
François Mitterrand déclarait même que
malgréladécolonisation« lecolonialisme
n’est pas mort ». Quelques preuves vien-
nent appuyer ses propos en Afrique  : le
maintien du franc CFA arrimé au franc
français puis à l’euro, un favoritisme
en matière d’Aide Publique au Dévelop-
pement (APD) et des bases militaires
françaises permanentes sur le conti-
nent. Du côté anglophone, à l’inverse,
les anciennes colonies vivaient, dans les
années 1970-1980, leur «  crise d’adoles-
cence  », qui débouche aujourd’hui sur
une plus grande autonomie, du moins
sur le plan économique. Cela fait bien
longtemps que les échanges sont moins
importants entre le Royaume-Uni et ses
ex-colonies africaines qu’entre la France
et les siennes.
La décolonisation est-elle alors der-
rière nous ? Les événements de janvier
et février 2009 en Guadeloupe, Départe-
ment d’Outre-Mer français depuis 1962,
laissent penser que le rapport français
aux anciennes colonies n’a pas encore
été normalisé. Autre point, cette « Fran-
çafrique  », si longtemps décriée par le
candidat à la présidence Nicolas Sarkozy,
a été une nouvelle fois l’objet de toutes
les attentions lorsqu’en 2008 le secré-
taire d’État à la coopération, Jean-Marie
Bockel, perd son poste à la demande
expresse du président gabonais Omar
Bongo. La mort des «  dinosaures  » tels
Houphouët-Boigny, Eyadema, et fina-
lement Bongo, associée à la baisse des
ressources consacrées à l’APD, semblent
signifier la fin incontestée d’une époque.
Mais comment interpréter la visite en
février dernier du président français au
tout récent président Ali Bongo ? D’un
côté, ils «  s’engagent à enterrer la Fran-
çafrique  » mais de l’autre, ils veulent
« refonder une relation privilégiée »…
Du côté britannique, il est impossible
de préjuger du destin de l’Afrique anglo-
phone, avec des pays tels le Kenya ou le
Nigéria. Les avenirs de ces pays s’avè-
rent incertains, aujourd’hui encore. De
la même façon, le conflit en Irlande est
influencé par la mémoire de la décolo-
nisation. Poser la question de la décolo-
nisation de l’Irlande ou encore de l’indé-
pendance de l’Écosse revient à remettre
en cause toute la britannicité (« British-
ness ») du Royaume-Uni. Gordon Brown
essaie d’ailleurs de remettre ce concept
au goût du jour ces dernières années pour
en prouver la légitimité renouvelée.
Gageons que dans 50 ans, ces tendances
aux changements pourraient créer de
nouvelles « brûlures ». Seront-elles encore
le fruit de la décolonisation post-seconde
guerre mondiale ? À nous d’attendre.
L’équipe de Regard critique, le journal des hautes études internationales, est fière
de vous présenter son nouveau numéro dont le thème est la décolonisation.
Dans un discours de 1863, Benjamin Disraeli, futur premier ministre britannique,
déclarait : « Les colonies ne cessent pas d’être des colonies parce qu’elles sont indé-
pendantes. » En cette année 2010, Chypre ainsi que 17 États africains vont fêter le cin-
quantenaire de leur décolonisation. Ce processus a provoqué des changements dans
les relations internationales, a permis l’émergence à grande échelle de l’aide au déve-
loppement, mais a aussi fait prendre conscience de certains déséquilibres menant à
la construction d’autres visions du monde. Pour certains, alors que la décolonisation
a eu lieu, l’indépendance ne semble pour autant pas totalement acquise. Le cinquan-
tenairedesindépendancesafricainesetchypriote nous donne l’occasion de tenter de
dresserunbilan,sommetoutepartiel,delapériodededécolonisationengénéral,qui
s’est étendue sur une large partie du XXe
siècle : de ses différents aspects et enjeux,
de ses causes, mais aussi de ses conséquences en différentes régions du monde.
Cette édition de Regard critique nous offre aussi de porter notre attention sur
d’autresenjeuxd’actualité,enAmériquelatineouencoreautourdel’Arctique.Comme
à l’habitude, Regard critique s’efforce de mettre en avant une variété de sujets et de
points de vue, dans des articles rédigés par des étudiants désireux de vous informer
sur les problématiques internationales.
Bonne lecture,
Hobivola A. RABEARIVELO
Rédacteur en chef
Rédacteur en chef  : Hobivola Andriantsitovianarivelo Rabearivelo
Responsable aux affaires administratives  : Gabriel Coulombe
Responsable aux communications et à la distribution  : Émilie Desmarais-Girard
Coordonnatrice des évènements et activités  : Marie-Aude Lemaire
Co-responsables de la publicité  : Darina Bruneau et Alexandre Morin
Concepteur graphique  : Philippe Fortin
Caricaturiste : Émilie Desmarais-Girard
Vous souhaitez collaborer à la parution du prochain numéro de Regard critique
en avril 2010, soumettez votre thème à Andriantsitovianarivelo-h.rabearivelo.1@uaval.ca
Pour toute question, commentaire ou si vous désirez annoncer dans
Regard critique, prière de contacter regardcritique@hei.ulaval.ca
L’ÉQUIPE DU REMDEI
Regroupement des étudiants à la maîtrise
et au doctorat en études internationales
PRÉSIDENTE  : Audrey Auclair
VICE-PRÉSIDENTE AUX AFFAIRES SOCIOCULTURELLES  : Julianne Thomas-Drolet
VICE-PRÉSIDENT AUX AFFAIRES ACADÉMIQUES  : Alex Perreault
VICE-PRÉSIDENT AUX AFFAIRES EXTERNES  : Sulaiman Al-Shaqsi
VICE-PRÉSIDENTE À L’ADMINISTRATION  : Jihane Lamouri
VICE-PRÉSIDENT AUX FINANCES  : Martin Dionne
REPRÉSENTANT AU DOCTORAT  : Coffi Dieudonné Assouvi
Notre mission consiste à défendre les intérêts de nos membres, à promouvoir la vie
étudiante au sein du programme, à assurer la reconnaissance du programme et de
ses diplômés, ainsi que de représenter nos membres auprès de toutes les personnes
et instances susceptibles de contribuer à l’atteinte de ces objectifs. N’hésitez pas à
nouscontacterpourtoutesquestionsconcernantnosprogrammesetlavieétudiante.
Éditorial
3Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca
Colonisation et impérialisme sont des
termes qui peuvent apparaître relati-
vement proches. Quelles différences
voyez-vous entre les deux ?
Souvent, dans les livres, quand on parle
du XIXe
siècle et du début du XXe
siècle, on
distingue la colonisation proprement dite :
les Britanniques en Inde, les Français et les
BritanniquesenAfrique,etc. ;etonemploie
impérialismecommeuntermeplusgénéral
quiinclutlacolonisationetlapolitiquefaite
par les pays impérialistes envers des pays
qu’on ne colonise pas mais qu’on place tout
de même dans une situation inférieure,
comme ce fut le cas de l’Empire ottoman et
de la Chine. Il y a toute une politique vis-
à-vis de ces pays que les historiens placent
sous le titre d’impérialisme sans que ce soit
de la colonisation.
On peut faire la distinction d’autres
façons. Dans la Grèce antique, une
colonie était formée d’une partie de la
population grecque qui allait s’installer
ailleurs en Méditerranée. La colonisa-
tion, c’était d’exporter de la population.
Jusqu’au XIXe
siècle, la colonisation est
employée seulement en ce sens. Ensuite,
Karl Marx, dans Le Capital, parle des
colonies et des semi-colonies. Les colo-
nies, ce sont les États-Unis et le Canada,
parce que ce sont les Européens qui sont
allés peupler ces régions. Les semi-colo-
nies, c’est l’Inde ; parce qu’il y a très peu
de Britanniques qui sont allés s’installer.
La colonisation devient la domination
d’une population par des gens qui sont
venus d’ailleurs, et non le simple trans-
fert d’une population sur un territoire. Il y
a donc eu les deux sens, mais historique-
ment, colonisation a d’abord voulu dire
le transfert de population sur un autre
territoire. Et typiquement, au XXe
siècle,
quand on parle de colonisation, on parle
du deuxième sens, et ce sont les semi-co-
lonies de Karl Marx qui sont devenues les
vraies situations coloniales.
Les différents empires coloniaux ne
se sont pas séparés de leurs colonies
de la même manière. Quel regard
portez-vous sur les raisons et le
processus des différentes vagues
de décolonisation ?
La décolonisation a été plus rapide et
a eu lieu d’abord dans les sociétés qui
étaient les plus développées parmi les
colonies, notamment l’Inde, les pays
musulmans, les pays qui avaient une
tradition d’organisation politique. Ces
pays se modernisaient eux-mêmes et dis-
posaient d’élites locales. Donc, certains
pays colonisés avaient les ressources
humaines et les ressources économiques
pour lutter pour leur indépendance en
premier ; et certains, dont le Congo belge,
le Tchad ou la République centrafricaine,
sont arrivés loin derrière. La décolonisa-
tion s’est passée plus ou moins bien, entre
autres, selon de telles variables.
Chez les colonisateurs, ceux qui s’y
sont pris le moins mal dans la décolo-
nisation, ce sont les Britanniques, parce
qu’ils ont eu une expérience de déco-
lonisation les premiers, avec les États-
Unis. Les Français n’ont pas eu d’expé-
rience préalable de la décolonisation et
il y a l’idée à Paris que la colonisation est
mauvaise sauf quand on est colonisé par
les Français. Il y a une espèce d’idéali-
sation de soi-même. En outre, les Fran-
çais ont une vision centralisée de l’État,
alors que les Britanniques acceptent
beaucoup plus les autorités locales et de
pouvoir ainsi déléguer. Les Britanniques
ont donc des interlocuteurs avec qui dis-
cuter des indépendances, et les Français
n’en ont pas. C’est la guerre d’Algérie qui
a rendu la France incapable de résister
par la force à l’indépendance des autres
colonies en Afrique. Elle avait essayé de
résister au Vietnam dans des conditions
où elle n’avait aucune chance d’y arriver ;
ensuite, elle s’est acharnée en Algérie, et
lorsque les revendications d’indépen-
dance sont arrivées en Afrique, il était
trop tard pour y résister, et le processus
s’est donc fait plus pacifiquement.
Le dernier cas intéressant historique-
ment est le cas des Portugais,
qui étaient la puissance colo-
niale la plus faible en Europe,
et qui se sont acharnés le plus
longtemps pour leurs posses-
sions coloniales. L’explication
est probablement que c’est la
puissance coloniale qui n’était
pas une démocratie, il n’y avait
donc pas de contradiction entre
les principes du régime poli-
tique et la situation coloniale.
Dans ce cas, la décolonisation
se fait vraiment lorsque la puis-
sance coloniale est épuisée,
avec la révolte des soldats en
1974, où l’armée portugaise ren-
verse la dictature et quitte les
colonies très rapidement.
Avec l’influence de nouvelles puissances
comme la Chine, l’Inde, ou la Corée du
Sud dans les anciennes colonies, beau-
coup ont peur d’une vague de néocolo-
nialisme. Le phénomène est-il récent et
la crainte est-elle justifiée ?
Il ne faut pas faire de paranoïa avec cela.
LeprogrèséconomiquedelaChineestune
bonne nouvelle pour tout le monde. La
Chineétaitunegrandepuissancejusqu’au
XVIIIe siècle et cesse de l’être au XIXe
  ;
c’était la première puissance économique,
et la pauvreté chinoise est la conséquence
d’une série de malheurs politiques. Cela
commence avec les guerres de l’opium
et se finit avec la révolution culturelle de
Mao Tse-Tung. La Chine est en train de
reprendre la place qu’elle avait avant dans
le monde. Il n’y a que des raisons de s’en
réjouir. Certes, il y a l’idée qu’on avait un
ennemi soviétique aujourd’hui disparu,
et qu’il faut absolument qu’on trouve une
autre menace pour le monde occidental,
et quel meilleur candidat que la Chine ?
Mais il y a quelque chose de malsain dans
cette idée.
D’autre part, il est possible que ce soit
une part de la solution du développement
économique de certains pays d’avoir un
nouveau type de partenaire avec lequel
la structure des échanges ne sera pas la
même qu’avec les anciennes puissances
coloniales ou les États-Unis. Le fait que les
Chinois soient moins riches que les Améri-
cains, que beaucoup d’entre eux aient un
mode de vie beaucoup plus modeste, peut
jouer en leur faveur.
Il y a un livre écrit par l’économiste
zambienne Dambisa Moyo, L’Aide fatale,
qui soutient que la Chine est la chance de
l’Afrique, parce que les Chinois ne pré-
tendent pas aider, mais investissent pour
retirer des avantages économiques, et que
c’est ça qui peut être un moteur de déve-
loppement pour les pays africains  ; alors
que les programmes d’aide sont une catas-
trophe parce qu’ils entretiennent au pou-
voirdesclassesdirigeantesparasitaires,des
gens qui construisent leur contrôle sur la
société en étant ceux qui servent d’intermé-
diaires pour cette aide extérieure. Donc, ils
ont intérêt à la préservation de la situation
et au maintien de la pauvreté de la popula-
tion pour pouvoir continuer à dire qu’on a
besoin de l’aide et parce que c’est beaucoup
moins fatiguant que d’essayer de déve-
lopper le pays. C’est la thèse de l’auteure,
mais il y a probablement une part de vérité
danscettethéorie.Selonelle,lespaysquine
sont pas d’anciennes puissances coloniales
et qui veulent développer juste des relations
économiques sont plutôt une opportunité
et il n’est pas sûr qu’elle n’ait pas raison.
J’ai une vision plutôt optimiste de cette
question. C’est une chance pour l’Afrique
d’avoir de nouveaux partenaires écono-
miques possibles grâce aux pays d’Asie. Je
ne vois pas pourquoi le développement de
l’Asie ferait du tort à l’Afrique.
Finalement, dans quelle mesure les
décolonisations ont changé les relations
internationales ? Le phénomène est-il
une réalité ou tient-il plus de l’illusion ?
Malheureusement, c’est peut-être une
illusion pour une partie de l’Afrique. Ce
n’est pas vrai pour l’Inde, le Vietnam ou
l’Indonésie, ni pour le Maroc, l’Algérie ou
la Tunisie. La décolonisation est réelle dans
beaucoup de pays.
Évidemment, la décolonisation a changé
pour beaucoup les données mondiales,
même si au départ ça n’a pas créé de nou-
velle puissance  ; l’idée que les «  non-ali-
gnés » seraient un troisième bloc face aux
Américains et aux Soviétiques n’était pas
fondée. C’était beaucoup trop divers, il n’y
avait ni unité ni puissance.
Maintenant, est-ce que l’Inde est en train
de devenir une puissance ? Peut-être, du
moins, d’un point de vue économique. Va-
t-on avoir, avec quelques pays d’Afrique, le
même genre de surprise économique que
celle que l’on a eu dans les années 1970 avec
la Corée du Sud et Taiwan ? Les séquelles de
la colonisation ont-elles une importance
pour expliquer les trajectoires de dévelop-
pement ? Est-ce une différence d’attitude à
l’égard des colonisateurs ou bien est-ce une
différence de capacité ? Il est aussi possible
que l’insistance sur les séquelles du passé
colonial fasse du tort aux pays qui ont été
colonisés, mais d’une certaine façon, le
mondeactuelpermetd’êtreassezoptimiste
pour presque tout le monde.
Regards d’experts, notre nouvelle rubrique dans laquelle un membre du
corps professoral de l’Université Laval partage son point de vue quant à
la thématique en vedette pour chaque numéro, vous propose de profiter
de l’entrevue que Jean-Pierre Derriennic, professeur au département de
science politique, a accordée à notre équipe.
Propos recueillis par Hobivola A. RABEARIVELO, Rédacteur en chef.
Regards d’experts
Jean-Pierre DERRIENNIC
professeur au département de science politique
université laval
jean-pierre.derriennic@pol.ulaval.ca
4 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca
La mise en place de Bandung
En 1955, l’impérialisme était un sou-
venir récent en Asie. L’Inde avait accédé
à l’indépendance en 1947, l’Indonésie en
1949, et les Français venaient tout juste
d’être expulsés d’Indochine. Entre les
pays nouvellement émancipés, des méca-
nismes de concertation se mettaient en
place, des rencontres, des alliances. Aux
Nations unies, les nations émergentes
faisaient bloc pour protester contre l’oc-
cupation française de l’Afrique du Nord.
Il s’agissait, pour celles-ci, d’explorer les
possibilités de coopération et d’affirmer
le principe de la souveraineté nationale
contre toute ingérence des Européens.
C’est en 1954, à Colombo, que le Premier
ministre indonésien, Ali Sastroamidjojo,
a proposé le principe d’une grande confé-
rence internationale réunissant les diri-
geants des pays émergents, asiatiques et
africains. L’organisation de l’évènement,
dont on fixa la date à l’année suivante, a
été confiée à l’Indonésie.
Naturellement, il existait d’impor-
tantes disparités démographiques et
économiques entre les pays partici-
pants. À côté de pays densément peuplés
comme la Chine et l’Inde, le Libéria et le
Népal ne semblaient pas peser lourd.
Certains pays, tels Chypre et la Côte
d’Or (aujourd’hui le Ghana), n’avaient
pas encore obtenu leur indépendance.
Les participants étaient aussi divisés
par des considérations d’ordre idéo-
logique. Alors que des pays comme la
Thaïlande et les Philippines étaient fer-
mement alignés sur le bloc occidental,
d’autres refusaient de se compromettre;
le bloc communiste, avec la Chine et le
Vietnam, était lui aussi représenté.
Le Japon, désireux de rétablir son
influence sur le continent asiatique,
a été le seul pays industrialisé admis
à Bandung; l’Union soviétique et les
États-Unis étaient tous deux exclus.
Aussitôt annoncée, l’initiative suscita
la désapprobation de l’Ouest. Tandis
que les Américains craignaient de voir
la conférence contribuer au progrès du
socialisme dans la région, les Britanni-
ques s’inquiétaient de possibles consé-
quences sur la stabilité de leurs colonies
africaines. C’est ainsi que Londres s’est
appliquée à décourager les États afri-
cains de participer aux discussions.
Objectifs et réalisations
de la conférence
La conférence s’est déroulée du 18 au
24 avril 1955. Elle s’est ouverte sur un dis-
cours du Président indonésien Soekarno,
qui invitait tous les pays à se mobiliser
pour la paix. Ceux qui s’étaient rassem-
blés pour l’entendre figuraient parmi
les principaux défenseurs de l’anticolo-
nialisme : on y pouvait distinguer Jawa-
harlal Nehru, Premier ministre de l’Inde,
Gamal Nasser, Président d’Égypte, et
Chou En-Lai, Premier ministre chinois.
Les rapports n’étaient pas tous cor-
diaux entre les pays représentés à
Bandung : l’Inde et le Pakistan, notam-
ment, continuaient de s’affronter sur la
question du Cachemire. Pour autant, ces
pays réalisaient qu’ils possédaient des
intérêts communs. Leur préoccupation
la plus immédiate était de combattre
l’influence européenne. Fraîchement
émancipés, ils souhaitaient officialiser
leur libération par un geste d’éclat et
mettre leur souveraineté nationale à
l’abri d’un retour du colonisateur. Dans
le communiqué final de la conférence,
on insistait surtout sur la nécessité de
lutter contre le racisme et la discrimina-
tion à l’endroit des peuples de couleur.
Les participants ont aussi exprimé leur
soutien à la lutte et à la libération de tous
les peuples demeurés sous domination
étrangère, en particulier les Algériens et
les Palestiniens.
Les nations émergentes étaient éga-
lement réunies par un attachement
commun au maintien de la paix. Redou-
tant les conséquences dramatiques d’un
conflit global, leurs dirigeants souhai-
taient empêcher l’accumulation d’armes
nucléaires par les deux grandes puis-
sances, les États-Unis et l’Union sovié-
tique. Reprenant les propositions de
Nehru, les membres de la conférence se
sont ralliés au principe du neutralisme,
en vertu duquel ils promettaient de ne pas
contracter d’engagement militaire et stra-
tégique avec les Américains ou les Russes.
Tout conflit international, affirmaient-ils,
devait trouver une solution pacifique. À
l’issue de la conférence, des lettres appe-
lant à la paix ont été délivrées personnel-
lement à Washington et à Moscou.
Par ailleurs, les pays représentés à
Bandung étaient animés d’une même
indignation face aux
règles du système inter-
national qui accordaient
une place dérisoire aux
aspirations des peuples
asiatiques et africains.
En conséquence, ils ont
demandé une recons-
truction complète du
système mondial fondée
sur la reconnaissance des
droits des nations émer-
gentes. Un de leurs griefs
concernait les Nations
unies. À Bandung, ils ont
exigé qu’on leur accorde
une place accrue au sein
du Conseil de sécurité et
que la République populaire de Chine
soit finalement reconnue en tant que
membre de l’organisation.
Enfin, la conférence comportait un
important volet économique. Après
avoir discuté longuement des moyens de
relancer le développement économique
de leur région, les leaders asiatiques et
africains se sont entendus sur un cer-
tain nombre de résolutions. Relevant
un besoin commun de savoir technique,
ils ont ainsi accepté de procéder à des
échanges d’expertise et d’encourager le
partage de biens, de talents et de services
chaque fois que cela serait possible. Ils
ont également suggéré la mise en place
d’un fond piloté par les Nations unies, et
donc financé en majeure partie par les
nations occidentales, pour aider au relè-
vement de l’économie asiatique. Enfin,
les participants ont manifesté le désir
d’instaurer des politiques économiques
communes, par exemple au niveau de
la vente de pétrole. Appliquée quelques
vingt années plus tard, cette initiative a
cependant eu des effets désastreux sur
l’économie de plusieurs pays en voie de
développement.
Les répercussions de Bandung
La plupart de ces résolutions n’ont pas
été suivies d’effet. Les nations représen-
tées à Bandung étaient trop différentes,
leursintérêtstropdivergents,pourqu’une
coopération économique réelle s’installe
entre la plupart d’entre elles. L’appel à la
paix n’a pas non plus empêché un conflit
militaire de se déclarer entre les deux
principaux pays présents à Bandung,
l’Inde et la Chine, en 1962.
Cela ne suffit pas à affirmer que l’im-
pact de la conférence a été nul, comme
certains l’ont fait un peu légèrement. La
conférence a eu une immense portée
symbolique  : pour la première fois, les
pays asiatiques et africains se sont ren-
contrés sans la présence d’une puissance
occidentale. C’est à cette date que le
Sud est apparu comme une entité géo-
graphique distincte et potentiellement
opposée au Nord. C’est aussi à ce moment
que l’inégalité économique et politique
entre les pays riches et les pays pauvres,
de plus en plus décriée, a pris la forme de
revendications concrètes. Les récrimina-
tions formulées à Bandung ont été sans
cesse reprises par les nations émergentes
au cours des décennies suivantes.
La conférence a eu une autre consé-
quence majeure. Après 1955, le refus de
prendre parti en faveur des États-Unis
ou de l’Union soviétique s’est étendu à
un grand nombre de pays jusqu’à consti-
tuer un mouvement caractéristique des
pays non-alignés. Ce regroupement de
nations, fondé sur la dénonciation du
racisme et de l’impérialisme, a été assez
considérable pour peser sur la politique
internationale et influencer le cours de
la Guerre froide. Ce mouvement existe
encore de nos jours, il compte 118 États et
près de 55 % de la population mondiale.
Finalement, on ne saurait négliger les
effets psychologiques de la conférence.
À cette occasion, les pays émergents ont
revendiqué une supériorité morale. Ils
ont, en effet, affirmé la légitimité de leur
combat pour l’émancipation face à un
Occident matérialiste et supposément
enrichi par l’exploitation. Cette décla-
ration a été largement diffusée. Elle a
fourni l’impulsion décisive qui allait
conduire, quelques années plus tard, à
la libération définitive de la plus grande
partie du continent africain. Cet apport
à la décolonisation est sans doute l’héri-
tage le plus significatif et le plus durable
de la conférence de Bandung.
L’année 1955 a marqué un tournant dans l’histoire de la décolonisation.
Réunis à Bandung, en Indonésie, dans un geste exceptionnel de soli-
darité, les représentants de 29 nations asiatiques et africaines se sont
mis d’accord sur une série de résolutions politiques, économiques et
sociales. À cette époque, leur appel à la paix et à une redistribution
de la puissance mondiale a rencontré un écho puissant dans l’opinion
internationale. Il a conféré une nouvelle légitimité au combat pour la
décolonisation et précipité la chute des dernières colonies européennes
en Afrique. Retour sur un évènement capital du XXe
siècle.
Bandung, moment décisif de la décolonisation
PIERRE-LUC PELLAND-MARCOTTE
candidat à la maîtrise en science politique
université laval
plpm62@hotmail.com
Du 18 au 24 avril 1955, la conférence de Bandung
a réuni les représentants de 29 pays d’Afrique et d’Asie.
alegarshg.blogspot.com
Jawaharlal Nehru, premier ministre
de l’Inde. Il a fait accepter le principe
du neutralisme.
www.schema-root.org
5Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca
La monnaie est classiquement envi-
sagée comme un attribut de la puissance
publique, un instrument de propagande
au service de cette dernière et naturel-
lement une source de fierté nationale.
Les juristes citent fréquemment la Cour
Internationale de Justice de La Haye.
En 1929, elle a donné, à l’occasion de
l’affaire dite «  des Emprunts serbes et
brésiliens », une formulation de la sou-
veraineté monétaire de l’État (enracinée
depuis dans le Droit International)  :
« C’est un principe généralement admis
que tout État a le droit de déterminer
lui-même ses monnaies.  » Pourtant,
dans le cas de l’Afrique, et particulière-
ment des pays d’Afrique sub-saharienne
francophone, la devise en circulation,
le franc CFA, est restée, 40 ans après les
indépendances, indexée à une monnaie
étrangère, l’étalon français, et garantie
sur les marchés financiers internatio-
naux par le Trésor Français jusqu’en
1999, date à laquelle elle est arrimée
à la nouvelle monnaie européenne,
l’Euro. Ce paternalisme offensant dure
jusqu’aujourd’hui. La souveraineté
monétaire, un énième domaine où l’in-
dépendance n’a pas eu lieu !
Le franc CFA
et les indépendances politiques
Le Franc CFA est la dénomination de la
monnaie commune de 14 pays africains
membres de la Zone Franc; en Afrique
de l’Ouest, le Bénin, le Burkina Faso, la
Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali,
le Niger, le Sénégal et le Togo, qui consti-
tuent l’Union Economique et Monétaire
Ouest Africaine (UEMOA), dont l’institu-
tion d’émission est la Banque Centrale des
Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). En
Afrique Centrale  : le Cameroun, la Cen-
trafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée
Equatoriale et le Tchad, qui constituent la
Communauté Économique et Monétaire
de l’Afrique Centrale (CEMAC), dont l’ins-
titution d’émission est la Banque des Etats
de l’Afrique Centrale (BEAC).
Le franc CFA «  naît  » le 26 décembre
1945, jour où la France ratifie les Accords
de Bretton Woods et procède à sa première
déclaration de parité au Fonds Monétaire
International (FMI). Il signifie alors « franc
des Colonies Françaises d’Afrique  ». En
1958, il devient « franc de la Communauté
Française d’Afrique ». A partir du 1er
janvier
1960, la plupart des pays d’Afrique sous
domination française
accèdent, bon gré mal
gré, à l’indépendance
politique et la souverai-
neté internationale.
A la création du franc
CFA (FCFA), en 1945,
sa parité est de 1 FCFA
pour 1,70 francs Fran-
çais (FF). Le 17 octobre
1948,  une première
dévaluation du franc
français affecte la « monnaie francophone
sub-saharienne »;leFCFAestalorsréajusté
à 2,00 FF. Dix ans plus tard, le 27 décembre
1958 quand prend effet en France l’instau-
ration du nouveau franc français, le taux
de change passe à 1 FCFA pour 0,02 FF.
Les années 1990 :
Crise économique et dévaluation
On se serait raisonnablement attendu
à ce que, 30 ans après les indépendances,
que les questions d’autonomie écono-
mique, pourtant au cœur des débats sur le
développement,touchentàlaparitéFCFA/
FF. Mais il n’en est rien, pour ce qui est de
la monnaie, qui reste aujourd’hui, alors
même qu’en France le mot franc est depuis
l’avènement de l’euro tombé en désuétude,
l’appellation franc CFA signifie «franc de la
Communauté Financière Africaine» pour
les pays membres de l’UEMOA, et «franc
de la Coopération Financière en Afrique
Centrale» pour les pays membres de la
CEMAC. La Françafrique vit en fait parmi
ses plus belles années de gloire, comme l’a
expliqué avec brio François-Xavier Vers-
chave, La Françafrique : Le plus long scan-
dale de la République.
Le 2 août 1993 entre en vigueur la
mesure de suspension de rachat des billets
de banque CFA par le Trésor Français.
Auparavant, et ce jusqu’au 1er
août 1993,
la convertibilité des billets était libre et
illimitée. Une mesure similaire de sus-
pension de rachat des billets CFA entre la
zone UMOA et la zone CEMAC est prise à
compter de septembre 1993. Le 12 janvier
1994, c’est la dévaluation du FCFA (1 FCFA
= 0,01 FF) – techniquement la première du
genre, bien que, pour les pays concernés,
chaque décision unilatérale prise par la
France à l’encontre de leur monnaie s’est
effectivement traduite par une déprécia-
tion de celle-ci, et partant, du sentiment
de fierté nationale, ou plus exactement
la cruelle absence de ce dernier, censé
accompagner l’usage de sa propre mon-
naie. A l’arrimage du FCFA à l’euro, le 1er
janvier 1999, 1 euro vaut 655,957 FCFA.
Le projet panafricaniste :
la monnaie, un casse-tête à venir
Beaucoup d’Africains placent leurs
espoirs de réhabilitation de leur souverai-
netémonétairesurl’avènementdes« États
Unis d’Afrique », un projet caressé par les
« pères fondateurs » de l’Organisation de
l’UnitéAfricaine(OUA)aujourd’huiUnion
Africaine (UA), et régulièrement entre-
tenu par certains intellectuels africains
et la diaspora. La vérité est que, comme
à la création de l’OUA, le 25 mai 1963, où
les divisions entre les groupes « progres-
sistes  » dits «  de Casablanca  » (conduit
par le Ghanéen Kwame Nkrumah, mili-
tant pour la création immédiate d’un État
fédéral africain doté d’un gouvernement,
d’une monnaie et d’une armée) et «  de
Monrovia » (dit « des modérés » dirigé par
le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et
l’ivoirien Félix Houphouët-Boigny, résis-
tant à l’idée d’une fédération politique,
estimait que l’unité devrait être réalisée
progressivement, notamment à travers
la coopération économique) ont produit
le résultat que l’on sait, les africains res-
tent fondamentalement opposés sur la
démarche a suivre, ce qui a fait dire au
Professeur Jean Mfoulou, que l’ambiva-
lence du projet résidait essentiellement
dans le fait que, tout au long de son évo-
lution, il oscille entre «  triomphe des
nationalités  » et «  triomphe de l’unité  ».
Aujourd’hui, les acteurs ont certes changé
(du moins en partie) ; le Libyen Kadhafi
a repris la houlette des « progressistes »,
alors que les « modérés », bien que sans
leader déclaré, poursuivent fidèlement
l’idée de leurs prédécesseurs dans le
débat, étrangement encouragés, pour
ainsi dire, par les résultats désastreux de
50 ans de sous-développement.
En tout état de cause, la question d’une
monnaie africaine, jugée trop sensible,
n’a jamais été abordée, ni par la Com-
mission de l’UA, ni par la Conférence
des Chefs d’États, du moins pas encore.
Mais point n’est besoin d’être devin pour
postuler que ce « casse-tête » ne sera pas
résolu de si tôt. Si les africains de la Zone
Franc comptent sur l’Union Africaine
pour leur rendre, ne serait-ce qu’en partie,
leur fierté perdue, au moyen d’une mon-
naie africaine commune et forte, et si les
débats aux sommets annuels de l’organi-
sation panafricaine sont une quelconque
indication des « tendances lourdes » sur
la façon d’aborder les questions impor-
tantes, l’avenir, malheureusement, ne
présage rien de bon. Mais comme disait
Hegel, « Rien de grand ne s’accomplit sans
passion » : « The dream must go on  ! ! ! »
Le cinquantenaire de la plupart des indépendances africaines se célèbre
cette année. Un vestige du passé colonial de l’Afrique est le franc CFA,
la monnaie des pays d’Afrique francophone.
Un billet de 10.000 Francs CFA
regardscroises.ivoire-blog.com
Thierry onga
candidat au doctorat en études internationales
université laval
thierryonga@aim.com
Souveraineté monétaire de l’Afrique
Le cas CFA : la décolonisation
qui n’a pas eu lieu
Carte de la zone Franc CFA
www.izf.net
6 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca
L’indépendance pour ce qu’on avait
laissé croire, devrait refléter de nouveaux
États ou l’autodétermination constituait le
principe fondamental de la souveraineté
affirmée danslaChartedesNations-unies,
signée en 1945, qui inclut, parmi « les buts
des Nations-Unies », celui de « développer
entre les nations des relations amicales
fondées sur le respect du principe de l’éga-
lité de droits des peuples et de leur droit à
disposer d’eux-mêmes » (article 1, alinéa
2). Ainsi, dans l’esprit de plusieurs Afri-
cains qui scandaient le   «  Vive les indé-
pendances »  à cette époque de l’Afrique
nouvellement libérée du joug de la coloni-
sation, c’était une expression de la fierté
nationale, un moment fort pour exprimer
son appartenance à un peuple, tous fiers
d’avoir une nationalité propre faisant le
lien avec son territoire et non avec l’ancien
colonisateur.
L’année 2010, qui marque ces 50
années, représente à n’en point douter un
moment bien choisi pour jeter un regard
sur ce à quoi ont bien pu servir ces indé-
pendances africaines.
Plusieurs africains n’ont cessé de
fustiger, de faire des critiques acerbes
contre ces séries d’indépendances de
1960. M. Abozan, un interlocuteur afri-
cain, souligne que «  les pays africains
n’ont eu en réalité qu’une indépendance
politique. Les blancs ont créé des sys-
tèmes pour nous contrôler  ». Un autre,
M.  Gnandja Patrice, renchérit en ces
termes : « on a eu l’impression que 1960
consacrait l’indépendance de l’Afrique.
Mais je pense que l’indépendance est
venue comme si nous n’étions pas pré-
parés. Les devanciers n’ont pas tenu
compte des aspirations, de la culture
du peuple africain. Nous avons copié ce
qui venait de la France. Alors qu’il fallait
inculquer aux Africains le goût de l’ef-
fort et intégrer les richesses de l’Afrique
dans notre développement ».
Voici 50 années passées et l’impression
que les indépendances n’ont été qu’une
utopie, un leurre, est bien évidente.
L’Afrique semble avoir hérité non
d’une liberté, mais d’une somme de
nouvelles situations qui, de nos jours,
constituent une entrave majeure à son
développement politique, économique
et social. « Le soleil des indépendances »,
pour emprunter les termes d’Ahmadou
Kourouma, qui pour tous, devait briller
sur les nouveaux États et dans la vie
des populations en particulier, semble
mettre du temps à se lever.
Qu’est-ce qui expliquerait cette
léthargie de ces pays africains
pourtant indépendants depuis
un demi-siècle ?
L’avènement du multipartisme dans
plusieurs États est un constat fort patent
etcelaestuneavancéeconsidérabledans
le processus démocratique. Cependant,
le constat est que ce multipartisme, tel
que présenté dans certains de ces pays
africains, n’est pas un multipartisme
enraciné dans la démocratie. En effet,
on retrouve des partis politiques à fond
ethnique ou souvent basé sur la prove-
nance d’une même région. Cela vient
donc fausser le jeu démocratique. L’une
des conséquences de cette situation
demeurera la fragilité des institutions
étatiques incapables d’assurer l’autorité
suprême. La suite logique de cette situa-
tion expliquerait les multiples instabi-
lités politiques. L’Afrique des Grands
Lacs paie les lourdes conséquences de
ses nombreuses guerres civiles. Même
son de cloche pour les pays de l’Afrique
de l’Ouest, le cas en Côte d’Ivoire en est
une belle illustration. À cela s’ajoute une
autre conséquence, et non des moindres,
que constitue la mauvaise balkanisation
de l’Afrique, cause de nombreux conflits
frontaliers pour ne citer que ceux entre
le Tchad et la Lybie, l’Éthiopie et la
Somalie, et le Nigeria et le Cameroun.
Des conflits qui, par moment, ressurgis-
sent encore aujourd’hui.
On pourrait aussi analyser la situation
de la dette extérieure comme un autre
obstacle majeur qui ralentit le dévelop-
pement depuis ces 50 dernières années.
En effet, plusieurs des États nouvelle-
ment indépendants, ont reçus des prêts
des États-Unis et de l’Union Soviétique
pour assurer l’éducation de la popula-
tion et amorcer un réel processus de
modernisation. Ces prêts très élevés,
accompagnés parfois de multiples
avantages, étaient censés accroître le
développement, favoriser les investisse-
ments et donc amorcer une croissance.
Des prêts censés nourrir, éduquer et
moderniser, mais il n’en est rien. Cette
dette extérieure a atteint des niveaux
insoutenables au point que le rembour-
sement est devenu pour tous ces pays de
l’Afrique subsaharienne presque impos-
sible. L’économie africaine a désormais
du mal à se détacher de ce processus
d’endettement dans lequel elle se trouve
enlisée. Cela justifierait à coup sûr la
dépendance au plan international de
plusieurs États du Sud vis-à-vis de leurs
bailleurs de fonds du Nord, qui semblent
maintenir cette épée de Damoclès tou-
jours prête à s’abattre sur la tête de l’État
qui se détacherait du rang. En effet, 90 %
du tissu économique des pays africains
est aujourd’hui contrôlé par des entre-
prises étrangères. À quand l’indépen-
dance économique pour l’Afrique ?
En sus de ce que représente la dette
extérieure sur l’économie, on ne peut
passer sous silence la gestion chaotique
des ressources financières au sommet
de plusieurs de ces États. En effet, les
énormes capitaux empruntés à l’Oc-
cident ont non seulement augmenté
la dette, mais aussi, et surtout, ont été
dilapidés. Aucune gestion parcimo-
nieuse de ces fonds n’a été faite. Les
problèmes sociaux comme l’éducation,
la santé et la stabilité politique ont été
ignorés et perdurent. Il y a eu certes des
écoles, des universités et des hôpitaux
construits depuis lors, mais la qualité
et le nombre par rapport à l’évolution
démographique ne sont pas au rendez-
vous. Les États sont restés sur les infras-
tructures acquises des missionnaires
en matière de santé et d’éducation. La
gabegie totale au sommet des États et
dans la gestion des biens publics, ainsi
que la corruption qui prend une propor-
tion très inquiétante, gangrènent l’éco-
nomie africaine.
En définitive, que peut-on retenir de
ces indépendances que tous applaudis-
saient en 1960 ? En dehors du Sénégal,
du Bénin ou même du Mali qui pour-
raient plus ou moins être vus comme
des modèles, seulement au niveau de
l’alternance politique, la majeure partie
de ces États sombre toujours dans des
situations politiques, économiques et
sociales désastreuses. Il est clair qu’on
ne saurait ignorer les efforts fournis.
Mais que représenteraient ces acquis
devant les énormes besoins actuels ?
Beaucoup reste à faire et l’Afrique ne
doit pas manquer sa place au rendez-
vous de la mondialisation.
Quel sens ou orientation donner
aujourd’hui à toutes ces célébrations
du cinquantenaire des indépendances
africaines ? Revivre les moments fes-
tifs et nostalgiques de la période « Vive
les indépendances  » de 1960 ou témoi-
gner devant le monde entier le désir des
nouveaux dirigeants africains de s’ap-
proprier le statut d’États véritablement
indépendants et souverains soucieux
du développement et du devenir de leur
population et de l’Afrique en général.
Il y a un demi-siècle de cela plusieurs pays africains, avec à leur tête
des leaders nationalistes pour ne citer que : Jomo Kenyatta (Kenya),
Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Félix Houphouet Boigny (Côte
d’Ivoire), Kwame Nkrumah (Côte-de-L’or, Ghana actuel), Ruben Um
Nyobe (Cameroun) et Patrice Émery Lumumba (RDC), menaient la
lutte pour les indépendances. Ainsi à partir de 1960, l’horizon semble
s’ouvrir pour plusieurs anciennes colonies désormais devenues des
États indépendants. Le Cameroun donne le ton dès le 1er
janvier 1960
et 16 autres pays vont suivre. Aujourd’hui, 50 années après, que pou-
vons-nous retenir de ces indépendances africaines et comment les
Africains perçoivent ce nouveau statut ? La situation actuelle des
États africains reflète-elle celle de pays indépendants ?
Jean-Marc Fiende
candidat à la maîtrise en études internationales
université laval
jean-marc.fiende.1@ulaval.ca
Les indépendances africaines :
50 années après…
Les soleils des indépendances,
de Ahmadou Kourouma, aux éditions Points.
Kwame Nkrumah, premier dirigeant
du Ghana indépendant
(1957-1966)
www.fnac.com
www.ghana-pedia.org
7Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca
L’accélération du processus de la mon-
dialisation modifie en profondeur les
rapports de force et les registres de puis-
sance. L’ancienne lecture interétatique et
géopolitique du monde échoue à expliquer
les recompositions en cours car les trans-
formations de la guerre ou les nouveaux
conflits ne peuvent être comprises sans
intégrer la combinaison particulière des
facteurs économiques, sociaux, socié-
taux et politiques. États défaillants, chaos
social, combat sans issue du faible contre
le fort, des États contre des réseaux ou
groupes armés non étatiques, le monde
est devenu plus incertain, plus dangereux,
plus instable qu’il ne l’était.
En effet, la conception classique de la
guerre présente celle-ci comme le jeu
normal entre États souverains ne résiste
plus à l’avènement de nouvelles formes
de conflits dont les acteurs ne sont plus
nécessairement des entités souveraines,
mais plus des belligérants transétatiques,
des groupes armés non étatiques contre
les forces gouvernementales. Certes, les
conflits interétatiques n’ont pas disparu
mais ils ne constituent plus la forme domi-
nantedecedébutduXXIe
siècle.Lesconflits
infra-étatiques sous forme de guerres
civiles, d’insurrections, ou de révolutions
violentes ont des allures internationales :
les conflits locaux à impact international
s’imbriquent de façon complexe dans les
relations internationales.
La persistance des conflits armés
en Afrique
L’Afrique n’échappe pas à ces nouveaux
conflits, mais elle présente la particularité
qu’au lendemain des indépendances des
États africains, la plupart ont connu les
affres des guerres civiles, ou des mouve-
ments de groupes armés qui ont conduit à
des coups d’État. Mais derrière ces conflits
relatifsàlaconquêtedupouvoirsedressent
des motivations tout à fait inavouables : la
captation des richesses et des ressources
du sous-sol (diamant, pétrole, uranium).
Dans ces guerres de prédation, où s’ins-
tallent et se reproduisent des économies
et sociétés de guerre, les États voisins peu-
vent trouver quelque intérêt.
Les nouveaux conflits internationaux,
internes aux États mais aux ramifica-
tions régionales et internationales, frap-
pent d’abord les populations civiles.
L’instrumentalisation des différences
ethniques, religieuses, économiques et
sociales par les seigneurs de la guerre et
entrepreneurs de conflits brouille la per-
ception des causes et la distinction entre
civils et militaires. L’impact interna-
tional de ces conflits opposant rebelles
et gouvernements se mesure à l’aune de
l’implication des puissances étrangères
(enjeux des matières premières), de l’ins-
tabilité et de l’insécurité internationales
mais aussi des désastres humanitaires
qui obligent la communauté internatio-
nale à intervenir pour le sauvetage des
populations civiles et à s’impliquer dans
la résolution de ces guerres qui s’enlisent
de plus en plus.
En effet, les populations prises en
otage, sont soit enrôlées de force, soit
objet de privations alimentaires et de
soins de santé, de massacres, d’épura-
tions ethniques, voire de génocides ou de
mutilations. Les combats, outre les restes
d’armes de la guerre froide et celles issues
de trafics mondiaux rendent inopérant
tout embargo sur les armes.
Si l’Afrique est grandement touchée par
les conflits et l’instabilité politique, force
est de reconnaître que la conflictualité
s’est cristallisée dans certains pays. En
2010, le spectre des conflits continue de
hanter, la Côte d’Ivoire, la République
centrafricaine, la République Démocra-
tique du Congo, le Togo, la Somalie et
le Tchad. La région la plus conflictuelle
demeure la corne de l’Afrique. Risques
d’attentats, piraterie, terrorisme, crises,
conflits et tensions affectent cette région
complexe située au carrefour des mondes
arabe, africain et asiatique.
Les conflits armés en Afrique résultent
ainsi à la fois de la résurgence des réfé-
rents identitaires ethniques, religieux
ou nationalistes, de la faillite de l’État de
droit et des souverainetés en déshérence,
des immixtions des puissances régionales
et internationales, et d’une montée en
puissance des organisations criminelles
internationales. Les guerres de rareté
autour des ressources (eau, pétrole, dia-
mant, etc.) se combinent avec les guerres
de frontières ou d’influence. On note une
accentuation de nouvelles formes de vio-
lence avec l’extension de la piraterie mari-
time le long des côtes somaliennes et dans
le Golfe de Guinée, ou le MEND (mouve-
ment pour l’émancipation du Delta du
Niger) au Nigéria. Le Tchad n’a pas cessé
d’être le théâtre d’affrontements entre les
forces gouvernementales et le regroupe-
ment des forces rebelles de l’Union des
forces de résistance (UFR), sous la res-
ponsabilité du neveu d’Idriss Deby, Timan
Erdmi et du général Mahamat Nouri, sou-
tenu par le Soudan.
Ces conflits en Afrique, en raison de leur
menace à la paix et la sécurité internatio-
nales, des enjeux de matières premières
pour les puissances étrangères et des
drames humanitaires qui s’y perpètrent,
ne sauraient laisser la communauté inter-
nationale indifférente.
15 des 40 opérations de maintien de paix
des Nations unies en cours actuellement
dans le monde, se déroulent en Afrique.
Le rôle ambivalent de la communauté
internationale dans les conflits
en Afrique
La persistance des conflits africains
illustre la relative impuissance de la com-
munauté internationale et de l’ONU à
mettre fin aux conflits internes qui mena-
cent la paix et la sécurité internationales et
portent atteinte aux droits de l’homme.
Les initiatives de paix n’empêchent pas
les rebelles et les forces gouvernementales
de commettre des carnages dans les pays
concernés. Selon Mabire, la continuation
de ces situations chaotiques puise son ori-
gine dans les agissements des membres de
la communauté internationale. La multi-
plication des initiatives de paix a en effet
eu pour résultat de brouiller les cartes et de
permettre aux forces en présence de tergi-
verser et de camper sur leurs positions. La
communauté internationale a également
contribué à instrumentaliser les différents
processus de paix ou les acteurs. Ainsi,
on voit l’Égypte, la Libye, l’Érythrée, le
Sénégal, les États-Unis, la Chine, l’Union
européenne, l’Union africaine, l’Organi-
sation de la Conférence islamique (OCI),
l’Organisation des Nations-unes dépêcher
des médiateurs ou lancer des initiatives de
paix sur le continent.
Ces tentatives de règlement des crises
ont jusqu’à présent joué en faveur d’un
prolongement des conflits. A qui profitent
donc ces conflits ? Au Tchad, en RDC et
ailleurs en Afrique, les Occidentaux et la
Chine se livrent malheureusement à des
rivalités dans le secteur pétrolier.
Mais la persistance des conflits inter-
pelle également et de façon spécifique
l’Union Africaine (UA).
Les initiatives de l’UA en matière de
prévention et de gestion des conflits
en Afrique
En plus de sa participation aux opéra-
tions de paix de l’ONU sur le continent
africain, l’UA se mobilise de plus en plus
pour gérer les guerres africaines.
Face à l’ampleur des conflits qui dés-
tabilisent et freinent le développement
de l’Afrique dans son ensemble, l’orga-
nisation panafricaine a décidé, en plus
de toutes ses initiatives antérieures, de
prendre en 2009 des mesures plus éner-
giques. Ainsi, les dirigeants africains ont
adopté le 2 septembre 2009, lors d’une
session spéciale de l’Union Africaine
(UA) qui s’est tenue à Tripoli en Libye, à
la veille du 40e
anniversaire de la révo-
lution libyenne, un plan d’action de ges-
tion des crises en Afrique (plan d’action
n°16519). Ce plan d’action qui comporte
17 points, consacre la volonté des diri-
geants africains de s’impliquer plus réso-
lument dans le règlement des conflits. Il
est une invite à tous les chefs d’État et de
gouvernement à redoubler d’efforts pour
réduire les zones de conflictualité sur le
continent. L’Afrique a également com-
mencé à s’impliquer dans la gestion des
conflits, à travers son Conseil de paix et
de sécurité (CPS).
De même, l’UA a commencé en 2009
une réflexion sur la mise en place d’une
convention africaine de protection des
personnes déplacées à l’intérieur du ter-
ritoire de l’Etat dont elles sont ressortis-
santes du fait de la guerre (l’Afrique abrite
1/3 des déplacés internes du monde).
C’est la première initiative du genre dans
le monde pour combler le vide juridique
dont sont victimes des déplacés alors que
les réfugiés sont protégés par la conven-
tion de Genève relative au statut des réfu-
giés en date du 28 juillet 1951.
Il est donc à souhaiter que ces élans ne
soient plus ralentis par des considéra-
tions politiques et politiciennes.
Les origines de ces conflits sont à
rechercher dans la mauvaise gestion du
pouvoir et des ressources de l’État au
lendemain des indépendances des États
africains.
Ces pays sortiront de la pauvreté et
de la stagnation économique lorsqu’ils
réussiront à se libérer des forces internes
et externes qui les contraignent au cercle
infernal de l’assistanat et la misère.
En 1960, 17 pays africains dont deux anglophones, le Nigéria et Somalie,
naissaient comme des États souverains, sujets de droit international et
acteurs de la politique internationale. Mais cette accession à la souve-
raineté nationale et internationale qui a suscité l’espoir de la libération
définitive du joug étranger s’est révélé un cauchemar pour beaucoup
de ces nouvelles entités étatiques. Le basculement dans les conflits
armés et l’instabilité politique constituent des signes que l’Afrique n’est
probablement pas libérée. En 2010, nombre de ces pays célèbrent leur
cinquantième anniversaire dans la violence et le chaos politique. Per-
çues comme des conflits nouveaux, les guerres qui ravagent l’Afrique
actuellement sont possiblement le résultat de la mauvaise gestion de
la souveraineté, de la mal gouvernance des affaires publiques et des
ressources de l’État. Cette situation est subtilement exploitée par les
puissances étrangères à leur profit.
50 ans d’indépendance en Afrique
Un bilan politique chaotique
Coffi Dieudonné ASSOUVI
candidat au doctorat en études internationales
université laval
coffi-dieudonne.assouvi.1@ulaval.ca
8 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca
Les premières années postcoloniales
Dès l’accession à l’indépendance de
son pays, le président Félix Houphouët-
Boigny opte pour une coopération avec
la France. À cette époque, deux concep-
tions différentes de l’Afrique s’affron-
tent : d’une part les « progressistes » du
groupe de Casablanca, qui souhaitent
à la fois une indépendance totale des
pays africains ainsi qu’un fort panafri-
canisme et, d’autre part, les « modérés »
du groupe de Monrovia dont faisait
partie Félix Houphouët-Boigny, qui aspi-
rent également à une indépendance de
l’Afrique, sans toutefois désirer se déta-
cher des anciennes puissances colo-
niales. De plus, ne voulant pas faire de
son pays la « vache à lait » d’autres États
africains, le président ivoirien préconise
une union plus souple pour le continent.
C’est donc dans cet état d’esprit que cette
république, nouvellement indépendante,
entame ses premières années postcolo-
niales : « une Afrique des patries coopé-
rant avec son ancien colonisateur ».
En à peine 20 ans, les résultats affi-
chés par la Côte d’Ivoire sont impres-
sionnants : le taux de croissance annuel
moyen du Produit Intérieur Brut est
d’environ 7  % entre 1960 et 1980, indique
la Banque Mondiale. Contrairement à
certains pays voisins, la Côte d’Ivoire
est considérée comme autosuffisante en
produits vivriers. Le pays parvient dans
le même temps à accroître sa production
agricole, ce qui lui permet d’exporter
davantage. Le développement écono-
mique de la Côte d’Ivoire repose donc sur
ses matières premières. Cette expansion
de l’économie ivoirienne n’est pas seule-
ment due à la forte croissance de la pro-
duction agricole, les cours favorables des
matières premières, notamment ceux
du café et du cacao (principaux produits
d’exportation en Côte d’Ivoire) ont forte-
ment contribué à cet essor. Les recettes
engendrées par les exportations de café
et de cacao ont permis à la Côte d’Ivoire
de développer ses infrastructures de
transport (réseaux routier et ferroviaire,
port et aéroports), infrastructures indis-
pensables à sa croissance. Selon Woods,
le développement économique de la Côte
d’Ivoire n’est pas uniquement conjonc-
turel sous l’ère Houphouët-Boigny, il
est aussi structurel. Les dépenses dans
le domaine de l’éducation et de la santé
sont très importantes, 40  % du budget
de l’État est alloué au secteur de l’éduca-
tion et de nombreux hôpitaux et dispen-
saires de village sont mis à la disposition
des populations.
Au-delà de sa situation socioécono-
mique enviable qui encourage la venue
d’une main-d’œuvre bon marché en
provenance des pays frontaliers, la Côte
d’Ivoire jouit d’une stabilité politique
qui favorise les investissements étran-
gers, principalement français. Cet état
de fait conduit un bon nombre d’obser-
vateurs à parler de « miracle ivoirien ».
Toutefois, il convient de nuancer les 30
années de stabilité politique en Côte
d’Ivoire, dans la mesure où le parti
unique monopolise l’activité politique,
où les manifestations de tout ordre sont
réprimandées et où les opposants au
régime sont emprisonnés.
La fin du miracle
Au début des années 1980, la chute
du cours du cacao vient freiner la forte
expansion économique du pays et à cela
s’ajoute des difficultés pour le rembour-
sement de la dette intérieure et exté-
rieure. Les conséquences sociales de
cette crise économique sont frappantes,
d’autant plus que le « miracle ivoirien »
n’a pas profité à la majeure partie de la
population. C’est dans ce climat morose
que le multipartisme voit le jour dix ans
plus tard, à la suite de pressions internes
qui se traduisent par de nombreuses
manifestations à travers le pays; la com-
munauté internationale joue également
un rôle non négligeable dans l’instaura-
tion du multipartisme en Côte d’Ivoire.
En dépit de toutes les protestations
à l’encontre de son régime, Houphouët
est réélu à la présidence de son pays en
octobre 1990, face à Laurent Gbagbo,
leader du principal parti d’opposition, le
FrontpopulaireIvoirien(FPI).Houphouët
décède trois ans plus tard, après avoir
passé 33 ans au pouvoir. Pour certains
observateurs, ce dernier n’a pas réelle-
ment préparé sa succession. À la mort du
« père de la nation », les potentiels « héri-
tiers » que sont le premier ministre Alas-
sane Dramane Ouattara (ADO) et le pré-
sident de l’Assemblée nationale, Bédié,
se disputent le pouvoir. Toujours est-il
que le président de l’Assemblée natio-
nale, Bédié, assure l’intérim, selon les
dispositions prévues par la constitution
ivoirienne. Bédié est élu sous l’étiquette
du PDCI lors des élections présidentielles
de 1995, boycottées par les partis politi-
ques de Gbagbo et d’ADO, le Rassemble-
ment des Républicains (RDR), parti né
d’une scission du PDCI. C’est donc dans
un climat de tension que Bédié accède
à la magistrature suprême. De surcroît,
ce dernier détourne le concept d’ivoirité
– censé permettre d’unir les différentes
ethnies présentes en Côte d’Ivoire – à des
fins politiques. Ce concept, également
utilisé par d’autres politiciens, conduit
à écarter ADO de l’échiquier politique
ivoirien, ce dernier ne pouvant pas se
présenter aux élections présidentielles
étant donné le caractère « douteux » de
sa nationalité. L’ivoirité n’est pas seule-
ment synonyme d’exclusion sur la scène
politique, elle a aussi de profondes réper-
cussions sur les étrangers qui vivent
dans ce pays. Les affrontements entre
autochtones et étrangers ne sont pas
rares, notamment envers les populations
d’origine Burkinabès.
Le coup d’État du 24 décembre 1999,
accueilli favorablement par l’opinion
publique, contraint Bédié à l’exil. Le
Général Robert Guéi, « père » de ce coup
de force, décide de briguer la magistra-
ture suprême l’année suivante. Il effectue
plusieurs manipulations dans le but
d’écarter certains candidats dont ADO.
À la surprise générale, ces élections sont
remportées par Laurent Gbagbo.
Le président actuel de la Côte d’Ivoire,
Gbagbo, organise un forum de récon-
ciliation nationale afin d’atténuer les
tensions sociopolitiques. À l’issue de ce
forum, des portefeuilles ministériels
sont attribués aux principaux partis
politiques du pays, et un certificat de
nationalité ivoirienne est attribué à
ADO. Malgré cette volonté d’ouverture,
le pays est à nouveau frappé par une
tentative de coup d’État le 19 septembre
2002 qui aboutit à la partition du pays
entre le Nord et le Sud.
À la suite de nombreux accords signés
entre les différents acteurs de la crise
ivoirienne, et ce, sous l’égide de la
communauté internationale, notam-
ment des pays de la sous-région, la
Côte d’Ivoire tente de renouer avec la
stabilité. Des avancées, certes timides
mais notables, peuvent être soulignées;
cependant on ne pourrait envisager une
sortie de crise sans la tenue d’élections
libres et transparentes sans cesse repor-
tées depuis cinq ans.
Un retour à la normalité ?
Quand bien même les élections tant
attendues auraient lieu, les Ivoiriens
demeurent confrontés aux impacts de
la crise. Celle-ci a accentué des maux
déjà présents tels que la corruption, « les
crispations identitaires », et les carences
des politiques sociales, notamment au
niveau de l’éducation et de la santé…
Les explications historiques, somme
toute partielles, relatées dans cet article
démontrent l’ampleur du problème
ivoirien. Si les « enfants de Félix » sou-
haitent retrouver la prospérité d’antan
et se réapproprier un nouveau miracle,
ils devront établir leur développement
sur des bases plus solides, afin de per-
mettre aux générations futures de
dresser un bilan moins amer pour le
centenaire de l’indépendance.
Situé le long du Golfe de Guinée, cette ancienne colonie française,
qui accède à l’indépendance le 7 août 1960, a été pendant longtemps
un des pays les plus stables de la sous-région. Félix Houphouët-
Boigny, fondateur du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire)
– parti unique jusqu’en 1990 – est élu président le 27 novembre
1960. Il tient son pays d’une main de fer pendant plus de 30 ans et
parvient à faire de ce dernier la « vitrine de l’Afrique de l’Ouest ».
« Aucun pays de la région n’a connu pareil développement écono-
mique », « c’est l’État le plus avancé de l’Afrique francophone », se
plaisent à dire certains spécialistes de l’Afrique, dans les années
1960 et 1970. Toutefois, cela fait près de deux décennies que la
Côte d’Ivoire souffre de plusieurs maux : crise économique, crise
sociopolitique et identitaire, atteinte à la sûreté de l’État, tensions
diplomatiques, corruption, délestage électrique… Le « miracle ivoi-
rien » s’est effondré en quelques années et depuis, les Ivoiriens sont
toujours en quête d’un nouveau miracle.
Hervé Bastart
candidat à la maîtrise en études internationales
université laval
herve.bastart.1@ulaval.ca
Côte d’Ivoire
Les enfants de Félix peuvent-ils espérer
un retour à la normalité ?
La ville d’Abidjan, 50 ans après la décolonisation.
commons.wikimedia.org
9Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca
Origines du conflit
Tout d’abord, il ne faut pas oublier que
le Mexique est une jeune démocratie.
Bien qu’il ait obtenu son indépendance
en 1810, cet État ne peut se qualifier de
république démocratique que depuis l’an
2000 lorsque le Partido Revolucionario
Institucional, au pouvoir pendant 71 ans,
a finalement été déchu. Cependant, suite
à ce dramatique changement de régime,
une période de réadaptation et de stagna-
tion de la plupart des instances gouverne-
mentales s’est installé. En fait, le Mexique
a été plongé dans un long processus de
réformes, dont les changements visaient
le renouveau d’une nation affectée par
une corruption institutionnelle toxique
et un système de gouvernance fortement
touché par le crime organisé. Le premier
président élu démocratiquement, Vicente
Fox, s’est, notamment, attaqué aux plus
hauts fonctionnaires et aux responsables
des plus importants réseaux criminels,
dont les cartels de Sinaloa et du Golfe.
Avec un succès mitigé, il a réussi à créer
un semblant de tranquillité en assurant
la stabilité du pays pendant son admi-
nistration sans réaliser que ses actions
allaient avoir une incidence majeure
sur l’insurrection des cartels de drogue
déchus de leurs dirigeants.
Changement de cap
L’arrivée au pouvoir de Felipe Calderon
en 2006 a été le point tournant de cette
bataille. Élu difficilement suite à une
campagne présidentielle tumultueuse
avec le populaire chef de la gauche mexi-
caine Jose Manuel Lopez Obrador, le
nouveau dirigeant mexicain visait à légi-
timer son gouvernement avec l’emploi de
grands moyens pour contrer la corrup-
tion, le crime organisé et surtout, le tra-
fique des drogues, afin de purifier le pays.
Toutefois après des discordes au sein
de son parti, des années économiques
difficiles (le PIB du Mexique a plongé
de plus de 7 % en 2009), un manque de
stratégie claire et une expérience limitée
en résolution de conflits, la violence n’a
pas cessé d’augmenter. Avec une soif de
grandeur et la possibilité de renforcer
leurs opérations, les cartels les plus forts
se sont développés davantage en s’atta-
quant aux autorités gouvernementales
et en consolidant  les ressources des
réseaux criminels plus petits. Égale-
ment, sans leurs dirigeants, des conflits
internes au sein des grands groupes ont
surgi et peu à peu de nouveaux réseaux,
plus forts et plus violents, ont vu le jour.
Entre autres, la rupture de l’ancien cartel
du Golfe et sa branche armée, les Zetas, a
causé la mort de centaines de personnes,
incluant de nombreux journalistes. Ces
nouveaux cartels formés par des déser-
teurs de l’armée mexicaine, des assas-
sins d’élite, des dirigeants d’État cor-
rompus et des agents de la police locale
créent un réseau criminel complexe qui
dépasse grandement les capacités du
gouvernement.
Est-ce une perte de contrôle ?
Certes, la situation est devenue alar-
mante. Étant un pays émergent avec
une population de plus de 100 millions
d’habitants et la treizième économie du
monde, l’idée d’une défaillance poten-
tielle du Mexique est critique. Par contre,
ce que vit le pays n’est pas une insur-
rection, une révolution ou une guerre
civile causée par un groupe qui cherche
à détrôner un pouvoir quelconque, sinon
une guerre d’intérêts qui dépasse les
structures gouvernementales classiques.
Par ailleurs, bien qu’on croie que la plu-
part des Mexicains continuent à soutenir
la croisade de Calderon pour éradiquer
les cartels de drogue, les critiques ne ces-
sent d’augmenter.
Dans une société traditionnelle-
ment pacifique, c’est la peur qui risque
de devenir la plus grande menace. Le
Mexique n’a pas une tradition militaire
au-delà du maintien de la paix et le pays
n’a pas été exposé à ce type de violence
gratuite et sanglante dans son histoire
récente. À vrai dire, ce n’est qu’une fois
que l’espoir disparaît et que la popula-
tion estime qu’elle n’a plus rien à perdre
que le chaos s’ensuit. En outre, les dispa-
rités sociales et la corruption au sein des
forces de l’ordre ont seulement contribué
au problème. Le corps policier, probable-
ment l’une des sources les moins crédi-
bles d’autorité au Mexique, n’a pas encore
été en mesure de surmonter ses insuffi-
sances structurelles. De plus, la présence
d’une armée inexpérimentée au sein de la
population n’a pas amélioré la situation ;
les accusations de violations des droits
de la personne de la part du cadre mili-
taire ne cessent d’augmenter. Toutefois,
des événements récents, dont l’assas-
sinat intentionnel de deux ressortissants
états-uniens travaillant au consulat des
États-Unis à Ciudad Juarez, pourraient
être un point tournant du conflit. En fait,
la nécessité d’une intervention proactive
de la part des États-Unis pour régler la
situation est incontestable. Les opéra-
tions criminelles traversent les frontières
et la proximité du marché - plus de 90 %
de la drogue produite ou de passage au
Mexique est destinée aux États-Unis - ne
fait qu’encourager ces activités depuis la
dernière décennie.
Avec des élections prévues en 2012,
le gouvernement mexicain doit faire
la preuve de ses compétences et déve-
lopper une stratégie de coopération avec
toutes les parties concernées malgré une
méfiance historique vis-à-vis son voisin
du nord. Cette épreuve est une étape que
l’État doit franchir afin d’éviter un retour
vers une politique pseudo-officielle d’ac-
ceptation de la criminalité et de la cor-
ruption. Ce dur processus n’est pas sans
risque, mais il peut être une opportunité
unique pour la transformation massive
des institutions mexicaines grâce à un
échange de connaissances et à un effort
de coopération supranational pour éra-
diquer la criminalité. Toutefois, à court
terme, le Mexique doit mettre en place
une stratégie axée sur la protection civile
afin de regagner la confiance du peuple
et d’assurer l’espoir. Le bien-être de la
population est primordial pour contrer
les effets pervers de la criminalité et
éviter son augmentation. En effet, sans
espoir, il n’y a plus de cohésion et sans
cohésion, il n’y a plus de gouvernance.
A l’aube du 16 de septembre 1810, sous la bannière de la Vierge de Gua-
dalupe et accompagné d’une poignée de paysans, Miguel Hidalgo a
lancé le long mouvement d’indépendance du Mexique avec un cri de
ralliement, d’espoir et de libération. Deux cents ans plus tard, c’est sous
la consternation que la population mexicaine vit une violence sans pré-
cédent qui ne cesse d’augmenter et qui se répand rapidement partout au
pays. Avec environ 45 000 soldats déployés et plus de 14 000 victimes,
la guerre contre le trafic de drogue au Mexique n’a pas de fin en vue.
Ce qui a commencé par un effort structuré de la part du gouvernement
fédéral pour contrer le crime organisé dans les États frontaliers avec les
États-Unis se transforme peu à peu en un mouvement de violence qui
touche toutes les instances gouvernementales, paragouvernementales
et sociales du pays ; mettant en péril la stabilité du Mexique.
Victor Sanchez Lopez	
candidat à la maîtrise en études internationales
université laval
victor.sanchez-lopez.1@ulaval.ca
200 ans après son indépendance,
le Mexique est-il au bord de la défaillance ?
Murale représentant l’exécution de Miguel Hidalgo au Palais du Gouvernement
de Chihuahua situé à côté de l’endroit où il a été tué.
commons.wikimedia.org
10 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca
Les cinq républiques d’Asie centrale, le
Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan,
le Tadjikistan et le Turkménistan, fraiche-
ment converties au régime démocratique,
ont connu des bouleversements majeurs
durant les deux décennies qui les séparent
de leur indépendance. La désintégration de
l’Union soviétique a donné à ces républi-
ques une existence sur la scène internatio-
nale, tout en apportant un désir de liberté
doublé d’une aspiration légitime à toute
nation de déterminer son propre destin
politique.  Cela a entrainé comme consé-
quence une deuxième vague de démocrati-
sation et un ajout considérable du nombre
des États membres à  l’Organisation des
Nations Unies. Néanmoins, de nombreux
éléments de continuité avec l’Union sovié-
tique peuvent être constatés simplement
en observant la longévité des mandats des
chefs d’États ainsi que la quasi-inexistence
effective des alternances politiques. État
des lieux : vingt ans après.
Suite à la révolution bolchévique, l’ob-
jectif de l’Union soviétique était le suivant :
découper de toute pièce les États-nations,
sur les décombres des anciens empires
centrasiatiques, en regroupant grossiè-
rement les mêmes groupes ethniques sur
un territoire unique et unifié. La stratégie
du «  diviser pour mieux régner  » s’appli-
quait désormais à  la politique de l’Union
soviétique qui devait prendre en main les
anciens protectorats de la Russie tsariste en
assumant l’héritage territorial de cette der-
nière dans les années 1920.
Située au carrefour de plusieurs civilisa-
tions millénaires et abritant une partie de
la route de la soie, l’Asie centrale possède
une histoire aussi riche que bouleversante.
Souvent présentés comme un ensemble
homogène, les États d’Asie centrale ont tous
leurs particularités spécifiques. Leurs res-
sources économiques, héritées du décou-
page territorial, varient considérablement
d’un pays à l’autre. Certains dépendent
essentiellement de leurs exportations agri-
coles comme le coton (l’Ouzbékistan ou le
Tadjikistan), d’autres bénéficient de cer-
taines ressources naturelles comme le gaz
naturelouencorelepétrole(leKazakhstan,
le Turkménistan). Néanmoins, la persis-
tance d’un taux de chômage élevé et la
dégradation des infrastructures semblent
faire sombrer une part importante de la
populationdecetterégiondanslapauvreté.
D’après le Programme des Nations Unies
pour le Développement (PNUD), l’Asie cen-
trale est l’une des régions du monde qui a
connu une augmentation importante de la
pauvreté absolue en vingt ans.
En ce qui concerne les aspects politiques,
prenons un exemple récent et concret. Les
élections législatives qui ont eu lieu au Tad-
jikistan le 28 février dernier ont « ...échoué
dans le respect des standards démocra-
tiques...  »  a souligné un observateur de
l’Organisation pour la Sécurité et la Coo-
pération en Europe (OSCE). Le parti du
président, le Parti Démocratique du Peuple,
a remporté les élections avec environ 71 %
des voix, obtenant par là même la majorité
des sièges du « Majlisi Namoyandagon », la
haute chambre du parlement. Ces élections
sontunexempleparmid’autresquireflètele
désastreux bilan démocratique des régimes
politiques en Asie centrale. À cela s’ajoute
la persistance de tensions sociales dues à
une piètre performance économique et à
la dégradation continuelle des niveaux de
vie. Selon le think tank International Crisis
Group,ilexisteraitunsérieuxdangerpourle
Tadjikistan de devenir un « État en faillite ».
La diminution des revenus envoyés par la
main-d’œuvre travaillant en Russie, à cause
de la crise économique, risque d’être à l’ori-
gine de montées des tensions sociales sans
précédents. Étant donné que la moitié du
PNB du pays est constituée de ces revenus,
le gouvernement risque d’être en incapacité
de secourir la population. La persistance
des rivalités et des hostilités entre les États
centrasiatiques constitue un obstacle non
négligeable  au libre-échange, à la coopé-
ration en matière d’énergie mais aussi à la
libre circulation des individus.
Entre les puissances étrangères,
le nationalisme et l’extrémisme
musulman
Au lendemain des attentats du 11 sep-
tembre 2001, l’Asie centrale, considérée
comme  «  l’étranger proche  » de la Russie,
attire toutefois l’attention de certaines puis-
sances mondiales qui lui étaient jusqu’alors
étrangères. Dans le cadre de la guerre en
Afghanistan, les États centrasiatiques
paraissent désormais incontournables
pour accéder à ce terrain de conflit enlisé.
D’une part, l’appui des États centrasiati-
ques devient désormais nécessaire pour
contrecarrer l’influence des mouvements
islamistes dans le cadre de la « sainte croi-
sade  » contre le terrorisme. D’autre part,
l’émergence de l’extrémisme musulman
permet à ces républiques de justifier des
politiques autoritaires ainsi que des répres-
sions à l’égard d’opposants jugés hostiles au
régime en place. « Le massacre d’Andijan »,
ou le bain de sang perpétré lors des événe-
ments de la partie ouzbèke de la Vallée de
Ferghana en 2005, a été la conséquence
d’un affrontement brutal entre forces gou-
vernementales et civiles, qui contestaient
certaines décisions des autorités centrales.
Faceauvideidéologiquecrééparladésin-
tégration de l’URSS, dans une Asie centrale
où ses républiques sont en quête d’identité
nationale, les statues de Lénine et de Marx
ont déjà remplacé celles de Tamerlane et
Ismoil Somoni, les héros nationaux glori-
fiés d’un passé lointain. Parallèlement, on
assiste  à une recrudescence des nationa-
lismes et à des tensions récurrentes entre
les différentes ethnies au sein de ces États-
nations. Du fait de leur faible intégration,
tant sur le plan économique que politique,
les républiques d’Asie centrale ne semblent
pas peser lourd dans les enjeux majeurs de
larégion.Leurfaiblemargedemanœuvreet
leur autonomie réduite en ce qui concerne
la conduite de leur politique étrangère res-
tent limitées à cause de l’influence de l’an-
cien Grand Frère, et l’influence croissante
des États-Unis dans la région. La présence
de ces deux puissances dans la région
pousse les États d’Asie centrale à maintenir
un équilibre aussi fragile que délicat dans
leur politique étrangère.
Peut-on parler pour autant d’échec de
la démocratisation en Asie centrale ? La
répression politique que les populations
centrasiatiques ont connue pendant la
périodesoviétiquesemblepersisteràtravers
des régimes politiques autoritaires pour qui
la question des droits humains paraît loin
de leurs préoccupations actuelles. À cela
s’ajoutent des souffrances d’un tout autre
ordre liées à l’augmentation de la pauvreté
et à l’absence de perspectives économiques
gérables dans un avenir proche. Face à ces
constats,deuxdécenniesaprèslesindépen-
dances, il reste encore un chemin sinueux
et long à parcourir.
La révolution des Tulipes au Kirghi-
zistan en 2005 a permis le renversement
d’Askar Akayev qui dirigeait le pays
depuis 1990 et a fait naître un espoir cer-
tain de changement démocratique dans
la région. Cependant, la politique de son
remplaçant n’a pas apporté de change-
ments majeurs, provoquant à nouveau
la déception de la société civile. Dès lors,
quelles sont les perspectives pour l’avenir
en Asie centrale ? Il est certain que les
États d’Asie centrale seront en mesure
d’avoir un poids politique vis-à-vis des
grandes puissances uniquement si elles
adoptent des positions communes pour
mieux défendre leurs intérêts dans la
région. De même, la création d’une zone
de libre-échange pour débuter un pro-
cessus d’intégration régionale semble
être une solution incontournable pour
connaître une certaine forme de pros-
périté économique. La solution est-elle
de créer une Ligue des États Centrasia-
tiques ? La question reste ouverte. Avec
le renouvellement de l’élite politique, le
dépassement du cadre ethno-nationa-
liste peut être envisagé dans une Asie
centrale déchirée par les antagonismes
politiques et la stagnation économique.
Nous sommes aujourd’hui rendus deux décennies après la disparition de
ce que Churchill appelait le « rideau de fer ». Qu’en est-il de la situation
politique en Asie centrale dans les républiques de l’ex-bloc soviétique,
cette région du monde peu connue de l’opinion publique mondiale ?
Asie centrale, 20 ans après les indépendances
État des lieux
Anahita Boboeva
candidate à la maîtrise en études internationales
sciences po bordeaux/université laval
a.boboeva@gmail.com
La ville de Samarcande en Ouzbékistan témoigne
de la richesse historique de l’Asie centrale
www.concept.kg
Les cinq républiques indépendantes
d’Asie centrale
www.Stratfor.com
11Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca
Par la découverte tardive de la carto-
graphie de l’Océanie s’est aussi déroulée
une colonisation dite tardive dans l’his-
toricité coloniale alors que les peuples
autochtones de la région, peu touchés
auparavant par l’européanisation du
monde se sont retrouvés au cœur même
du développement de l’anthropologie.
Divisé d’abord en trois régions, selon
des critères géographiques pour la
Micronésie (petites îles) et la Polynésie
(plusieurs îles) et un critère racial pour
la Mélanésie (îles noires), ce territoire
maritime immense est ensuite devenu
le théâtre des luttes d’influence entre les
grandes puissances de l’époque.
Les premiers contacts entre les peu-
ples d’Océanie et les Européens se sont
réalisés par l’entremise du développe-
ment des réseaux navals et la recherche
toujours poussée de marchandises et
de certaines espèces animales telles
que l’huile de palme, la nacre, le bois
de santal, le coprah, les baleines et les
phoques. Les commerçants ont formé
leur propre système économique et
ont ainsi amené la multiplication des
contacts entre les archipels et le besoin,
devenu inévitable, d’établir des escales.
Dans ce sillage, un phénomène appelé
« beachcomber » ou écumeurs de plage
est apparu alors que l’Occident utili-
sait le Pacifique comme exutoire pour
les laissés pour compte et les criminels.
Certains de ces lieux sont devenus des
repères pour la perdition et la corrup-
tion. Dans sa contribution à l’ouvrage Le
Pacifique, un monde épars; introduction
interdisciplinaire à l’étude de l’Océanie,
Jean Chesnaux avoue qu’il n’est pas
«  exagéré de parler ici d’un génocide
diffus, du fait de la contamination, des
épidémies et donc de dépopulation mas-
sive » observé au XIXe
siècle.
Dès les premiers contacts établis, les
missionnaires protestants et catholi-
ques sont arrivés dans les îles du Paci-
fique, précédant parfois la colonisation
formelle. Bien que l’entreprise mission-
naire soit en théorie indépendante de
l’entreprise coloniale, les États ont pu
grandement s’appuyer sur les Églises
afin de consolider leur pouvoir. Encore
aujourd’hui, la religion demeure une
valeur importante au sein de la popula-
tion, entre autres, à Tahiti.
Une consolidation coloniale
Alors que l’on partage l’Afrique en
esquissant quelques traits sur une carte
lors du Congrès de Berlin en 1884, le
même processus de partage du monde
s’effectue aussi au fur et à mesure pour
les territoires océaniens. Plusieurs
grandes puissantes sont présentes,
que ce soit l’Angleterre, la France, les
Pays-Bas, l’Espagne, ou l’Allemagne. On
remarque toutefois l’arrivée d’un nou-
veau joueur, les États-Unis, qui prend
en charge pratiquement tout ce qui se
retrouve au-dessus de l’Équateur (entre
autres, Samoa et Hawaï).
Les acteurs sont donc variés, par le fait
même on y recense différentes formes
de gouvernance coloniale telles que les
colonies, administrées par les métro-
poles (Guam, Nouvelle-Calédonie,
Fidji), les protectorats (Tonga, Tahiti),
les annexions directes (Hawaï, Île de
Pâques), les condominiums, c’est-à-dire
une gestion partagée à deux (les Nou-
velles-Hébrides devenues Vanuatu et
administrées par la France et la Grande-
Bretagne) mais aussi les tridominiums
(les Samoa). Souvent perdues, cédées,
marchandées et redistribuées selon
les bons coups et les moins bons des
grandes puissances, les îles du Pacifique
Sud et ses habitants n’ont certainement
pas accueillis à bras ouverts cette grande
démonstration de l’impérialisme occi-
dental et les conséquences de ces instabi-
lités des structures coloniales. Par contre,
bien que la résistance fut tenace et dure à
certains endroits (guerres maori en Nou-
velle-Zélande – 1842-1846 et 1860-1868
–, révolte des Kanaks en Nouvelle-Calé-
donie – 1878 –, lutte en Nouvelle-Guinée,
résistances en Polynésie française, etc.),
l’isolement géographique, la taille démo-
graphique et la pauvreté des petites îles
offrent peu d’espoir à ses habitants quant
à la viabilité d’une nation indépendante.
Décolonisation inachevée ?
Évènement phare dans l’histoire de
la décolonisation et le détachement des
modèles dominants de la Guerre froide,
la Conférence de Bandung de 1955
constitue un moment charnière dans l’af-
firmation de l’indépendance des peuples
des pays en développement. Les grands
absents ? Les peuples de l’Océanie,
ceux-ci n’étant pas encore reconnus poli-
tiquement. Effectivement, la décoloni-
sation du Pacifique s’effectua sur le tard,
comparativement à l’Asie et l’Afrique.
Une autre distinction primordiale dans
le processus de décolonisation découle
du fait que les luttes d’indépendance des
îles du Pacifique ne se sont pas réalisées
selon des motivations révolutionnaires
et marxistes et ne sont en rien compara-
bles aux luttes violentes menées dans les
années 1960 et 1970.
L’expression «  Pacific Way  » ou «  Voie
pacifique  », vient d’une formule assez
répandue qui signifie la résolution d’un
désaccord par voie de consensus, ne
laissant ainsi à personne un sentiment
de défaite. Considéré historiquement, à
bien ou à tort, comme étant la façon de
faire de la politique dans le Pacifique,
le concept a été repris dans le cadre du
processus de décolonisation. Vrai que la
décolonisation fut assez libre de violence
dans les îles, il est néanmoins faux de
penser qu’il ne s’est pas produit des épi-
sodes de domination et de violence.
L’une des expli-
cations à ce paci-
fisme observé dans
la région provient
du fait que ce sont
d’abord et avant
tout les métro-
poles qui ont voulu
mettrefinàleurrôle
colonial comme la
Grande-Bretagne,
l’Australie et la
Nouvelle-Zélande.
L’indépendance de
leurs colonies ne
fut qu’une ques-
tion de temps
malgré certains
désaccords sur les
plans administratifs de l’accession et
de la création ou modification de l’ap-
pareil étatique. Dans certains cas, le
gouvernement colonial alla au-devant
des demandes autochtones alors que
dans certains autres, les obstacles furent
plus nombreux (intérêts des colons, iné-
galité raciale, etc.) malgré l’apparence
de la « Pacific Way ». La plupart des îles
obtinrent leur indépendance à la fin des
années 70 et durant la décennie 1980.
La problématique de l’indépendance
se présenta davantage dans les terri-
toires de juridiction française et amé-
ricaine. Premièrement, la France n’a
jamais considéré ses conquêtes comme
étant des colonies mais plutôt comme
des Territoires d’Outre-Mer (TOM). L’in-
dépendance n’était donc pas un sujet
susceptible de discussions mais il posa
problème alors qu’une activité politique
indépendantiste et autochtone surgit en
Nouvelle-Calédonie. Puis, les îles sous
tutelle américaine, la majorité en Micro-
nésie, se rendirent compte que, malgré
les sommes importantes versées pour
le développement des îles, la politique
américaine dans le Pacifique se définis-
sait par une simple prolongation de la
politique étrangère et des intérêts amé-
ricains. Au final, ce fut la formule de
libre association qui se développa dans
les années 1980 alors que la mise en
œuvre fut retardée par le Congrès et que
les petits États de Micronésie réalisè-
rent qu’une indépendance totale n’était
guère possible.
La décolonisation en Océanie demeure
inachevée et incomplète. La viabilité des
petits États est constamment remise en
question et par conséquent, le destin de
ses habitants demeure largement tribu-
taire des aléas de la mondialisation.
Problématiques contemporaines
Bien que l’on doive séparer distincti-
vement les processus de colonisation et
de décolonisation survenus dans le Paci-
fique Sud de ceux en Afrique ou en Asie, il
est possible d’observer un point commun
entre eux tous lorsque l’on fait l’analyse
des différentes séquelles laissées par l’en-
treprise coloniale et ses partages territo-
riaux artificiels. Que ce soit l’instabilité
et l’aliénation politiques, l’exploitation
économique ou environnementale, les
tensions sociales et le désœuvrement des
jeunes, ce sont toutes des conséquences
déplorables où souvent les populations
locales en sont les premières victimes.
Aujourd’hui, les micro-États du Paci-
fique Sud ont bien peu de poids sur
l’échiquier international. Toutefois, leur
positionnement stratégique comme zone
tampon, située entre les États-Unis et la
Chine, peut laisser croire que les luttes
d’influence ne sont pas terminées dans
cette région du monde.
Pacific way ? Pas vraiment.
Isolation géographique, territoires vulnérables, conditions précaires et
paysages paradisiaques dans l’imaginaire collectif, les îles du Pacifique
Sud demeurent une région du monde peu abordée dans la littérature
scientifique et peu de chercheurs y spécialisent leur champ d’études.
Toutefois, les espaces insulaires et leurs habitants se sont trouvés gran-
dement altérés dès les premiers contacts avec les Européens, alors que
les processus respectifs de colonisation et de décolonisation tardives
ont largement contribué au portrait actuel de la région.
Joanie Dionne Rhéaume
candidate à la maîtrise en études internationales	
université laval
joanie.dionne-rheaume.1@ulaval.ca
Les îles du Pacifique Sud
« Pacific way » et partage du monde
États contemporains du Pacifique Sud. www.ispf.pf
12 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca
En se distinguant principalement sur
le front religieux d’une Inde jugée trop
imprégnée par la tradition anglaise, le
Pakistan représente depuis 1947 l’idéal
de la nation constitutionnellement isla-
mique. Or, cet idéal peut aujourd’hui être
considéré comme la source de sérieux
problèmes de stabilité politique, juri-
dique, économique et sécuritaire. La
culture du conflit avec l’Inde, rival histo-
rique, notamment quant à la question de
l’appartenance du Cachemire constitue
toujours un sujet qui soulève les plus
vives passions entre les deux pays. De
plus, l’ensemble de la relation du Pakistan
avec l’Occident est très inconfortable,
puisqu’elle est traditionnellement mal
acceptée par la population pakistanaise,
même si la dépendance du pays envers
l’aidereçueestcruciale.Structurellement,
la décolonisation vient donc influencer la
stabilité du Pakistan actuel, en ayant créé,
il y a plus de 60 ans, un pays artificiel aux
fondements instables et insuffisants.
Le contexte idéologique
de la partition de 1947
Le Pakistan peut bien rejeter une part
de la responsabilité de ses problèmes sur
la manière dont la décolonisation a été
effectuée à son égard, même si les Britan-
niques ont suivi les souhaits des premiers
leaders pakistanais. L’origine de la parti-
tion malheureuse ne relève donc pas cette
fois du colonisateur, car ce sont les élites
du Congrès et de la Ligue Musulmane qui
ont imposé une telle séparation. À la diffé-
rence du processus de décolonisation du
continent africain qui a été l’objet de divi-
sions utilitaires aux conquérants, la Parti-
tion du sous-continent indien s’est plutôt
concrétisée en respectant les divergences
culturelles et idéologiques existant entre
les majorités indiennes et pakistanaises.
Cette partition jugée réussie par le
Royaume-Uni a cependant entraîné des
déplacements permanents de populations
et des grandes migrations entre les deux
pays. Environ 14 millions de personnes
se sont déplacées dans un sens ou dans
l’autre et il y a eu plus de 200 000 morts à
la suite d’affrontements violents entre les
diversesgroupesreligieux.Lanaissancedu
Pakistan et du Bangladesh (anciennement
Pakistan Oriental) ainsi que la restructu-
ration de l’Inde se sont effectuées dans des
conditions difficiles, sans encadrement
du colonisateur. Malheureusement, ces
déplacements et morts violentes n’ont pas
mêmeatteintleuruniqueobjectif,puisqu’il
reste encore aujourd’hui des minorités
de chaque côté des lignes de partage qui
revendiquent des droits particuliers.
La division territoriale a été principale-
ment construite sur des bases religieuses.
Cette recherche d’un foyer séparé pour les
Musulmans est une idée qui s’est concré-
tisée à la suite des abus hindous à la défa-
veur des Musulmans dans les Indes britan-
niques, renversant ainsi le sort subis par les
Hindous sous l’Empire mongol musulman.
De plus, il est intéressant de retenir que
l’ouverture pour une cohabitation d’idéo-
logies a initialement été envisagée par le
Mahatma Gandhi, qui voyait une possibi-
lité de « Fédération des communautés ». La
partition a repris ce souhait peu après son
assassinat par l’un des siens.
L’unique raison d’exister de l’État pakis-
tanais est d’être islamique. Après plusieurs
années d’échec concernant sa tentative de
stabilisation, il est possible de croire que
le Pakistan n’est, en fait, qu’un État artifi-
ciel sans véritable unicité. À elle seule, la
croyance religieuse commune en l’Islam
n’arrive pas à cimenter une nation, même
laplusengagée.C’estdoncdanscecontexte
que les problèmes de stabilité et de gouver-
nance sévissent encore au pays.
Instabilité interne politique
et sécuritaire
L’évolution de la conception politique
ainsi que l’accent mis sur une meilleure
gouvernance et une plus grande démo-
cratisation par la société civile semble
véritablement avoir pris son essor depuis
le départ de Musharraf et l’élection démo-
cratique de 2008, non renversée par le
pouvoir militaire.
Actuellement, le gouvernement civil de
Zardari est faible et ne se maintient au pou-
voir que grâce à l’appui de quelques partis
de moindre envergure.  Plusieurs défis de
taille s’offrent à ce dernier  : gérer effica-
cement l’attribution de l’aide étrangère en
faveur de la population civile, mettre de
l’avant les réformes économiques et poli-
tiques exigées, s’assurer de la loyauté de
l’armée et des Services secrets pakista-
nais, désignés sous l’appellation ISI (Inter
Services Intelligence), et relever le pari
que représente la sécurité étatique dans le
combat contre les mouvements militants
extrémistes.
Tant le gouvernement civil, l’ISI que
l’armée désirent atteindre la même fin :
assurer la sécurité du pays. Cependant,
les moyens qu’ils utilisent ne sont pas
les mêmes. Dans l’histoire du Pakistan,
se positionner contre les mouvements
terroristes, c’est être contre l’IslaM.  Et
l’armée et l’ISI sont engagés envers la
cause pakistanaise, qui intrinsèquement
est reliée à l’identité musulmane. Sans
l’Islam, le Pakistan n’est plus. Ajoutant
à cela que la valeur prioritaire de l’Islam
est soutenue par les populations, laquelle
perdure en tant que pouvoir unificateur
entre les différentes ethnies, particuliè-
rement à l’intérieur de l’armée plurieth-
nique pakistanaise.
Dans les dernières
années, la sécurité
interne au Pakistan
est devenue un enjeu
de plus en plus impor-
tant et inévitable,
puisqu’elle n’a cessé
de se détériorer. Histo-
riquement, la sécurité
du pays est menacée
sur deux fronts : d’une
part, le Cachemire,
noyau dur de l’exis-
tence du Pakistan, est
une zone fortement
militarisée et en proie aux échanges de tirs
constants. De l’autre, des zones tribales
partagées avec l’Afghanistan, avec une
frontière poreuse où les drones américains
sévissent quotidiennement et où l’armée
tente de reprendre le contrôle. Dans une
perspective de lutte globale contre le ter-
rorisme, renforcée par la stratégie amé-
ricaine Af-Pak, l’incapacité de l’armée
pakistanaise à neutraliser complètement
les Talibans sur son territoire, alors qu’elle
est déjà fortement engagée dans l’Est sur
la frontière avec l’Inde, est un problème
majeur, même à l’international.
Le Pakistan en Asie
et à l’international
Ciblé comme un pays prioritaire concer-
nant l’insécurité mondiale, le Pakistan
n’en est pas moins bien traité pour autant.
Ajoutant aux contradictions, le Pakistan
est, malgré son programme nucléaire
avancé, considéré par les États-Unis
comme un allié dans la région d’Asie du
Sud-est pour la lutte au terrorisme sur la
frontière afghane et est perçu par la com-
munauté internationale comme l’un des
Next Eleven (pays économiquement les
plus prometteurs). Le Pakistan tente éga-
lement des rapprochements avec la Chine
et mise énormément sur la diplomatie
avec l’Inde dans tous les domaines.
Traditionnellement reconnu comme
hostile envers la plupart de ses voisins,
le Pakistan est un pays qui cherche son
chemin vers la stabilité et qui, poussé par sa
fierté nationale, tente d’être le premier État
islamique véritablement démocratique. Il
pourrait donc s’agir d’un début de projet
de société, plus porteur d’espoir et mieux
appuyé par la communauté internationale.
Un futur Pakistan stable ?
Le projet commun de société, fondé sur
le rêve d’un État-nation musulman n’appa-
raît pas suffisant pour ancrer le Pakistan
dans la stabilité. En effet, une fois cet État
créé en 1947, l’absence de projet de société
plus englobant ne mène qu’à un seul
constat : il faut tenter de redéfinir l’État sur
une base autre que religieuse. Mais vers
quoi ? Il faut d’abord considérer que tous les
Pakistanais ne sont pas des Talibans et que
lepaysestencoremalcompris.Entrel’inté-
grisme religieux et la pratique de l’Islam en
général, il y a une marge que la population
d’aujourd’hui, qui souhaite de plus en plus
un État stable et démocratique, ne désire
franchir.Larecherched’unÉtatmusulman
démocratique pourrait en conséquence
constituer un projet de société nouveau.
Par contre, étant généralement opposé
aux actions indiennes, hostile au gouver-
nement afghan, peu enclin à la chaleur
envers les Américains et l’Occident et se
dissociant également des autres États isla-
miques, le Pakistan est en quelque sorte
isolé dans la situation qu’il a initialement
choisie. L’ouverture sur le monde pour-
rait peut-être apporter quelques solu-
tions. Fortement imprégné par l’instabi-
lité découlant de ses nombreux conflits à
l’interne, les Pakistanais devront toutefois
s’armer de patience avant de voir poindre
l’espoir d’un pays sécuritaire, efficace et
plus démocratique. Possible ou non, un tel
Pakistan en Asie du Sud aurait assurément
des répercussions positives sur l’économie,
la politique, la justice et la sécurité de la
région et également du monde.
Depuis sa création en 1947, issue de la partition des Indes britanniques,
le Pakistan est demeuré un pays qui s’autodéfinit à travers les oppo-
sitions qu’il entretient. Caractérisé par ce qu’il n’est pas, le Pakistan
maintient plusieurs relations antagonistes avec certains pays voisins et
occupe aussi, volontairement ou malgré lui, une position conflictuelle
sur la scène internationale. La recherche d’une nouvelle identité pakis-
tanaise est ardue mais essentielle à sa propre stabilité ainsi qu’à celle
du reste du monde. Portrait d’un pays fabriqué sur mesure selon les
revendications d’une majorité musulmane, mais qui doit paradoxale-
ment son instabilité à son accession à l’indépendance.
La stabilité postcoloniale au Pakistan
La fin de l’Islam comme unique projet de société
DARINA BRUNEAU
candidate à la maîtrise en études internationales
université laval
darina.bruneau.1@ulaval.ca
Les nombreux attentats perpétrés par les groupes religieux
extrémistes et l’engagement du gouvernement et de l’armée
dans la lutte au terrorisme ont fait de l’année 2009 l’une
des plus meurtrières depuis la création du Pakistan.
Dawn News, Pakistan
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14 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca
Il ne faut pas se réduire à accuser les
grandes puissances coloniales de tous les
maux en Afrique, mais leur présence aura
tout de même imposé des frontières igno-
rantes des réalités régionales de l’époque,
et qui contribuent encore aujourd’hui
à alimenter tensions et conflits dans
maints États du continent. Si les réfugiés
ont toujours fait partie de la réalité inter-
nationale, ils s’imposent, particulière-
ment depuis la seconde moitié du dernier
siècle, comme une problématique alar-
mante à laquelle aucune solution d’en-
vergure n’a encore été apportée.
Les conflits en Somalie, en République
démocratique du Congo, les tensions au
Kenya, la pauvreté récurrente de cer-
taines régions de l’Afrique subsaharienne
et bien d’autres tensions et problèmes se
posent comme un leitmotiv infernal qui
façonne l’Afrique moderne et crée des
déplacements massifs de populations
en quête d’asile. Rondement, les réfugiés
sont définis par la Convention Relative au
Statut des Réfugiés de 1951 comme toute
personnenepouvantseréclamerdelapro-
tection de son pays, car craignant d’y être
persécutée du fait de sa race, de sa religion,
de sa nationalité, de son appartenance à
un certain groupe social et qui, pour ces
raisons, se trouve hors des frontières de
ce pays. En droit international, c’est cette
Convention qui demeure le principal outil
assurant les droits des réfugiés. En 1967,
elle a été additionnée d’un protocole qui
assure une protection aux réfugiés, même
si les événements qui ont généré leur
situation se sont déroulés après 1951, ce
que ne permettait pas la Convention. Le
système de protection des réfugiés, créé
après la Seconde Guerre pour répondre
aux besoins qu’elle avait engendrés, y a vu
là sa seule modification.
Une définition réductrice
L’organe international chargé des réfu-
giés est le Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les Réfugiés (HCR). Ce dernier
doit pallier aux changements qu’engen-
drent l’évolution du contexte interna-
tional, tout en tentant de monnayer avec la
définition réductrice du statut de réfugié.
Là réside la première critique faite au
droit international en la matière; la défi-
nition du statut de réfugié telle qu’établie
par la Convention de 1951 est peu adaptée
à la réalité d’aujourd’hui et représente
une lacune majeure dans l’adéquation
de ce droit. L’absence de notion relative
aux réfugiés économiques et climatiques,
entre autres, exclut de celui-ci nombre de
personnes exilées. De fait, avec les chan-
gements dans la nature des conflits - de
moins en moins internationalisés, donc
souvent internes - et le contexte mondial
actuel où globalisation économique et les
changements clima-
tiques enfantent des
situations jusque là
inconnues, il n’est guère
étonnantdeseretrouver
faceàunsystèmedésuet
et débordé. Bien que le
HCR tente d’élargir son
mandat aux personnes
déplacées, ou « déplacés
internes  » (des «réfugiés» n’ayant pas tra-
versé de frontières internationales), aux
apatridesetauxnouveauxtypesderéfugiés,
les droits fondamentaux de ces personnes,
dans ce contexte, sont aisément bafoués dû
àcettedéfinitionrestrictive.Or,leHCRn’est
pas un organe de contrôle chargé de punir
les contrevenants aux droits des réfugiés. Il
ne peut que tenter de procurer eau, nourri-
ture et abris à ces derniers.
Demandes grandissantes versus
paranoïa exacerbée
Une autre lacune majeure réside dans
l’incapacité du HCR à répondre à une
demande toujours grandissante. Si son
mandat s’élargit d’abord pour des raisons
louables, il alourdit énor-
mément l’organisation et la
paralyse,fautederessources.
En 1999, l’agence de presse
Reuters avait d’ailleurs rap-
porté les propos d’un porte-
parole du HCR œuvrant au
Pakistan et qui incitait les
réfugiés à ne pas se masser
aux portes de l’organisation;
faute de ressources, celle-ci
ne pouvait répondre à leurs
requêtes. Or, malgré la pré-
sence de plusieurs ONG à
proximité des camps (par
exemple la Croix-Rouge et
Oxfam, pour ne nommer que
celles-ci), c’est d’abord et
avant tout le HCR qui coor-
donne les actions. S’il ne
peut suffire, aucun rempla-
çant n’est désigné pour pal-
lier aux demandes.
Dans Refugees and Forced
Displacement, publié aux
presses de l’ONU, Edward Newman sou-
ligne le fait que le HCR était d’abord un
arrangement temporaire pris dans un
contexte de Guerre froide pour assouvir
un désir occidental de subvenir aux
besoins des exilés des régions commu-
nistes, et donc teinté d’intérêt politique.
Aujourd’hui la réalité est toute autre et les
États, profitant de leur souveraineté, met-
tent à l’avant plan la sécurité nationale
comme un argument de taille contre un
afflux massif de réfugiés. Ce qui rend l’in-
tervention auprès des déplacés internes
pris au sein de guerres civiles ou de
conflits au sein du même territoire qua-
si-impossible; la non-ingérence primant
encore et toujours sur les droits humains.
En fait, la sécurité devrait se penser à deux
niveaux, de renchérir Newman. La sécu-
rité étatique est certes primordiale, mais
il faut également considérer la sécurité
humaine comme une priorité; cette der-
nière pouvant, si défaillante, engendrée
des situations où la sécurité de l’État elle-
même est mise en danger.
Qui plus est, depuis le 11 septembre
2001, la paranoïa des États occidentaux
a amené une modification de la percep-
tion des réfugiés par les sociétés. Selon
M.  Valluy, ancien juge à la Commission
des recours des réfugiés en Europe, il y a
eu un retournement du droit des exilés :
ceux-ci sont passés du statut de victime à
celui de danger potentiel, voire de persé-
cuteur. Ainsi perçus par les populations
occidentales, les réfugiés sont de plus en
plus refoulés aux frontières de l’Occident
et se masse dans les pays en développe-
ment. Les plus récents chiffres du HCR
démontrent d’ailleurs que 80  % de la
population réfugiée se retrouve dans ces
pays. De plus, considérant le fait tel que
souligné par M.  Newman, les réfugiés
sont, dans des contextes différents, à la
fois conséquences et causes des conflits.
Il ne faut donc pas s’étonner de l’appa-
rition de problèmes endémiques que
les mouvements de populations engen-
drent dans les pays africains, mais aussi
ailleurs dans le monde. Le HCR ne sait
où se poser dans cette situation délicate
car l’aide financière qui lui est attribuée
repose en très grande partie sur l’Oc-
cident; lui déplaire serait un mauvais
calcul. «Sa position [celle du HCR] était
et est injuste : chargé de protéger les réfu-
giés, ses donateurs s’attendent de plus en
plus à ce qu’il protège leurs frontières»,
affirme M. Newman.
Quel avenir ?
Ainsi, avec une définition qui n’englobe
pas tous les réfugiés, un organe interna-
tional insuffisant et des pays occidentaux
qui refusent d’ouvrir leurs frontières,
les questions demeurent nombreuses à
l’égard de l’adéquation du droit interna-
tional des réfugiés. Bien que certaines
régions du monde, notamment l’Afrique,
l’Amérique latine et l’Europe se soient
dotées de règles propres en la matière,
force est de constater que cet effort ne
reçoit pas écho et est aussi inadéquat.
Il faut toutefois considérer les efforts
du HCR, qui tente d’achever un travail
colossal et d’aider le plus de personnes
possibles. Il faudrait néanmoins donner à
ce géant une assise solide à l’aide d’outils
juridiques efficaces, question de rem-
placer ses fragiles pieds d’argile.
Si les célébrations du cinquantenaire des indépendances de 17 États
africains promettent tout au long de l’année 2010, elles ne sont pas
sans rappeler les legs du colonialisme. Tensions, conflits et guerres
ont fait naître une problématique toujours grandissante en Afrique à
laquelle le droit international répond mal, celle des réfugiés et des
personnes déplacées.
Les réfugiés face au droit international
Une question toujours sans réponse
Le HCR distribuant des vivres HCR
Emilie Desmarais-Girard
candidate à la maîtrise en études internationales
université laval
emilie.desmarais-girard.1@ulaval.ca
Mouvement massif de population en Afrique.
media-2.web.britannica.com
15Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca
Le référendum du 4 août 2009
L’enjeu de ce référendum portait spécifi-
quement sur l’article 36 de la Constitution
nigérienne qui limite le mandat du Prési-
dent de la République à « une période de
cinq ans » au terme de laquelle il « est réé-
ligible une seule fois ». Avec l’adoption de
la nouvelle constitution, le président aurait
la possibilité de prolonger son mandat de
trois ans et de se représenter à des élections
présidentielles futures autant de fois qu’il
le souhaiterait. Selon plusieurs observa-
teurs, le président Tandja qui, veut s’accro-
cher à son règne, s’est octroyé des pouvoirs
exceptionnels en dissolvant l’Assemblée
nationale et la Cour constitutionnelle pour
organiser unilatéralement un référendum
qui se vouait joué d’avance. L’ex-président
de l’Assemblée nationale dissoute et nou-
veau leader du Mouvement de Défense de
la Démocratie et de la République (MDDR),
Mahaman Ousmane, a proclamé dans un
des ses discours que « les actes posés par le
Président de la République pouvaient com-
promettre durablement l’avenir politique
et économique du pays ». De nombreuses
organisations citoyennes nigériennes,
notamment l’Alternative Espaces Citoyens,
se sont rassemblées dans le but d’analyser
la stratégie politique de Tandja. La majorité
des intervenants présents lors des journées
de réflexion ont été unanimes pour dire
que le référendum constitutionnel aurait
des impacts sur la préservation du cadre
démocratique au Niger.
Outre la classe politique et la popula-
tion nigérienne, la communauté inter-
nationale, l’Union européenne, l’Union
africaine et la Communauté économique
des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)
ont réagi promptement en dénonçant
ouvertement les agissements du prési-
dent qui, ont-ils déclaré, sont contraires
au processus démocratique transparent
favorisant l’alternance. L’Union euro-
péenne et la majorité des principaux
États donateurs en matière de dévelop-
pement ont prévenu le Président Tandja
que le dialogue politique devait aboutir
à un compromis acceptable sinon ils se
verraient dans l’obligation d’adopter des
mesures appropriées concernant leurs
programmes de coopération avec le pays,
allant peut-être même jusqu’à la suspen-
sion temporaire de ces derniers.
L’annonce d’un référendum consti-
tutionnel au Niger a également suscité
de vives réactions auprès des quatorze
États membres de la Communauté éco-
nomique des États d’Afrique de l’Ouest
(CEDEAO) qui ont ratifié le Protocole
sur la lutte contre la corruption à Dakar
en 2001 stipulant que les pays membres
doivent proscrire toutes réformes cal-
culées et partisanes de la loi électorale :
« Aucune réforme substantielle de la loi
électorale ne doit intervenir dans les
six mois précédent les élections sans le
consentement d’une majorité des acteurs
politiques ». Par conséquent, si le Niger,
qui a ratifié ce protocole, le contrevient,
il pourrait s’exposer à des sanctions éco-
nomiques de la part de la CEDEAO, de
l’Union Africaine ou même des Nations
Unies.
Faisant fi des pressions extérieures, des
partis politiques de l`opposition nigé-
rienne et de la société civile, le président
Tandja a officiellement annoncé le début
de sa campagne référendaire le 13 juillet
2009 pour la terminer par un plébiscite
le 4 août 2009. La Commission électo-
rale nationale indépendante (CENI) a
annoncé le 7 août 2009 que les « Nigériens
avaient approuvé l’adoption d’une nou-
velle Constitution par 92,50 % des votes,
avec un taux de participation de 68  %  »
Dans les faits, selon l’opposition, le taux
de participation aurait plutôt été de 5  %.
Deux mandats contestés
Au cours de ses dix années passées au
pouvoir, le président Tandja a fait face à de
nombreux opposants qui lui reprochent
notamment son intransigeance et son
refus de négocier ses visions quant à sa
façon de gérer le pays et dans ses relations
diplomatiques. Plusieurs observateurs
se souviennent particulièrement de son
refus à reconnaître la rébellion touareg
et à entamer un processus de dialogue
pacifique. D’autres n’ont pas oublié son
intransigeance à accepter la famine qui a
frappée le Niger en 2005 et lui reproche de
ne pas avoir pris rapidement des mesures
permettant d’enrayer l’insécurité alimen-
taire dans le pays. Finalement, plusieurs
opposants aux politiques de Tandja ont
constaté une intensification importante
du pillage des ressources publiques, pro-
venant notamment de l’aide internatio-
nale et de la rente minière depuis son
arrivée au pouvoir. Un audit organisé par
l’Union européenne en 2001 a d’ailleurs
dénoncé l’existence de cette situation
alarmante.
Voilà maintenant qu’après des élections
truquées remplies d’irrégularités telles,
la monopolisation et l’instrumentalisa-
tion des médias publics et la fabrication
d’une volonté populaire, l’adoption de la
nouvelle Constitution ne fait qu’ajouter à
la déception de la population nigérienne
qui traverse actuellement une période de
crise tant sur les plans économique, social
que politique.
Un coup d’État
attendu ?
Le 18 février
dernier, un coup
d’État organisé
par le Conseil
suprême pour la
restauration de la
démocratie (junte
militaire) dirigé
par le Chef Salou
Djibo, a permis de
renverser le pré-
sident Tandja et
quelques minis-
tres au pouvoir.
Malgré les balles
tirées qui on fait quelques morts et blessés,
ce nouveau coup d’État n’a pas surpris ni
effrayé le peuple nigérien qui a déjà subi
de tels évènements à trois reprises aupara-
vant, soit en 1974, en 1996, et en 1999. Aus-
sitôt au pouvoir, le Chef de la junte s’est fait
rassurant en s’adressant à la population
par le biais de la radio nationale précisant
que la seule « ambition du Conseil est d’ac-
compagner le retour à la démocratie dans
notre chère patrie ». Au cours de la même
journée, le Conseil a désigné Mahamadou
Danda, ex-ministre en 1987 et 1999 et
ancien conseiller politique au Bureau de
l’ambassade du Canada, comme premier
ministre du gouvernement de transition.
Ce dernier s’est empressé d’apaiser la com-
munauté internationale et les instances
africaines quant à la volonté de la junte
d’organiser des élections démocratiques,
au terme d’une transition dont la durée n’a
pas encore été déterminée.
En date du 12 mars 2010, le Chef Djibo a
signé une ordonnance qui rend inéligibles
les militaires, les paramilitaires, les minis-
tres et les membres du Conseil suprême
de restauration de la démocratie aux pro-
chainesélections.Cetteinitiativeaétébien
reçue par la communauté internationale
et la société civile, qui voient en ce geste
une intention sincère de poursuivre les
démarches de démocratisation. En atten-
dant de voir la suite des évènements, plu-
sieurs observateurs de la scène politique
se demandent si la junte militaire pourra
enfin ramener la démocratie au Niger
comme elle l’a déjà fait au Ghana. Le Niger
pourra-t-il un jour joindre les rangs des
pays les plus démocratiques de l’Afrique ?
Seul l’avenir pourra nous le dire…
Le 26 mai 2009, le président de la République du Niger, Mamadou
Tandja, a dissout l’Assemblée nationale puis, un mois plus tard, la
Cour constitutionnelle qui s’opposaient toutes deux à son projet de
référenduM. Après avoir limogé son premier ministre Hama Amadou
et le président de l’Assemblée nationale, Mahaman Ousmane, le chef
de l’État Tandja est allé de l’avant avec son référendum qui, selon
ce dernier, donnerait la chance aux Nigériens de se prononcer sur
la nouvelle constitution, mais surtout démontrer la volonté de « son
peuple à le voir rester au pouvoir ».
DOSSIER AFRIQUE
La junte militaire pourra-t-elle ramener
la démocratie au Niger ?
Catherine Dandonneau
candidate à la maîtrise en études internationales
université laval
catherine.dandonneau.1@ulaval.ca
16 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca
Plus de la moitié de ceux que certains ont
baptisés les « fous de la mer » sont Sénéga-
lais.LeSénégal,traditionnellementunedes-
tination d’immigration, est devenu un pays
d’émigration. C’est au tournant des années
1980quecettetransitions’estopérée,letaux
d’émigration surpassant dorénavant le taux
d’immigration. La situation économique va
de mal en pis depuis le début des années
1970 en raison de la fluctuation du prix des
matières premières, d’une dette décuplée
par la hausse faramineuse des taux d’in-
térêt aux suites des deux chocs pétroliers
et des conséquences désastreuses des pro-
grammes d’ajustements structurels. Malgré
une relative stabilité politique et une situa-
tion géographique avantageuse lui permet-
tant d’être l’un des pays les plus industria-
lisés de l’Afrique de l’Ouest, le Sénégal ne
figure qu’au 169e
rang de l’Indice de Déve-
loppement Humain (IDH). Avec un PIB
per capita annuel d’à peine 1600 $ (PNUD
2009), des infrastructures sanitaires et
sociales lacunaires et une pression sociale
constante pour supporter financièrement
leur famille, l’on peut comprendre que les
jeunes hommes célibataires peu scolarisés
soient les principaux candidats à l’exode
vers les pays développés, comme l’indiquait
Papa Demba Fall en 2006 dans sa confé-
rence Les Îles Canaries : le nouveau « Lampe-
dusa » des Subsahariens de l’ouest.
Pour celui qui désire émigrer, l’obtention
d’un visa européen ou américain constitue
lemoyenidéald’échapperauxconditionsde
vie difficiles de son pays pour de meilleurs
horizons. Malheureusement, le nombre de
visas officiels distribués ne satisfait qu’une
infime proportion des demandeurs. L’adage
« beaucoup d’appelés, peu d’élus » illustre
bien la nécessité de se tourner vers d’autres
options nécessitant parfois une créati-
vité nouvelle. Parmi cet éventail limité de
moyens, notons la possibilité d’acquérir son
visaauprèsd’intermédiaires.Leprixduvisa
varie, selon la commission prise par l’inter-
médiaire, et peut avoisiner les 4500 $CAN,
une somme démesurée lorsque l’on consi-
dère le PIB par habitant. Le succès de l’opé-
ration ne peut être garanti, certains inter-
médiaires se faisant prendre par la police
ou disparaissant dans la nature. Malgré
tout, certains Sénégalais tentent cette expé-
rience à plusieurs reprises.
Une fois l’option d’un voyage légal (i.e.
en possession d’un visa) en avion écartée,
demeure celle de la traversée du désert, qui
peut prendre jusqu’à trois mois et comporte
moult dangers. Depuis 2005, on recourt
de moins en moins à cette pratique en
raison d’une surveillance accrue des fron-
tières et d’une consolidation des mesures
sécuritaires. Faute d’alternatives, la route
maritime vers les Îles Canaries jouit d’une
popularité récente. En effet, depuis son
émergence en décembre 2005, le phéno-
mène de l’exode en pirogue, ou mbëkk (lit-
téralement « donner un coup de tête »), est
rapidement devenu une option attrayante
pour ceux qui rêvent d’une vie meilleure.
Le succès de cette «  pratique circonscrite
à quelques villages de pêcheurs et secrète-
ment diligentée dans le cadre de stratégies
familiales et parentales  » (Fall) a tôt fait
d’attirer des candidats à l’émigration issu
de tout le pays. Fall identifie le mois d’avril
2006 comme celui où le mbëkk s’est trans-
formé en un phénomène de masse et s’est
étendu à d’autres ports d’embarquement.
Pour se payer l’onéreuse place à bord
d’une pirogue, les migrants vendent leurs
effets personnels (chaîne stéréo, télévision,
scooters, bijoux, etc.). Bien souvent cela
requiert un effort collectif dans l’entourage
de celui qui partira. Dans son article Crise
de la citoyenneté en Afrique et responsabilité
des élites : la question de la migration clan-
destine publié en 2008, Fatou Sarr dénote
quel’émergencedecettepratiqueaentraîné
l’appauvrissement des femmes qui doivent
souvent vendre le peu d’effets personnels
qu’elles possèdent, voire s’endetter, afin de
permettre le départ de leur enfant. Lors de
mon passage au Sénégal en 2007, Ibrahima
Camara, retraité et père d’une nombreuse
famille, me racontait l’histoire d’un homme
tivaouanais (i.e. de Tivaouane, une ville à
une centaine de kilomètres de Dakar) qui
avait vendu sa maison et laissé sa petite
famille aux bons soins de parents éloignés
pour se retrouver, au terme d’un bref voyage
en pirogue, sur les côtes de St-Louis, une
villeàmoinsde200kmdeTivaouane.Ayant
sacrifié le maigre pied qu’il avait su acquérir
au cours de sa vie, cet homme est revenu
bredouille avec comme seul but d’amasser
à nouveau les fonds afin de retenter cette
expérience.
Les autorités sénégalaises ont agi de
concert avec les pays européens afin de
mettre sur pied différents programmes
et mesures visant à endiguer ce phéno-
mène. Un accord a été conclu avec l’Es-
pagne  : des policiers sénégalais ont été
envoyés aux Îles Canaries afin d’identi-
fier leurs compatriotes et de les rapatrier.
Un programme en trois phases, Hera I, II
et III fut mis sur pied pour renforcer les
capacités technologiques et accroître la
surveillance aérienne et côtière, identi-
fier et rapatrier les migrants sénégalais
illégaux et les interroger afin de cerner les
failles leur ayant permis de contourner
les mesures sécuritaires et d’atteindre
l’archipel. Ces efforts déployés conjoin-
tement ont, semble-t-il, porté des fruits
puisque le Président Wade clamait, lors de
son discours de fin d’année, qu’en 2009,
aucun départ en pirogue n’avait été enre-
gistré. Néanmoins, il soulignait l’impor-
tance de maintenir ces efforts.
Les conditions de la traversée sont par-
fois effroyables. À titre d’exemple, certains
groupes de migrants peuvent rester des
jours sans manger ni boire, si le temps et
la mer n’ont pas été cléments, ou si le capi-
taine n’a su maintenir le cap. Certains ne
peuvent supporter le soleil, certains ont le
mal de mer et meurent déshydratés. Dans
ce cas, pour seules obsèques le défunt
sera balancé par-dessus bord. Une autre
pratique démontrant le désespoir des
jeunes migrants est celle que Fall identifie
comme le lang avion, ou le squat du train
d’atterrissage d’un avion. En 1999, un
jeune Sénégalais ayant auparavant réussi
à atteindre Lyon de cette façon est mort,
en tentant à nouveau sa chance après
avoir été rapatrié. Différents événements
similaires, impliquant tour à tour Came-
rounais, Guinéens, Algériens, Congolais,
etc. se sont produits depuis.
À la lumière de cette réalité affligeante,
l’on peut s’interroger sur les motivations
qui poussent ces jeunes africains à se
lancer dans des entreprises aussi dange-
reuses, voire suicidaires. La note laissée
par les deux jeunes Guinéens retrouvés
morts dans un avion assurant la connexion
Conakry-Gbessia est poignante et révéla-
trice de la misère vécue : « vous voyez que
nous sacrifions nos vies parce que nous
les enfants nous souffrons beaucoup en
Afrique  ». Nous sommes donc confrontés
au triste constat que les jeunes africains ne
voient pas les possibilités d’un avenir lui-
sant sur leur terre natale. Pourquoi ? Sarr ne
ménage pas ses mots. Selon elle, « la migra-
tion de jeunes africains vers l’Europe est
d’abord imputable aux politiques de déve-
loppement qui depuis la période coloniale
ont rendu l’Afrique exsangue ». Si certains
pensent que cette affirmation devrait être
nuancée, il demeure néanmoins que les
peuples africains ont souvent dû assumer
des choix qui n’étaient pas les leurs, que
ces choix soient ceux du colonisateur ou
de l’élite dirigeante. La décolonisation en
Afrique ne peut être considérée véritable-
ment comme l’acquisition de la liberté de
ces peuples, puisque la majeure partie de
la société civile demeure prisonnière de
conditions de vie consternantes. Une partie
du problème peut certes être attribuée à la
période coloniale qui chamboula à jamais
les modes de vie et de pensée des Africains,
mais il serait réducteur d’attribuer au colo-
nisateur l’entièreté des maux dont souffre
aujourd’hui l’Afrique. En somme, la survie
de ce continent ne peut être assurée que par
une réelle appropriation de leur État par les
citoyens, ce qui passe nécessairement par
une démocratie inclusive et la réduction
des inégalités sociales et entre genres. Le
relèvement de l’Afrique ne sera possible que
lorsque celle-ci prendra conscience et assu-
mera sa part de responsabilité et du rôle
qu’elle doit jouer dans cette émancipation.
En 2006, plus de 30 000 migrants originaires de l’Afrique de l’Ouest
atteignent les Îles Canaries. Des côtes sénégalaises d’où est partie
la majorité d’entre eux, cela signifie un voyage de 1 500 kilomètres
en haute mer dans de simples pirogues. Ce voyage d’une durée
de sept jours peut constituer un tremplin vers la liberté comme un
aller direct pour l’au-delà. En effet, nombreux sont ceux qui n’attei-
gnent jamais la terre promise et qui ne reviennent jamais de cette
traversée. Vu la clandestinité de l’opération, il est difficile de chiffrer
avec exactitude le nombre de gens qui n’ont pu atteindre les côtes
des Îles Canaries, mais l’on estime que plusieurs milliers de migrants
ont terminé leur périple dans les abîmes de l’océan. Depuis cette
année record, le phénomène s’est significativement résorbé grâce
aux efforts conjoints de l’Europe et des autorités sénégalaises, mais
le président sénégalais Wade soulignait dernièrement qu’il demeure
nécessaire de continuer dans cette lignée.
Audrey Auclair
candidate à la maîtrise en études internationales	
université laval
audrey.auclair.1@ulaval.ca
La pirogue est synonyme de gagne-pain pour bien des Sénégalais, mais pour certains
c’est un instrument pouvant mener vers une vie meilleure.
Audrey Auclair,
Sénégal 2007
L’immigration clandestine vers l’Europe
L’exode en pirogue : quitter à tout prix
17Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca
Les attaques terroristes du 11 sep-
tembre 2001 ont eu un impact profond
sur la perception du monde par les
militaires et politiciens. La nouvelle
réalité ne pouvait plus être ignorée; les
menaces d’aujourd’hui sont multiples et
souvent provenant d’États qui sont fai-
bles ou défaillants. L’OTAN c’est donc
muni d’une stratégie proactive et d’une
force de réponse rapide (La NRF) pour
intervenir dans tout conflit régional
avant qu’il devienne un problème inter-
national. Ceci coïncide avec le chan-
gement de la perception de l’Afrique et
son importance stratégique, surtout en
ce qui concerne quelques États et leur
potentiel comme berceau pour le terro-
risme, le trafic de drogues, la piraterie,
les problèmes de réfugiés et la menace,
que sont les conflits régionaux, aux
investissements étrangers occidentaux.
L’OTAN agit donc sur le continent
africain pour promouvoir la stabilité et
l’ordre, mais elle le fait en collaboration
avec les pays volontaires, l`ONU et les
organisations régionales comme Union
Africaine et l’Union Européenne. Ceci
démontre un effort de coopération pour
la sécurité collective, une recherche de
synergie pour augmenter l’efficacité
des missions, et une manière d’utiliser
les compétences spécifiques à chaque
entité afin de partager l’expertise et
d’éviter la duplication.
Active Endeavour
et Mediteranean Dialogue
L’espace méditerranéen, en plus d’être
géographiquement adjacent à l’Europe,
se voit être le lieu de transit de 65  % du
pétrole et du gaz naturel consommés par
les pays d’Europe de l’Ouest. C’est donc
pour cela que depuis le Athens Council
Statement de 1993, elle est mentionnée
explicitement comme intérêt straté-
gique pour l’OTAN. En octobre 2001,
suite au 11 septembre, une flotte perma-
nente portant le nom d’ « Active Endea-
vour » a été donnée comme mission de
patrouiller la Méditerranée. L’OTAN
jumela à cet effort en 2006 le «  NATO
Training Cooperation Initiative  ». Ce
programme vise au transfert d’exper-
tise pour moderniser les structures de
défense, une meilleure coordination des
institutions militaires et l’entraînement
des forces de sécurité des pays du « Medi-
teranean Dialogue », un forum de coo-
pération entre l’OTAN, la Mauritanie, le
Maroc, la Tunisie, l’Égypte, Israël, la Jor-
danie et l’Algérie. Ainsi, aidant les États
volontaires à augmenter leur capacité de
gestion de la sécurité dans la région.
Les opérations en sol africain
l’OTAN opta pour intervenir au
Soudan mais seulement en tant que
force de support. Décision prise suite à
un calcul stratégique incluant plusieurs
variables comme le besoin de légitimité,
la limite de capacités et la compétition
avec d’autres organisations de défense
collective. Le président de l’Afrique du
Sud d’alors, M.  Mbeki, représente bien
le désir qu’avait l’Union Africaine d’être
l’organisation primaire à gérer le conflit
en déclarant au Washington Post : « Il est
critiquequelecontinentafricains’occupe
de ces situations de conflit, cela inclus
le Darfour…. Nous n’avons demandé à
personne de l’exté-
rieur de fournir des
troupes au Darfour.
C’est une respon-
sabilité africaine
et nous pouvons
le faire  ». L’OTAN
aux prises avec la
mission en Afgha-
nistan n’était pas
en mesure d’agir
mais était plus
qu’enthousiaste de
répondrefavorable-
ment à la demande
d’aide logistique
à l’entraînement
de troupes et le
transport aérien
de matériel et d’effectifs pour la mission
AMIS de l’Union Africaine. Depuis, l’al-
liance agit en concert avec l’UA, UE et
l’ONU au Darfour.
Une situation similaire a eu lieu en
Somalie, où une mission de l’Union
Africaine (AMISOM) a été créée en
2007 pour contrecarrer l’expansion des
forces favorables
à l’Islamic Courts
Union, qui met-
taient en danger
le gouvernement
central faible et
étaient jugées
favorables au radi-
calisme islamiste.
Avec le support
militaire des États-
Unis et logistique
de l’OTAN, l’Union
Africaine assura le
contrôle du pays.
La situation dans
ces deux pays y est
encore précaire,
l’instabilité y règne
encore, et l’OTAN
multipliesesefforts
pour venir combler
les lacunes des
organisations sur
leterrainenoffrant
son expertise en contreterrorisme, coor-
dination et maintien de la paix. Ainsi le
dialogue, les programmes d’entraîne-
ment et la collaboration sont devenus
quasi-permanents entre l’OTAN, l’Union
Africaine et le gouvernement Somalien.
L’action unilatérale de l’OTAN est appré-
hendée par l’État major et ne sera qu’em-
ployée en dernier recours.
L’opération Ocean Shield
Ceci peut être facilement la mis-
sion de l’OTAN la mieux connue et la
plus médiatisée. Il s’agit de la flotte
qui patrouille les eaux environnant
la Somalie, où il y a depuis 2008 une
recrudescence de la piraterie. Même
dernièrement, le monde a pu lire dans
les journaux internationaux à propos
de la destruction d’un navire pirate par
un destroyer danois. Cette mission a
récemment été officiellement prolongée
jusqu’en 2012 par l’OTAN qui a aussi fait
vœu d’une meilleure coordination avec
les nombreux navires non-membres de
l’alliance dans la région, qui sont venus
assurer le transit commercial, de biens
et d’énergie, par le canal de Suez.
Interopérabilité et coopération
L’OTAN fait face au dilemme d’une
limite de ses capacités et la volonté d’in-
tervenir dans les conflits régionaux avant
qu’ils ne deviennent transnationaux.
Avec les missions en Afghanistan, Iraq,
au Kosovo, et la création de la Politique
européenne de sécurité et de défense
(PESD) par l’UE, l’OTAN a vu ses effec-
tifs disponibles diminués énormément.
Quelquespartiesdel’Afriqueétantencore
très instables et étant des lieux propices
au radicalisme, depuis longtemps vu par
les généraux de l’OTAN comme un pro-
blème potentiellement aussi sérieux que
le communisme. L’alliance a donc vu
dans les nouvelles organisations régio-
nales comme l’Union Africaine des par-
tenaires potentiels pour assurer l’ordre
et minimiser le développement d’États
voyous, comme l’Afghanistan. La coor-
dination entre eux pourrait utiliser les
capacités de chacune pour atteindre
un objectif commun de stabilité tout en
limitant la duplication et le gaspillage
de ressources. L’ONU, quant à elle, se
voit donnée le rôle de légitimateur de
ces missions et de maintien de la paix et
reconstruction suite à la stabilisation de
la région par les forces armées des diffé-
rentes alliances. Cette coordination de
plus en plus étroite entre les différentes
entités internationales nous donne beau-
coup d’espoir pour un futur meilleur.
Depuis 2005, l’OTAN conduit des opérations en Afrique et sa présence
ne fait qu’augmenter. Avec le temps, les effectifs de l’OTAN ont pris
position au Soudan dans la région du Darfour, en Somalie sur le terri-
toire et dans les eaux avoisinantes, et partout en Afrique du Nord sauf
en Lybie et au Sahara occidental. L’OTAN est aussi allée jusqu’à faire
un exercice de déploiement massif de ses forces de réaction rapide
(NRF) au Cap Vert en 2006. Cependant, la nature de cette présence ne
doit pas être perçue comme une menace à la souveraineté des États
africains, mais plutôt comme une aide pour encourager la paix et la
sécurité dans la région.
Arber Fetiu
candidat au baccalauréat en études internationales
et langues modernes
université laval
délégation d’otan laval - otan.laval@hei.ulaval.ca
arber.fetiu.1@ulaval.ca
L’OTAN en Afrique
DAMIAN KOTZEV
candidat à la maîtrise en études internationales
université laval
délégation d’otan laval - otan.laval@hei.ulaval.ca
damian.kotzev.1@ulaval.ca
Des casques bleus de l’ONU à dos de chameau OTAN
Le commandant de la NATO Task Force, Commodore Steve Chick,
Royal Navy, avec des membres du gouvernement somalien
OTAN
18 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca
Plus que jamais, on apprend à réflé-
chir et à s’intéresser au Brésil, à travers
un regard autre que celui de l’exaltation
face à sa beauté édénique, de la joie de
son peuple, et de l’exotisme de ses para-
doxes. Sans doute, l’une des plus magis-
trales contradictions brésiliennes est
mise en évidence par la figure emblé-
matique qu’est le président Lula. Cet
ancien métallurgiste et véritable enfant
de la pauvreté est devenu le premier pré-
sident du Brésil du XXIe
siècle. Lors de
son discours d’investiture, il déclarait
avoir décroché son « premier diplôme »,
celui de «  président du Brésil  ». L’élec-
tion de Lula à la présidence a quand
même représenté un symbole de la
réussite populaire au pouvoir, comme
si la population elle-même gravissait les
marches du Palais du Planalto et était
entourée d’un souffle d’espoir de voir
se concrétiser une impulsion démocra-
tique dans le pays.
Aujourd’hui, l’éveil brésilien sur la
scène internationale - entrepris depuis
lesannées1990etmodeléultérieurement
par la politique extérieure du président
Lula - confère une résonance mondiale
au débat quant au candidat qui pourra
lui succédera. Celui-ci se chargera du
poids imposant d’une destinée mani-
feste affirmée dans le drapeau national
brésilien et dans l’hymne national répu-
blicain. La devise comtienne et posi-
tiviste «  ordre et progrès  » du drapeau
et les hommages rendus au «  géant  »,
«  colosse impavide  », dont «  l’avenir
reflète cette envergure » embrassent un
pays qui a toujours cru en son potentiel,
malgré ses difficultés.
En définitive, un coup d’œil sur quel-
ques événements internationaux semble
bien indiquer la recherche brésilienne
pour sa place dans le monde. Au bout du
compte, comme l’annonçait le quotidien
FolhadeSãoPauloenjuin2009,quiaurait
pu croire que le pays deviendrait contri-
buteur, après de laborieuses années de
dette, au Fond monétaire international
(FMI) en mettant jusqu’à 4,8 milliards
de dollars à la disposition de l’institu-
tion ? Faisant référence aux propres mots
du président Lula, l’acte représenterait
le changement d’une position de pros-
ternation « à genoux » par l’affirmation
de « l’autorité morale ». Une autorité qui,
d’ailleurs, a été bien présente pendant
son mandat. Après tout, ce n’est pas tous
les jours que quelqu’un gagne le titre de
l’homme politique le plus populaire du
monde, comme Barack Obama l’a pré-
senté en marge de la rencontre du G20 à
Londres, en avril 2009. La scène vient de
faire le tour du monde comme l’expres-
sion métaphorique de la prodigieuse
mutation qu’a connue la politique brési-
lienne au cours de ces dernières décen-
nies, démontrant quand même une cer-
taine audace. Plus récemment, la presse
internationale a mis en relief l’appui
brésilien au programme nucléaire ira-
nien, malgré la pression américaine
pour aller dans l’autre sens; l’effort pour
s’imposer comme acteur déterminant
pour la paix dans le monde arabe; son
désir de siéger de façon permanente au
Conseil de sécurité des Nations Unies; et
sa surtaxe sur des produits américains
pour forcer les États-Unis à mettre fin
aux subventions sur le coton, après avoir
appelé le « camarade Obama » à régler le
litige commercial à l’Organisation mon-
diale du commerce (OMC).
En contrepartie, si le Brésil refuse de
croire en sa soumission et dépendance
à l’échelle mondiale, le slogan «  Brésil
pour tous » ne s’est pas encore concré-
tisé au niveau interne. L’action diplo-
matique «  guidée par une perspective
humaniste » comme « un instrument du
développement national  » selon le dis-
cours présidentiel n’est certes pas une
perspective très exaltante.
En ce sens, la dette sociale - qui a
contribué à faire du Brésil ce qu’il est
aujourd’hui : à la fois, un pays riche et un
pays pauvre - n’est pas facile à régler. Elle
relève de l’histoire. Essentiellement, il
fallait aller jusqu’au bout de l’expérience
historique pour comprendre l’origine de
ses dilemmes. Ainsi, il est inévitable de
considérer le processus brésilien d’alter-
nances politiques épousant assez étroi-
tement les réalités sociales. On ne sau-
rait surestimer l’empreinte d’un système
économique qui a prévalu durant trois
siècles de l’histoire du Brésil, soit depuis
sa découverte par les Portugais.
Dans un sens, le processus de coloni-
sation a contribué à la « coformation »
de l’identité brésilienne, esquissant
quelque chose de relativement nouveau
entermesdesociété,mentalitéetculture,
au point de devenir un riche laboratoire
pour les interprétations sociologiques et
artistiques. La préservation de son unité
territoriale, les cycles économiques
coloniaux et l’histoire des trois ethnies
fondatrices, solidifiant l’architecture
sociale, ont forgé une nationalité qui
s’est éloignée du projet européen, inau-
gurant l’originalité brésilienne basée sur
une culture de synthèse et une nation
métisse. Par contre, cette originalité n’a
pas su produire une autonomie et une
dynamique propre et capable, après l’in-
dépendance politique, de façonner une
nation plus juste, développée et souve-
raine. Le régime imposé de l’extérieur a
conditionné le Brésil à une place subal-
terne, lui conférant un héritage dysfonc-
tionnel, soit de servir aux autres et non
à lui-même. La formation de la nation
brésilienne a été définie en référence à
un système « patrimonialiste » et clien-
téliste, dans lequel l’alliance entre le
pouvoir économique et le pouvoir poli-
tique n’a jamais été capable d’intégrer la
population, la reléguant à l’exclusion et
à la pauvreté. Du point de vue externe,
la condition périphérique du Brésil a été
consacrée, entraînant une énorme per-
plexité et une inquiétude autour de l’af-
firmation de son identité et de sa quête
du développement.
Aujourd’hui, à l’ère de la mondiali-
sation et de l’interdépendance entre
les États, si le Brésil révèle un compor-
tement différent de sa conduite histo-
rique, les vieux problèmes et les mêmes
thèmes subsistent dans son agenda. Pio
Penna Filho, expert en relations inter-
nationales, soutient que les objectifs à
atteindre demeurent le besoin de rompre
avec l’héritage colonial, de surmonter le
sous-développement, de moderniser les
institutions et de corriger les déforma-
tions sociales. À ce propos, vers quelle
direction se dirige désormais le Brésil ?
Chico Whitaker, l’un des initiateurs
des Forums sociaux mondiaux, croit
même en un échec du projet de chan-
gement. Cela est vrai si l’on pense  au
déséquilibre causé par la poursuite
prioritaire du remboursement de la
dette économique au détriment de celui
de la dette sociale; aux efforts commer-
ciaux tournés vers l’extérieur, tandis
que le marché intérieur reste oublié; aux
politiques sociales compensatoires qui
ne contribuent pas au développement;
ou à l’absence d’une réforme politique
pour l’amélioration de la participation
citoyenne et l’introduction des mesures
progressistes.
Certes, l’État est une réalité historique.
Il n’existe pas seul et ne se transforme
pas par lui-même. On parle au nom d’un
État encore en devenir, qui ne veut pas
être arrêté dans sa volonté d’exister.
Toutefois, ce désir de puissance doit
être articulé à une contrepartie interne.
Une politique qui place le peuple dans
le centre décisionnel et dans la logique
directe des activités est indispensable
pour rompre avec l’héritage colonial.
Il faut aussi que les citoyens entrent en
scène, à part entière. Si le passé histo-
rique du Brésil ne tend pas naturelle-
ment vers une vie démocratique efficace,
la démocratie peut se construire grâce
à la volonté des acteurs. Alors que tous
les débats sur l’avenir du pays tournent
autour de son passé, la politique exté-
rieure brésilienne ne peut pas rejeter
la réalité nationale dans ce qu’elle a de
différent, de difficile et d’irréductible. Il
ne s’agit pas encore d’agiter le drapeau
vert et jaune, sauf pour les matchs de la
Coupe du monde de football… Toutefois,
les corrections d’itinéraire sont possi-
bles, après tout, si « Dieu est brésilien »,
alors toutes les voies sont ouvertes !
2010. Les Brésiliens se préparent pour deux événements majeurs
qui viendront animer leur vie quotidienne : la Coupe du monde de
football et les élections présidentielles. Rien n’est plus représen-
tatif. D’un côté se pose l’image folklorique du Brésil comme la terre
de Pelé, du Carnaval et des beautés naturelles. D’un autre côté, la
patrie de la samba se révèle beaucoup plus complexe que ne le
laissent paraître les clichés.
Fernanda Kundrát Brasil
candidate à la maîtrise en études internationales	
université laval
fernanda.brasil.1@ulaval.ca
DOSSIER AMÉRIQUES
Le Brésil : entre les étoiles
et les comptes avec son passé
19Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca
São Paulo est incontestablement la
grande métropole sud-américaine.
Elle concentre beaucoup d’entreprises
transnationales et constitue un nœud,
en fonctionnant comme un point de
connexion de l’économie régionale avec
des réseaux mondiaux. L’image des
innombrables tours à bureaux qui com-
posent le paysage urbain de São Paulo
est répandue partout dans le monde.
Toutefois, les conditions de formation
de cette métropole restent très peu
connues, ainsi que leur articulation avec
le cadre économique mondial.
La formation de la ville industrielle
En 1910, São Paulo comptait une petite
population de 375 439 habitants. Il s’agis-
sait plutôt d’un point qui assurait la
liaison entre les régions de culture du
café et le port de Santos, où la produc-
tion était négociée et exportée vers les
marchés européens et nord-américains.
En raison de difficultés techniques, il n’y
avait qu’une voie ferrée arrivant à Santos.
C’était à partir de la ville de São Paulo que
les chemins de fer s’étendaient jusqu’aux
plantations de café, dans l’État de São
Paulo. À cette époque-là, la monocul-
ture du café était la principale source de
richesse du pays.
À la fin du XIXe
siècle, c’était les besoins
de la caféiculture de São Paulo qui com-
mandaient le rythme de l’immigration
au pays, dont les vagues majeures étaient
composées principalement des Italiens,
des Allemands et des Japonais.
La présence des Italiens dans la ville de
São Paulo a été fondamentale au début
de l’industrialisation, soit comme main-
d’œuvre ouvrière soit pour leur savoir-faire
apporté au pays. En 1901, environ 90  %
des 50  000 ouvriers à São Paulo étaient
d’origine italienne. Malgré le fait d’être
attirées au pays pour le travail agricole,
les mauvaises conditions dans les cam-
pagnes de l’État de São Paulo stimulaient
l’établissement des familles d’immigrants
à São Paulo. De plus, de nombreux Italiens
se consacraient à la production manu-
facturière, telles celles de vêtements et de
chaussures, car il y en avait parmi eux qui
connaissaient déjà ces activités dans leur
pays d’origine, ce qui favorisait encore plus
leur établissement dans la ville.
Pendant la Première Guerre mondiale, le
Brésil a connu une forte crise dans l’expor-
tation du café, car ses principaux marchés
consommateurs étaient en guerre. Paral-
lèlement, il y a eu une pénurie de produits
industriels, puisque le pays était presque
complètement dépendant de l’importation
des biens manufacturés. Le capital accu-
mulé par la caféiculture a permis l’instal-
lation massive d’usines à São Paulo. La ville
réunissait les principales conditions pour
faire déclencher une «  Révolution indus-
trielle » :duréseaudetransport(leschemins
de fer), du capital et de la main-d’œuvre.
Dans les premières décennies du XXe
siècle, l’exode rural interne au pays a aussi
joué un rôle important dans l’industrialisa-
tion, en composant un marché de consom-
mation très expressif. De plus, le manque
de concurrence a laissé place au développe-
mentdenombreusesentreprisesnationales
pour la production des biens de consom-
mation non durables, tels la nourriture et
les vêtements.
Au long de la Deuxième Guerre mondiale,
le gouvernement fédéral a bâti plusieurs
usines de biens de production, notamment
la sidérurgie. L’État de São Paulo n’a pas été
fortement favorisé par ces investissements,
étant donné que son gouvernement s’op-
posait au pouvoir fédéral. Cependant, dans
l’après-guerre, sa région métropolitaine a
été l’endroit ciblé pour l’installation de l’in-
dustrie automobile. Durant les trois décen-
nies suivant la période de guerre, la produc-
tion automobile massive se déclencherait
progressivement par la mise en place des
principales entreprises de construction
automobile, tels Wolkswagen, Chevrolet,
Ford et Fiat. São Paulo devient donc une
puissante région industrielle, commandée
principalementparlecapitalétranger,étant
donné que les entreprises transnationales
étaient de plus en plus nombreuses.
Ce moment correspond à un virage éco-
nomique très important dans l’histoire du
pays, puisque le modèle de développement
adopté privilégiait l’attraction du capital
étranger.Eneffet,ils’agitdu« trépied capital
étranger, capital national et celui de l’État » :
l’État investissait dans la construction de
l’infrastructure pour la production et le
transport des marchandises, en favorisant
certains secteurs économiques nationaux,
telle la construction civile; ainsi se créaient
les conditions pour la mise en place des
entreprises transnationales au pays.
Selon l’étude São Paulo 450 anos : de vila
a metrópole, publiée en 2004, les données
démographiques révèlent la croissance
extraordinaire de São Paulo  : en 1930, un
million de personnes vivaient dans la ville;
en 1950, ce chiffre s’est dupliqué; et en 1960,
il attendrait 3,7 millions.
Pour loger les gens qui arrivaient de par-
tout au pays, il fallait constituer des poli-
tiques d’étalement urbain, cependant la
solution adoptée semblait être plutôt une
antipolitique. En fait, le pouvoir public
fermait les yeux sur la transformation des
fermes en projets résidentiels, les lotisse-
ments irréguliers. Les lots étaient vendus
à bas prix aux familles qui se chargeaient
du bâtiment par l’autoconstruction. C’est
l’origine de la banlieue de São Paulo. La pré-
sence de favelas se ferait noter plus tard, à
partir des années 1980.
La grande métropole tertiaire
Dans les années 1990, la concurrence
entre les États fédérés prenait son élan
afin d’attirer des usines et des entreprises
industrielles, ce qui a été nommé « guerre
fiscale  ». Il s’agit de l’offre d’exemption
d’impôt (entre autres mesures) de la part
des gouvernements des États fédérés, et
même des municipalités dans un même
État fédéré. Un des résultats de ce pro-
cessus a été la délocalisation des usines à
plusieurs échelles.
L’autre côté du phénomène de décon-
centration des usines est la concentration
des sièges des entreprises industrielles
à São Paulo, en fonction de l’existence
d’infrastructure de transport et de com-
munication, ainsi que de l’offre de main-
d’œuvre qualifiée. Ce processus concerne
principalement aux tâches de gestion de
la production et du capital de l’entreprise.
À São Paulo, on trouve actuellement au
moins trois agglomérations centrales : le
centre-ville, où se concentrent les com-
merces de détail et les services juridiques;
l’avenue Paulista, le cœur financier et
culturel de la métropole; et le pôle Berri-
ni-Marginal, le nouveau centre d’affaires.
Chacune de ces centralités exprime les
conditions de production de l’espace de
São Paulo à un moment précis. Dans les
années 1950, lorsqu’on trouvait une ville
entourée de quartiers, le centre-ville était
le noyau de la vie urbaine. L’avenue Pau-
lista symbolise la force de l’économie
industrielle dans la ville. C’est là qu’on
trouve le siège de la fédération des Entre-
prises industrielles de l’État de São Paulo.
Quant au pôle Berrini-Marginal, il s’agit
du cœur de la nouvelle économie, celle de
la puissance du capital financier.
Les bureaux des principales entreprises
qui opèrent au pays se concentrent à São
Paulo. Des 72 plus importants établis-
sements situés à São Paulo, 54,2  % sont
consacréesàlaprestationdeservice,telles
les institutions financières, la construc-
tion civile et la publicité. Cela démontre
l’importance des activités tertiaires dans
l’économie de la métropole.
En dépit de l’intense modernisation
économique dont subit la ville, l’écart
social est depuis toujours la marque la
plus forte de son paysage, où la richesse
prend la forme de petits îlots entourés des
lotissements irréguliers et des favelas. À
São Paulo, la modernité n’arrive pas à tous
ses 11 millions d’habitants.
Dans l’après-guerre, l’ascension de l’État providence en Europe et en
Amérique du Nord contrastait énormément avec la « modernisation »
économique de certains pays du Tiers Monde, selon l’expression de
l’époque. En Amérique latine, l’installation des usines a été stimulée
par les potentialités du marché de consommation et aussi par les pos-
sibilités de faire accroître les taux d’accumulation du capital. C’est
l’origine de la croissance de São Paulo, qui est devenue rapidement
la grande ville industrielle du pays. Néanmoins, sa force économique
actuelle se structure autour du tertiaire, notamment celui attaché à la
gestion de la production et du capital.
Daniella Almeida Barroso
candidate au doctorat en géographie
université de montréal
daniella.almeida.barroso@umontreal.ca
São Paulo, métropole
à vocation internationale
Le centre-ville de São Paolo. iStockphoto 2010
L’avenue Paulista.
iStockphoto 2010
20 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca
La Bolivie : noyau de changements
Depuis la première victoire électo-
rale d’Evo Morales qui a constitué un
grand tournant en 2005, la Bolivie est le
théâtre d’importants changements. Ayant
retrouvé leur voix, les indigènes, les pau-
vres et les déshérités perçoivent désormais
une meilleure répartition des richesses
comme étant un idéal possiblement attei-
gnable. En s’opposant aux politiques pro-
hibitionnistes en matière de culture de
coca, à l’ingérence étrangère (pour ne
pas dire américaine) et à la spoliation
des ressources naturelles, Morales a fait
de la Bolivie le siège des revendications
sociales en Amérique latine. Les tensions
avec le Brésil entraînées par la nationali-
sation des hydrocarbures n’ont pas arrêté
Morales dans la poursuite de ses objectifs
de réduction des inégalités. En 2007, la
nouvelle constitution bolivienne a créé un
État plurinational octroyant l’égalité juri-
dique aux différentes communautés qui
composent le pays. Selon Marcelo Ebrard,
« Evo (Morales) est la preuve qu’il est pos-
sible d’avoir un gouvernement populaire
national qui se préoccupe des intérêts du
peuple, respecte les institutions démocra-
tiques, en plus de transformer la réalité de
la société et de défendre les intérêts natio-
naux avec succès ». Ebrard rappelle dans ce
sens que la politique sociale mise de l’avant
par le gouvernement bolivien est l’une des
plus grandes et des plus profondes qu’a
connue l’histoire du pays andin.
Identifier les ennemis internes
et externes
En expliquant aux Mexicains comment
parvenir à de tels changements sociaux
dans leurs pays, Morales a mentionné la
nécessité de concentrer les efforts dans
l’organisation d’une opposition capable
d’identifier les ennemis communs
internes et externes. Ces derniers sont
inévitablement associés aux mécanismes
de gouvernance financière internatio-
naux comme la Banque Mondiale (BM)
et le Fond monétaire international (FMI).
En ce qui a trait aux ennemis internes,
Morales n’a pas hésité à employer le terme
de vendepatrias, littéralement « vendeurs
de patrie » en faisant référence au gouver-
nement de Felipe Calderon (Parti d’Action
Nationale) et ses alliés, suscitant l’exalta-
tion de la foule présente. Il a ainsi déclaré
que «  le développement social, la démo-
cratie, la dignité, la souveraineté, ne sont
possibles qu’en marge de l’impérialisme
nord-américain et du capitalisme ».
«  En Amérique latine, le socialisme
communautaire va s’imposer face au
capitalisme; de cela je suis convaincu  »
a-t-il ajouté en entrevue. Réélu à la prési-
dence bolivienne le 6 décembre dernier,
Evo Morales a promis d’approfondir et
d’accélérer le processus de changement.
Même si son parti, le Mouvement vers
le socialisme (MAS) a essuyé un récent
scandale de corruption, il n’en demeure
pas moins que l’identification des classes
populaires à ce chef d’État semble iné-
branlable. Engagé dans la défense et la
reconnaissance des droits des peuples
autochtones, Morales a été nommé lors de
son passage à Mexico « Guide moral des
nations autochtones d’Amérique latine »,
titre qui lui a été conféré lors de la céré-
monie ancestrale des « Quatre Vents » au
cours de laquelle ont participé des repré-
sentants de communautés autochtones
desÉtatsdeVéracruz,Michoacan,Oaxaca
et Sonora. Il est donc compréhensible que
la population bolivienne, dont la majorité
est d’origine autochtone, soit derrière lui.
Ainsi, Morales a-t-il déclaré à La Jornada
le 22 février 2010 que les changements
survenus au cours des dernières années
en Bolivie peuvent servir d’exemple aux
autres pays de la région en démontrant
qu’il est possible de formuler soi-même
des politiques adéquates. Le mandataire
bolivien a également signalé que le chan-
gement du modèle néolibéral était le plus
important défi auquel fait face la région
de l’Amérique latine. Dans le même ordre
d’idée, il a affirmé que les changements
opérés en Bolivie sont irréversibles, dans
la mesure où les citoyens boliviens sont
conscients de la transformation de leur
pays. Il note à cet effet le développement
d’une conscience communautaire qui fait
en sorte que pour beaucoup de Boliviens,
le travail quotidien ne s’effectue plus seu-
lement pour la famille immédiate mais
bien pour le bien-être de la communauté.
«  Donner plus d’importance au peuple
qu’à l’oligarchie », telle est la recomman-
dation que Morales émet à l’égard de ses
homologues de la région.
Réformes constitutionnelles
et droits des autochtones
Depuis le début des années 1980, des
pas se sont effectués vers le multicul-
turalisme dans presque tous les pays
d’Amérique latine. Pensons au Brésil,
au Panama, à l’Équateur, à l’Argentine
et à la Colombie. Cependant, les avan-
cées ne sont notables que dans les cas
où il y a eu une participation indigène
suffisante dans l’élaboration de ces nou-
velles normes. Les réformes partent d’un
nouveau concept de l’État multieth-
nique et pluriculturel qui a permis aux
communautés marginales de sortir de
la sphère privée pour gagner du terrain
dans la sphère publique. Cependant, les
nouvelles constitutions ne peuvent pré-
tendre plus que de faciliter ce passage
de la sphère privée à la sphère publique
dans la mesure où ce sont les États qui
contrôlent la mise en pratique des idées
de droits basés sur la culture. Ainsi, le
multiculturalisme crée, en Amérique
latine, des systèmes juridiques hybrides
où des concepts comme autodétermina-
tion, égalité et territoire acquièrent de
nouvelles connotations.
La Bolivie à la source du développe-
ment du mouvement autochtone en
Amérique latine 
Depuis leur participation comme
soldats à la guerre du Chaco contre le
Paraguay (1932-1935), les indigènes de
Bolivie se sont organisés en divers syn-
dicats agraires. Durant les années 1950
et 1970, les gouvernements en poste ont
tenté d’incorporer ces secteurs au mou-
vement syndicaliste officiel. Cependant,
il ne faut pas oublier les Kataristes – dont
le nom s’inspire du personnage histo-
rique de Tupak Katari, indien qui s’op-
posa farouchement aux colonisateurs
espagnols – qui représentent le premier
mouvement massif de revendication
indigène (1860-1870). De retour après la
réforme agraire de 1953, les Kataristes
ont repris la tête du mouvement indigène
à l’échelle continentale. Plus récemment,
la Marcha Indigena por el Territorio y la
Dignidad (1990) s’est convertie en un
élément extrêmement important dans la
valorisation de l’identité nationale boli-
vienne en plus de cristalliser un change-
ment du paradigme dominant de la com-
position sociale.
Aujourd’hui, le Guatemala reconnaît
à ses communautés indigènes le droit
d’avoir une culture propre, la Colombie
reconnaît la « diversité ethnique et cultu-
relle », le Pérou quant à lui reconnaît la
«  pluralité ethnique et culturelle  », le
Panama le «  pluralisme linguistique  »
et le Mexique une timide «  composition
pluriculturelle  », alors que la Bolivie se
déclare multiethnique et pluriculturelle,
et ce, jusque dans son nom officiel. Il est
doncnormalquelesmilliersdepersonnes
qui sont venues à Coyoacan acclamer
Evo Morales le 21 février dernier aient
vu en lui l’image d’un peuple qui s’est
reconnu, avoué et propulsé dans la lutte
en faveur de la reconnaissance des droits
des autochtones. Alors, déjà la veille de la
réunion du Groupe de Rio à Cancun, on
appelait à l’unité des peuples d’Amérique
latine. Dès le lendemain, cet appel fut tra-
duit par l’adoption d’un projet de création
d’un organisme régional qui unirait les
voix des peuples du Sud du Rio Grande à
la Terre de Feu.
Le dimanche 21 février 2010, veille du sommet du Groupe de Rio à
Cancun, la plaza Hidalgo de la délégation de Coyoacan, au Sud de
la capitale mexicaine a revêtu le temps d’un après-midi les couleurs
de la Bolivie, de Tupak Katari et de la lutte autochtone. Des milliers
de personnes se sont soumises aux imposants contrôles de sécurité
afin d’accueillir le président bolivien Evo Morales. Invité par le maire
de la mégapole, Marcelo Ebrard (Parti Révolutionnaire démocratique),
Morales s’est d’abord rendu à l’Alameda Central afin de rendre hom-
mage à Benito Juarez, premier président autochtone d’Amérique. Après
avoir reçu symboliquement les clefs de la ville de Mexico, le président
bolivien s’est ensuite rendu sur les lieux où s’étaient donné rendez-vous
non seulement des dizaines d’organisations pro-autochtones, mais
aussi plusieurs représentants des secteurs populaires. Et là a débuté
un discours qui, selon certains, aura une portée historique.
Les peuples autochtones d’Amérique latine
Vers la libération ?
Sofia Maaroufi
candidate à la maîtrise en sciences politiques
université de montréal
sofia.maaroufi@umontreal.ca
Evo Morales avec une autochtone
après son discours à la Plaza Hidalgo.
Claudio Valle
Evo Morales pendant son discours sur les peuples autochtones à la Plaza Hidalgo. Claudio Valle
21Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca
Bref historique de l’intégration
centraméricaine
Les tentatives d’intégration multilaté-
rale dans l’isthme centraméricain ont été
nombreuses et empreintes de dynamisme
au cours des dernières décennies. En 1951,
soit plus de cent ans après que le projet
politique d’une confédération des États
centraméricains ait échoué, l’Organisa-
tion des États centraméricains (ODECA)
est créée. Ce regroupement régional com-
prend le Costa Rica, le Guatemala, le Nica-
ragua, le Honduras et le Salvador. L’un des
objectifs de l’ODECA était d’en arriver à
établir un marché commun entre ces cinq
États membres, objectif qui est partielle-
ment atteint le 13 décembre 1960 lors de
la signature du Traité de Managua. C’est à
cette occasion que les États faisant partie
de l’ODECA, le Costa Rica en moins, ont
approfondi le processus d’intégration en
créant le Marché commun centraméricain
(MCCA). Jusqu’en 1966, le MCCA fonction-
nait très bien, à un point tel que les pays
membres avaient commencé à instaurer
un tarif extérieur commun et que 90 % des
échanges intrarégionaux étaient désormais
exempts de tarifs douaniers.
Les décennies 1970 et 1980 ont par la
suite sérieusement freiné les avancées de
l’intégration centraméricaine. La Guerre
du football de 1969 entre le Salvador et le
Honduras a notamment contribué à inter-
rompre, à partir de 1973, le fonctionnement
de l’ODECA et du MCCA pour une période
de 20 ans. En plus du fait que le Honduras
se soit retiré du marché commun en 1970,
ces deux décennies ont aussi été marquées
par des guerres civiles au Guatemala, au
Nicaragua et au Salvador.
À la suite de ces décennies de perturba-
tion, six pays centraméricains ont créé, en
décembre 1991, un nouveau forum pour
faire avancer le processus d’intégration
dans l’isthme  : le Système d’intégration
centraméricain (SICA). Entré en vigueur en
janvier 1993, ce système - qui incarne l’évo-
lutiondel’ODECAetduMCCA-regroupesix
paysd’Amériquecentrale,soitleGuatemala,
le Belize, le Honduras, le Salvador, le Nica-
ragua, le Costa Rica et le Panama, en plus
d’avoir accordé le statut d’État associé à la
République dominicaine. Le
SICA agit aujourd’hui à titre
d’organisation parapluie et
regroupe des institutions
aux vocations économiques,
politiques et juridiques.
Bien que les principes du
MCCA continuent de guider
le processus d’intégra-
tion régionale, le SICA est
loin d’être intégré au point
de mériter pleinement la
qualification de «marché
commun». Pour ce faire, un
accord devrait d’abord per-
mettre à ses pays membres
de faire circuler librement
biens, services, travail et capital, ainsi que
d’imposeruntarifextérieurcommun.Pour
l’instant, l’intégration commerciale cen-
traméricaine ressemble essentiellement à
une simple zone de libre-échange impar-
faite et dotée de tarifs extérieurs communs
partiels. La région a maintenant comme
objectif d’avancer vers l’établissement de
l’étape supérieure de son intégration éco-
nomique : l’union douanière. Cette forme
d’intégration aurait la vertu d’établir la
libre circulation des biens et services, ainsi
qu’un tarif extérieur commun qui com-
prendrait toutes les parties. Cette éven-
tualité faciliterait grandement les négo-
ciations avec l’Union européenne dans la
perspective de la signature d’un Accord
d’association avec la région centraméri-
caine dans son ensemble.
Modalités de l’Accord d’association
L’année 2010 pourrait bien marquer une
avancée majeure tant pour la coopération
entre les deux régions que pour le pro-
cessus d’intégration dans l’isthme centra-
méricain. En effet, l’arrivée de José Luis
Rodriguez Zapatero - chef du gouverne-
ment espagnol - à la présidence tournante
de l’Union européenne a déjà permis de
donner un nouveau souffle aux négocia-
tions entre l’Europe et l’Amérique centrale
afin d’en arriver à la signature d’un Accord
d’association stratégique bilatéral.
D’une manière concrète, cet éventuel
accord serait divisé en trois piliers : le com-
merce, la politique et la coopération. Pour
ce qui est de l’aspect commercial, il s’agi-
rait d’instaurer une zone de libre-échange
entre les deux régions, conformément aux
dispositions de l’OMC. La composante
politique, quant à elle, viserait à établir un
dialogue et à faciliter les échanges d’in-
formation entre l’Amérique centrale et
l’UE par l’établissement de mécanismes
institutionnalisés. Cela pourrait faciliter
l’adoption de positions communes aux
deux régions à propos de sujets d’intérêt
international. Au niveau de la coopération,
on entend notamment les compensations
financières aux industries affectées par
le libre-échange, le développement de
programmes de santé et d’éducation, le
développement des infrastructures, la pré-
occupationdelasituationdespeuplesindi-
gènes, la lutte contre le terrorisme, l’aide au
développement, la protection de l’environ-
nement, l’énergie et les transports.
Loin d’avoir une vision strictement éco-
nomique de son Accord d’association avec
l’Amérique centrale, l’Union européenne
souhaite ainsi rendre l’entente condition-
nelle à une plus forte intégration générale
de la région centraméricaine. Il faut donc
comprendre qu’un tel accord, en plus de
créer une nouvelle dynamique de coopéra-
tionentrelesdeuxrégions,auraitpoureffet
direct de renforcer le degré d’intégration au
sein des pays de l’isthme centraméricain.
Si la volonté d’intégration économique fait
l’unanimité parmi les membres du SICA, il
n’en va toutefois pas de même pour ce qui
est de l’intégration politique et juridique,
d’où la difficulté qu’ont les pays centramé-
ricains à parler d’une même voix. Ces der-
niers devront pourtant réussir à régler plu-
sieurs de leurs différends, faute de quoi ils
pourraient se voir contraints de renoncer
à tous les bénéfices que ledit accord pour-
rait avoir pour la région. Tel que l’illustre
l’exemple de l’Union européenne, ces trois
dimensions de l’intégration représentent
un gage de stabilité, en plus d’être cru-
ciales pour le développement économique
et social de la région. Dès lors, il est plus
aisé de comprendre les motivations de
Bruxelles de conclure un accord avec une
«région» dans son ensemble plutôt que de
négocier séparément avec une multitude
de pays hétérogènes. L’Amérique centrale
possède déjà des accords commerciaux
bilatéraux avec le Canada, les États-Unis
et le Mexique, mais cette formule d’Accord
«d’association» s’avère inédite.	
Lesnégociationsportantsurcepotentiel
accord entre l’Union européenne et l’Amé-
rique centrale ont été lancées à San José au
Costa Rica en octobre 2007, soit plus d’un
an après la tenue du Sommet de Vienne
de mai 2006 - qui a réuni l’Union euro-
péenne, l’Amérique latine et les Caraïbes
- où l’on avait officiellement annoncé qu’il
y aurait des pourparlers afin d’en arriver
à un accord. Si aucun obstacle majeur
ne vient perturber le reste du processus
de négociations, la signature de l’Accord
devraitseréaliseràl’occasionduprochain
Sommet regroupant l’Union européenne
et l’Amérique latine et les Caraïbes, qui
aura lieu dans la capitale espagnole les
18 et 19 mai 2010. Reste à voir si les efforts
d’intégration économique, politique et
juridique faits par les pays membres du
SICA seront conformes aux exigences de
l’Europe pour qu’un Accord d’association
puisse être conclu.
Le bloc économique centraméricain passe plutôt inaperçu au beau milieu
d’uncontinentdominéparl’ALENAetleMercosur.Saconsolidations’avère
pourtant fondamentale pour assurer son insertion au sein de l’économie
internationale. C’est dans cette optique que l’Amérique centrale négocie
actuellement les modalités d’un «Accord d’association» avec l’Union
européenne, qui ne pourra toutefois voir le jour que si la région centramé-
ricaine parvient à approfondir le niveau de son intégration.
État de l’intégration centraméricaine
En route vers un accord entre l’Amérique
centrale et l’Union européenne
Présidents des cinq pays d’Amérique centrale au moment de l’établissement
du siège de l’ODECA au Salvador en 1956.
Logo officiel du SICA :
Paix, développement, liberté et démocratie.
Site officiel du SICA
Site officiel du SICA
GABRIEL COULOMBE
candidat à la maîtrise en études internationales
université laval
auxiliaire de recherche
au centre d’études interaméricaines
gabriel.coulombe.1@ulaval.ca
22 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca
L’Arctique est depuis l’arrivée au pou-
voir du gouvernement Harper, une prio-
rité nationale évidente et peu nombreux
sont ceux qui peuvent se permettre d’en
critiquer les efforts. Le nord du Canada a
été depuis des décennies, le théâtre d’un
intérêt ambivalent de la part d’Ottawa,
mais voilà qu’avec la réalité des change-
ments climatiques et la fonte de la calotte
polaire, la région arctique devient rapi-
dement la dernière frontière géopolitique
à contrôler. Les enjeux y sont d’ailleurs
très grands  : le quart des réserves mon-
diales d’énergies fossiles non découvertes
s’y trouverait, sans parler des possibilités
d’exploitations des autres ressources natu-
relles et minérales dans la région et l’ouver-
ture probable à la navigation du passage du
Nord-Ouest d’ici quelques années.
Canada : une première véritable
politique arctique
Voilà pourquoi les questions de souve-
raineté en Arctique ont refait surface dans
les milieux médiatiques, politiques et aca-
démiques depuis les dernières années. Au
Canada par exemple, le gouvernement s’est
doté en 2009 de sa première véritable poli-
tique arctique à travers la Stratégie pour le
Nord, laquelle se divise en quatre volets  :
exercice de la souveraineté, promotion
du développement économique et social,
protection de l’environnement arctique et
amélioration et délégation de la gouver-
nance dans le Nord.
Auregretdesopposantsdugouvernement
conservateur, ces quatre piliers sont bien
plus que des promesses. L’annonce de l’ac-
quisition au coût de 720 millions de dollars
d’un nouveau brise-glace de classe polaire,
le NGCC John G. Diefenbaker, ainsi que de
nouveaux navires de patrouille arctiques/
côtiers, l’application de la Loi sur la
prévention de la pollution des eaux
arctiques à toute la zone économique
exclusive (ZEE) de 200 milles marins,
l’investissement de 40 millions de
dollars additionnels, sur quatre ans,
pour financer des études scientifi-
ques visant à déterminer l’étendue
totale du plateau continental cana-
dien en vertu de la Convention des
Nations unies sur le droit de la mer
(CNUDM), la création de l’Agence de
développement économique et social
duNord(CanNor),ainsiquel’engage-
ment à créer un centre de recherche
dans l’Arctique ainsi que la création d’aires
de conservation et de parcs nationaux, dont
l’agrandissementduparcnationalNahanni,
sont d’autant d’éléments démontrant le
sérieux avec lequel Ottawa entend ne plus
se contenter de la traditionnelle vision d’est
en ouest qu’on a du Canada.
Accords et désaccords
au nord du 60e
parallèle
Le Canada n’est toutefois pas seul à vou-
loir démontrer que le Nord fait partie inté-
grante de son territoire, voire de son iden-
tité. Les États-Unis, malgré une longue
histoire de collaboration nordique avec
le Canada, continuent de contester l’ar-
gument canadien selon lequel les eaux de
l’archipel arctique seraient des eaux inté-
rieures canadiennes. Éternel défenseur
de la liberté de navigation, mais n’ayant
toutefois pas encore ratifié la CNUDM,
Washington estime plutôt que le passage
du Nord-Ouest serait un détroit interna-
tional. Et ce n’est pas uniquement cette
question qui différencie les positions
canadiennes et américaines. En effet, le
matin même de la rencontre de Chelsea,
Hillary Rodham Clinton avait critiqué le
choix du Canada de ne pas avoir invité
tous les membres ayant des intérêts légi-
times dans la région, faisant référence à la
Finlande, la Suède, l’Islande et la Confé-
rence circumpolaire inuit.
Notons tout de même que lors d’une
entrevue avec CTV après la rencontre, la
secrétaire d’État Clinton a insisté sur le fait
que s’il y avait un incident majeur dans la
région, ce sont finalement les États côtiers
arctiques qui auraient la responsabilité
d’intervenir, et non pas les autres. L’appa-
rente discorde entre Ottawa et Washington
ne vient enfin peut-être que rappeler la tra-
dition voulant que les deux États s’enten-
dent sur leur désaccord mutuel à propos du
statut du passage du Nord-Ouest.
Une première rencontre des États côtiers
arctiques avait eu lieu en 2008 à Ilulissat
au Groenland, laquelle avait été suivie
par une vague de protestations des autres
membres du Conseil de l’Arctique, laissés
alors pour contre. Ces derniers avaient été
plus tard assurés que ce type de rencontre
ne se reproduirait plus. Ensuite, alors que
le représentant russe Sergey Viktorovich
Lavrov était davantage concerné par les
attentats qui s’étaient produits à Moscou
le matin même, son homologue norvégien
Jonas Gahr Støre allait dans la même direc-
tion que les États-Unis en affirmant qu’il
envisageait mal que les trois États absents
n’en fussent pas heureux. Selon lui, la rhé-
torique et les tensions entourant la région
devraient diminuer afin de favoriser un
esprit de collaboration.
Rhétorique, discours
et politique arctique canadienne
Cetterhétoriqueetlesnombreuxdiscours,
principalement canadiens et russes, qui
pour certains, nous ramènent amèrement
au temps de la Guerre froide, font en effet
partie de la réalité arctique d’aujourd’hui. Si
plusieurs, même madame Clinton, s’enten-
dent sur le fait que certaines questions rela-
tives à la sécurité publique, la délimitation
des plateaux continentaux ou la recherche
et le sauvetage ne concernent avant tout
que les États côtiers arctiques, a priori, les
États-Unis, le Canada et la Russie, tous
sont conscients que l’organisation même
de cette rencontre à l’initiative du Canada
avait d’autres objectifs que la gestion et la
coopération circumpolaires.
Les communiqués de presse intitulés
« Le ministre Cannon met en valeur le lea-
dershipcanadienàlaRéuniondesministres
des Affaires étrangères des États côtiers de
l’océanArctique »oulamentionquasiquoti-
dienne que « la souveraineté du Canada sur
l’Arctique est reconnue depuis longtemps et
s’appuie sur des fondements historiques  »
ne sont que deux exemples démontrant que
derrière une apparente unité politique arc-
tique se cache le fait que le Canada utilise
toutes les tribunes possibles pour clamer
haut et fort sa vision souveraine du Nord
canadien. Qu’il s’agisse des différentes ini-
tiatives et annonces nationales d’Ottawa ou
des propos des représentants du gouverne-
ment à l’international, les questions de sou-
veraineté arctiques sont pour le Canada et
sa population très sensibles.
Un sondage en mars dernier, de Léger
Marketing, le démontre d’ailleurs claire-
ment. Selon ce dernier, la moitié des Cana-
diens croient que nous devrions utiliser
notre puissance militaire afin d’affirmer
notre souveraineté dans l’Arctique. Selon le
sondage, les Canadiens âgés de moins de 35
ans et les Québécois (38 %) seraient moins
en faveur de l’option militaire, favorisant
plutôt une approche diplomatique. Néan-
moins, selon David Scholz, vice-président
chez Léger Marketing, le « Canada n’est pas
reconnu pour son désir d’exercer sa puis-
sancemilitaire,maislorsqu’ils’agitduNord,
nous sommes davantage prêts à utiliser la
force militaire que des moyens légaux ou
diplomatiques », et, « même le Québec, nor-
malement moins intéressé par les conflits,
est plus enclin envers cette possibilité ».
La rencontre du G5 arctique aura donc
eu plusieurs effets, à commencer par le
soulignement de la tension grandissante
entourant la nouvelle région géopoli-
tique arctique, notamment en raison des
propos des représentants des États-Unis
et de la Norvège, qui comme ceux de la
Russie et du Danemark se sont absentés
de la conférence de presse à laquelle ils
devaient participer. Fort à parier que cette
fois, il est vrai qu’il s’agira d’une dernière
pour ce type de rencontre, compte tenu
du mécontentement des membres absents
et présents du Conseil de l’Arctique. Le
ministre Cannon aura donc permis de
démontrer, une fois de plus, à quel point
son gouvernement est sérieux à propos de
l’Arctique. Cependant, il aura désormais à
prendre véritablement au sérieux les autres
États et communautés nordiques dans ses
prochaines décisions à propos de la vision
circumpolaire canadienne.
(Chelsea, QC) Le 29 mars dernier, s’est tenue sous l’invitation du
Canada, la réunion des États côtiers de l’Arctique à Chelsea, non
loin d’Ottawa. En marge de la rencontre des ministres des Affaires
étrangères du G8, ce « G5 arctique » a donné l’occasion au Canada,
aux États-Unis, à la Russie, au Danemark ainsi qu’à la Norvège, de
discuter de questions uniques à la réalité des États côtiers de l’océan
Arctique. Néanmoins, si l’intention du Canada était de réchauffer le
climat des relations politiques arctiques, il semble plutôt que ce sont
les dissensions par rapport aux sensibles questions de souveraineté
de la région qui ont pris le dessus. Les déclarations de la secrétaire
d’État américaine Hillary Clinton en matinée, concernant le choix du
Canada d’exclure les autres membres du Conseil arctique, ainsi que
la seule présence du ministre Lawrence Cannon à la conférence de
presse clôturant la rencontre, sont autant de preuves que le climat
politique arctique s’est refroidi à Chelsea.
DOSSIER ARCTIQUE
PHILIPPE GENEST
candidat à la maîtrise en études internationales
université laval
genest.philippe@gmail.com
REPORTAGE
Réunion des États côtiers de l’Arctique
Les représentants du groupe de l’Arctic 5 Philippe Genest
23Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca
Nivat était donc venue nous entretenir
de sa conception du journalisme, métier
qu’ellepratiquedepuis10ans,déplorantdu
mêmecoupladynamiquedefermetureetle
manque de curiosité ambiant des sociétés
occidentales face à l’actualité internatio-
nale. La particularité de la journaliste,
afin de mettre en scène les communautés
touchées par les conflits qu’elle couvre, est
de s’immerger en leur sein en leur donnant
la parole, pour mieux les décrire et mieux
comprendre la réalité de la guerre du point
de vue de ceux qui la subissent. Beaucoup
de temps, des semaines voire des mois, lui
sont donc nécessaires pour raconter le ter-
rain d’une façon qui ne se veut pas celle des
journalistes en général, qui accompagnent
le plus souvent les armées occidentales, se
mettent en vedette, ou encore, travaillent
de l’extérieur du terrain où se déroule
pourtant le conflit.
Dans un monde où règnent les chaînes
d’information continue, le processus de
production de l’information s’est gran-
dement accéléré, ne laissant plus place à
l’explication des conflits. C’est pourtant
précisément ce qu’Anne Nivat se donne
la mission de faire, insistant sur la pers-
pective tellement différente qu’offrent le
temps et le vécu. À ses yeux, en l’absence
de journalistes sur le terrain, comme
dans le cas de la guerre en Tchétchénie
qui a sans doute été la moins média-
tisée, c’est un peu comme si cette der-
nière n’avait jamais existée; les images
n’ayant pas été captées, et du même
coup, jamais été présentées au monde
qui ne s’en est pas soucié. Nivat, pour-
tant, couvre le conflit tchétchène sans
relâche depuis 10 ans, retournant sans
cesse dans cette région pour rendre la
réalité des tchétchènes, comme elle a
décidé de le faire en Irak au lendemain
du 11 septembre 2001. Cela implique
bien entendu de partager avec les popu-
lations victimes de la guerre les mêmes
dangers, provoquant un respect mutuel
facilitant les longues conversations qui
permettent de rendre la réalité.
Une autre des missions que se donne
Anne Nivat est celle d’inverser les
regards de ses lecteurs et auditeurs, de
ceux qui ne vivent pas la guerre; une
opération rendue possible souvent grâce
aux entretiens qu’elle vit avec des gens
qui jamais n’ont la parole, qui ne sont
pas des officiels, et qui, malgré tout,
vivent la guerre. Ce qu’elle appelle l’in-
version des regards permet de se défaire
des idées reçues envers des sociétés dif-
férentes des nôtres, à une époque où le
média télévisuel engendre, au contraire,
la peur de l’autre et les stéréotypes.
Marie-Aude Lemaire
(marie-aude.lemaire.1@ulaval.ca)
Dans une conférence organisée par la Chambre de com-
merce de Québec avec la collaboration de la SORIQ, l’hono-
rable Lawrence Cannon, ministre des Affaires étrangères du
Canada, a présenté le 19 mars dernier à Québec les enjeux liés
à la réunion des ministres des Affaires étrangères du G8 qui a
eu lieu à Gatineau le 29 et 30 mars derniers. Cette rencontre
précède la tenue du Sommet du G8 qui se tiendra à Muskoka
(Ontario) en juin prochain.
Originaire de Québec et diplômé de l’Université Laval (maî-
trise en administration des affaires), le ministre Cannon s’est
concentré dans son discours sur les thèmes économique et de
sécurité, et sur l’étroit lien existant entre les deux. Dans un
premier temps, M. Cannon a rappelé que de tous les pays du
G8, le Canada était celui qui avait le mieux traversé la crise
économique et qui s’en était le mieux sorti. La croissance
de 5 % au 4e
trimestre de 2009 en est d’ailleurs la preuve. Le
ministre a également fait part des progrès du Canada sur la
scène économique internationale en mentionnant que sous
son mandat, le pays avait ouvert 6 bureaux commerciaux
en Chine et 3 en Inde, en plus de réaliser 5 accords de libre-
échange, notamment avec la Colombie, le Pérou, la Jordanie
et le Panama.
Sur le plan de la sécurité, le ministre Cannon a souligné
l’importance pour le Canada de soulever trois sujets lors de sa
rencontre à Gatineau avec ses homologues du G8. Le premier
servira à préparer le Sommet mondial sur la sécurité nucléaire
qui aura lieu en avril à Washington ainsi que la Conférence
d’examen de 2010 des parties au Traité de non-prolifération
des armes nucléaires (TNP) qui se tiendra d’ici mai prochain
à Genève. Le deuxième thème de sécurité cher au ministre
concerne la relation entre le Pakistan et l’Afghanistan où le
Canada soutiendra les échanges économiques entre les deux
régions ainsi qu’un rapprochement et des pourparlers entre les
régions frontalières des deux États. Le dernier thème abordé
fait référence aux pays et régions fragiles du monde qui ne peu-
vent assurer leur propre sécurité comme le Yémen, les pays du
Sahel, l’Afghanistan, Haïti et d’autres pays des Amériques.
Philippe Genest
philippe.genest.1@ulaval.ca
Mme Suzanne Éthier, déléguée géné-
rale du Québec à Tokyo, a présenté briè-
vement la nouvelle conjoncture éco-
nomique au Japon et les perspectives
offertes par ce marché aux entreprises
québécoises. Elle a mis en relief les
nombreux changements apportés par
le nouveau parti au pouvoir, qui sou-
haite réviser les programmes sociaux
et le fonctionnement de l’économie.
Alors que le Japon est à un moment où
sa population est vieillissante et où son
endettement augmente, le pays cherche
à investir dans les nouvelles sphères de
croissance, comme l’environnement et
les énergies vertes. On remarque à ce
propos que le Japon démontre sa volonté
de se positionner comme leader mondial
de la lutte aux changements climatiques.
Plusieurs compagnies québécoises ont
compris que ce pays était un pôle d’at-
traction exceptionnel et y ont du succès.
L’Université Laval y a également une
bonne réputation, particulièrement dans
le domaine de la foresterie, des neutra-
ceutiques et des aliments fonctionnels.
Alexandre Morin
alexandre.morin.4@ulaval.ca
La Société des relations internationales
de Québec (SORIQ), organisme à but non
lucratif et à caractère non partisan, a pour
mission de promouvoir l’intérêt du public à
l’égard des relations internationales.
 
Tribune internationale reconnue, elle
permet aux milieux économique et poli-
tique, à la haute fonction publique, aux uni-
versitaires ainsi qu’aux milieux de la culture
et des communications d’avoir un accès pri-
vilégié à une information et des contacts de
qualité nécessaires à une compréhension
juste de ces enjeux et à une action efficace
sur la scène internationale.
 
La SORIQ sert de forum où l’on aborde et
analyse, par des exposés, des discussions et
des débats, toutes les dimensions des rela-
tions internationales.
Dans le cadre de l’une de ses grandes conférences, lundi le 15 mars dernier, l’Institut québécois
des hautes études internationales (HEI), avec la participation, entre autres, de la SORIQ, pré-
sentait Anne Nivat. Cette journaliste française, au passage en sol québécois fortement média-
tisé, était venue nous témoigner du contexte journalistique difficile sévissant à notre époque
en Occident, et dans lequel elle a choisi de faire cavalier seul pour mieux livrer les enjeux se
rapportant aux grands conflits qu’elle couvre.
Anne Nivat – docteure en science politique, grand reporter et auteure, correspondante
à Moscou des quotidiens et magazines Ouest-France, Le Soir, Le Point ainsi que pour RMC,
collaboratrice régulière de l’International Herald Tribune, du New York Times et du Washington Post.
Lawrence Cannon – ministre des Affaires étrangères du Canada
Suzanne Éthier
déléguée générale
du Québec à Tokyo
« Tchétchénie, Irak, Afghanistan :
comment couvrir ces nouvelles croisades ? »
Grand témoin de la Francophonie
Un parcours
diplomatique
exemplaire
Calendrier des activités à venir
Le mercredi 21 avril 2010
11h45
Catalogne, une nation
à valeur ajoutée 
Par Josep-Lluis Carod-Rovira,
vice-président de la Catalogne
et responsable des relations
internationales
Fairmont Le Château Frontenac
Salon Petit-Frontenac
1 rue des Carrières, Québec
Automne 2010
(à déteminer)
Droits humains - occidentaux
ou universels ? À la recherche
de racines communes
Par Peter Leuprecht, ancien
secrétaire général adjoint
du Conseil de l’Europe
• Des disciplines piliers : science politique, droit,
économie et gestion internationale
• Des séminaires thématiques qui intègrent
ces disciplines
• Un milieu de recherche stimulant
• L’expertise de professeurs réputés et de diplomates
en résidence
• La possibilité d’étudier à l’étranger pour une session
• Des stages dans des organismes prestigieux
• Un taux de placement de 90%
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  • 1. Le point de départ est vraiment diffé- rent. Le rapport aux colonies en France a longtemps été fondé sur la toute-puissance de Paris, la formation des fonctionnaires coloniaux se faisant à partir d’un moule commun. Tandis que l’« Indirect rule » bri- tannique, appuyé sur les élites locales, et le Statut de Westminster de 1931 adoucissent cette vision au Royaume-Uni. Malgré tout, les Dominions britanniques doivent tou- jours prêter allégeance à la Couronne et toute modification de la Constitution des Dominions est soumise à un vote préalable à Westminster. De plus, la métropole n’hé- site pas à réprimer durement l’opération « Quit India » en 1942 lancé par le Parti du Congrès. Il s’agit bien du Commonwealth « britannique » des Nations. Le divorce entre l’opinion et la réalité  Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’ « esprit de Brazzaville » prend forme chez la plupart des dirigeants poli- tiques français. Brazzaville, c’est cette ville congolaise où, en 1944, le général De Gaulle évoque pour la première fois, dans un discours officiel, la notion d’émanci- pation. Deux ans plus tard, l’Union Fran- çaise est constitutionnellement née. «  La France forme avec les peuples d’outre-mer une union d’égalité de race et de religion », pouvait-on lire dans la Constitution de la IVe République. Cette même année, 63 % des Français étaient disposés à ce que les «  indigènes acquièrent les mêmes droits que les métropolitains ». C’est ce que Jac- ques Marseille, grand intellectuel français, appelle «  le divorce entre l’opinion et la réalité ». Une réalité traduite par la guerre coloniale en Indochine. Du côté britannique, l’ « esprit de Dun- kerque  », ce sentiment de fraternisation entre les classes sociales face à la Seconde Guerre mondiale, règne encore. À l’in- verse des Français qui ont découvert leur empire dans les années 1930 à travers de « Les brûlures de la décolonisation » dans les anciennes métropoles françaises et britanniques L’opposition entre les réactions françaises et britanniques vis-à-vis de la décolonisation est fréquente. Les premières censées être fondées sur l’irrationnel, la volonté de puissance et la violence ; les secondes sur la raison et le pacifisme. La fureur des révoltes de Sétif et de Madagascar d’un côté ; la décolonisation calme de l’Inde et du Pakistan de l’autre. Pourtant, aussi bien la France que le Royaume-Uni font encore face à « des brûlures de la décolonisation », comme l’avait titré il y a de ça trois ans le mensuel L’Histoire. Retour sur les légendes et les traces qu’elles ont laissées dans les mémoires. P.2 La décolonisation un tournant dans l’organisation du monde ? DOSSIER AFRIQUE P.15 dossier AMÉRIQUES P.18 dossier ARCTIQUE P.22 P.23 Dans le cadre de l’une de ses grandes conférences, lundi 15 mars dernier, l’Institut québé- cois des hautes études inter- nationales (HEI), avec la par- ticipation, entre autres, de la SORIQ, présentait Anne Nivat. Cette journaliste française, au passage en sol québécois for- tement médiatisé, était venue nous témoigner du contexte journalistique difficile sévissant à notre époque en Occident, et dans lequel elle a choisi de faire cavalier seul pour mieux livrer les enjeux se rapportant aux grands conflits qu’elle couvre. Tchétchénie, Irak, Afghanistan comment couvrir ces nouvelles croisades ? Anne Nivat www.revue-media.com SONIA ARAUJO candidate au master en politique internationale sciences po bordeaux sonia.araujo.1@ulaval.ca constantinou.wordpress.com LE JOURNAL DES HAUTES ÉTUDES INTERNATIONALES VOLUME 5 NUMÉRO 2 AVRIL 2010
  • 2. 2 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca nombreuses expositions coloniales, les Britanniques connaissent leur empire depuis bien longtemps et sont prêts à leur accorder des possibilités d’émancipation. La réalité rattrapera rapidement les métropoles, notamment la France. Les idées internationalistes ont leurs effets dans les colonies. Les peuples commen- cent à s’émanciper de la tutelle des métro- poles. Les illusions des deux côtés de la Manche empêchent de se rendre compte de l’irréversibilité du mouvement de déco- lonisation qui s’est enclenché. Scalpel et ressentiment Pour ce qui est de la décolonisation, ce terme n’a fait son apparition en France qu’en 1957 dans le Larousse, alors qu’il était déjà dans toutes les bouches. Signe encore plus révélateur, ce n’est qu’en 1960 qu’une personnalité publique, en l’oc- currence le général De Gaulle, utilise ce terme dans un discours officiel. La défaite de Dien Bien Phu de 1954 a eu au moins l’effet de rétablir la réalité de l’ampleur du mouvement. Les Français s’engagent aussitôt dans un nouveau conflit dès le 1er novembre 1954, suite à la « Toussaint Rouge ».Lenationalismeestalorspuissant en France, présenté comme la solution à la guerre en Algérie, ou plutôt, aux « évé- nements d’Algérie  », comme les médias et hommes politiques les qualifiaient à l’époque. La décolonisation s’avère une question d’intérêt national et de défense des territoires français. Les Britanniques voient davantage dans la décolonisation des enjeux com- merciaux, autour de la préservation de leur puissance maritime. La politique coloniale des différents gouvernements britanniques de l’époque apparaît beau- coup plus souple, plus évolutive que celle française. Elle n’en laisse pas moins des traces et du ressentiment. Il faut souli- gner que la divergence des opinions est au cœur même de la machine politique. Sous un gouvernement conservateur comme celui de Churchill entre 1951 et 1955, les processus de décolonisation se sont considérablement ralentis. Il reste au sein de ce parti des résidus d’une poli- tique impériale qu’il n’y a pas dans les gouvernements travaillistes. C’est donc le gouvernement Attlee qui décide que le moment est venu de se retirer d’Inde. Il procède alors à une décolonisation dans l’urgence, laissant à des juristes londo- niens comme Sir Cyril Radcliffe le soin de procéder en 11 jours, du 21 au 31 juillet 1947, à la construction de frontières entre l’Inde et le Pakistan. « Ce n’est pas d’un scalpel de chirurgien dont je vais avoir besoin pour disséquer le Penjab et le Bengale, mais de la hache d’un bou- cher !  » s’écriait-il. Un an plus tard, la première guerre indo-pakistanaise avait déjà éclaté. Les ombres s’avèrent donc de plus en plus sombres derrière ce qui a été la décolonisation « pacifiste » britan- nique de 1947. Le cas du mandat britan- nique sur la Palestine et de son retrait en 1947 de la province au profit de l’Orga- nisation des Nations Unies illustre aussi cette part d’ombre. Une simple donnée reflète ce constat général  : l’essayiste Stephen Smith dressant un bilan des victimes de conflits entre 1960 et 1990, a pu comparer les 40 000 morts estimés dans l’ancienne Afrique française aux deux millions dans les ex-colonies de la Couronne britannique. Des « brûlures » toujours flamboyantes Les rapports entre la France et le Royaume-Uni, d’un côté, et la décoloni- sation, de l’autre, ne s’arrêtent pas une fois l’indépendance acquise. Les retom- béeséconomiques,politiques,diplomati- ques, administratives et même sportives sont innombrables. De la promotion du cricket à la formation d’une administra- tion locale, de partenariats stratégiques à des accords d’échanges, les rapports avec les anciennes colonies ont ceci de paradoxal qu’ils n’ont jamais cessés. L’influence diplomatique et militaire de l’ancienne métropole soulève certaine- ment la question du néo-colonialisme. Dans son discours de La Baule en 1990, François Mitterrand déclarait même que malgréladécolonisation« lecolonialisme n’est pas mort ». Quelques preuves vien- nent appuyer ses propos en Afrique  : le maintien du franc CFA arrimé au franc français puis à l’euro, un favoritisme en matière d’Aide Publique au Dévelop- pement (APD) et des bases militaires françaises permanentes sur le conti- nent. Du côté anglophone, à l’inverse, les anciennes colonies vivaient, dans les années 1970-1980, leur «  crise d’adoles- cence  », qui débouche aujourd’hui sur une plus grande autonomie, du moins sur le plan économique. Cela fait bien longtemps que les échanges sont moins importants entre le Royaume-Uni et ses ex-colonies africaines qu’entre la France et les siennes. La décolonisation est-elle alors der- rière nous ? Les événements de janvier et février 2009 en Guadeloupe, Départe- ment d’Outre-Mer français depuis 1962, laissent penser que le rapport français aux anciennes colonies n’a pas encore été normalisé. Autre point, cette « Fran- çafrique  », si longtemps décriée par le candidat à la présidence Nicolas Sarkozy, a été une nouvelle fois l’objet de toutes les attentions lorsqu’en 2008 le secré- taire d’État à la coopération, Jean-Marie Bockel, perd son poste à la demande expresse du président gabonais Omar Bongo. La mort des «  dinosaures  » tels Houphouët-Boigny, Eyadema, et fina- lement Bongo, associée à la baisse des ressources consacrées à l’APD, semblent signifier la fin incontestée d’une époque. Mais comment interpréter la visite en février dernier du président français au tout récent président Ali Bongo ? D’un côté, ils «  s’engagent à enterrer la Fran- çafrique  » mais de l’autre, ils veulent « refonder une relation privilégiée »… Du côté britannique, il est impossible de préjuger du destin de l’Afrique anglo- phone, avec des pays tels le Kenya ou le Nigéria. Les avenirs de ces pays s’avè- rent incertains, aujourd’hui encore. De la même façon, le conflit en Irlande est influencé par la mémoire de la décolo- nisation. Poser la question de la décolo- nisation de l’Irlande ou encore de l’indé- pendance de l’Écosse revient à remettre en cause toute la britannicité (« British- ness ») du Royaume-Uni. Gordon Brown essaie d’ailleurs de remettre ce concept au goût du jour ces dernières années pour en prouver la légitimité renouvelée. Gageons que dans 50 ans, ces tendances aux changements pourraient créer de nouvelles « brûlures ». Seront-elles encore le fruit de la décolonisation post-seconde guerre mondiale ? À nous d’attendre. L’équipe de Regard critique, le journal des hautes études internationales, est fière de vous présenter son nouveau numéro dont le thème est la décolonisation. Dans un discours de 1863, Benjamin Disraeli, futur premier ministre britannique, déclarait : « Les colonies ne cessent pas d’être des colonies parce qu’elles sont indé- pendantes. » En cette année 2010, Chypre ainsi que 17 États africains vont fêter le cin- quantenaire de leur décolonisation. Ce processus a provoqué des changements dans les relations internationales, a permis l’émergence à grande échelle de l’aide au déve- loppement, mais a aussi fait prendre conscience de certains déséquilibres menant à la construction d’autres visions du monde. Pour certains, alors que la décolonisation a eu lieu, l’indépendance ne semble pour autant pas totalement acquise. Le cinquan- tenairedesindépendancesafricainesetchypriote nous donne l’occasion de tenter de dresserunbilan,sommetoutepartiel,delapériodededécolonisationengénéral,qui s’est étendue sur une large partie du XXe siècle : de ses différents aspects et enjeux, de ses causes, mais aussi de ses conséquences en différentes régions du monde. Cette édition de Regard critique nous offre aussi de porter notre attention sur d’autresenjeuxd’actualité,enAmériquelatineouencoreautourdel’Arctique.Comme à l’habitude, Regard critique s’efforce de mettre en avant une variété de sujets et de points de vue, dans des articles rédigés par des étudiants désireux de vous informer sur les problématiques internationales. Bonne lecture, Hobivola A. RABEARIVELO Rédacteur en chef Rédacteur en chef  : Hobivola Andriantsitovianarivelo Rabearivelo Responsable aux affaires administratives  : Gabriel Coulombe Responsable aux communications et à la distribution  : Émilie Desmarais-Girard Coordonnatrice des évènements et activités  : Marie-Aude Lemaire Co-responsables de la publicité  : Darina Bruneau et Alexandre Morin Concepteur graphique  : Philippe Fortin Caricaturiste : Émilie Desmarais-Girard Vous souhaitez collaborer à la parution du prochain numéro de Regard critique en avril 2010, soumettez votre thème à Andriantsitovianarivelo-h.rabearivelo.1@uaval.ca Pour toute question, commentaire ou si vous désirez annoncer dans Regard critique, prière de contacter regardcritique@hei.ulaval.ca L’ÉQUIPE DU REMDEI Regroupement des étudiants à la maîtrise et au doctorat en études internationales PRÉSIDENTE  : Audrey Auclair VICE-PRÉSIDENTE AUX AFFAIRES SOCIOCULTURELLES  : Julianne Thomas-Drolet VICE-PRÉSIDENT AUX AFFAIRES ACADÉMIQUES  : Alex Perreault VICE-PRÉSIDENT AUX AFFAIRES EXTERNES  : Sulaiman Al-Shaqsi VICE-PRÉSIDENTE À L’ADMINISTRATION  : Jihane Lamouri VICE-PRÉSIDENT AUX FINANCES  : Martin Dionne REPRÉSENTANT AU DOCTORAT  : Coffi Dieudonné Assouvi Notre mission consiste à défendre les intérêts de nos membres, à promouvoir la vie étudiante au sein du programme, à assurer la reconnaissance du programme et de ses diplômés, ainsi que de représenter nos membres auprès de toutes les personnes et instances susceptibles de contribuer à l’atteinte de ces objectifs. N’hésitez pas à nouscontacterpourtoutesquestionsconcernantnosprogrammesetlavieétudiante. Éditorial
  • 3. 3Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca Colonisation et impérialisme sont des termes qui peuvent apparaître relati- vement proches. Quelles différences voyez-vous entre les deux ? Souvent, dans les livres, quand on parle du XIXe siècle et du début du XXe siècle, on distingue la colonisation proprement dite : les Britanniques en Inde, les Français et les BritanniquesenAfrique,etc. ;etonemploie impérialismecommeuntermeplusgénéral quiinclutlacolonisationetlapolitiquefaite par les pays impérialistes envers des pays qu’on ne colonise pas mais qu’on place tout de même dans une situation inférieure, comme ce fut le cas de l’Empire ottoman et de la Chine. Il y a toute une politique vis- à-vis de ces pays que les historiens placent sous le titre d’impérialisme sans que ce soit de la colonisation. On peut faire la distinction d’autres façons. Dans la Grèce antique, une colonie était formée d’une partie de la population grecque qui allait s’installer ailleurs en Méditerranée. La colonisa- tion, c’était d’exporter de la population. Jusqu’au XIXe siècle, la colonisation est employée seulement en ce sens. Ensuite, Karl Marx, dans Le Capital, parle des colonies et des semi-colonies. Les colo- nies, ce sont les États-Unis et le Canada, parce que ce sont les Européens qui sont allés peupler ces régions. Les semi-colo- nies, c’est l’Inde ; parce qu’il y a très peu de Britanniques qui sont allés s’installer. La colonisation devient la domination d’une population par des gens qui sont venus d’ailleurs, et non le simple trans- fert d’une population sur un territoire. Il y a donc eu les deux sens, mais historique- ment, colonisation a d’abord voulu dire le transfert de population sur un autre territoire. Et typiquement, au XXe siècle, quand on parle de colonisation, on parle du deuxième sens, et ce sont les semi-co- lonies de Karl Marx qui sont devenues les vraies situations coloniales. Les différents empires coloniaux ne se sont pas séparés de leurs colonies de la même manière. Quel regard portez-vous sur les raisons et le processus des différentes vagues de décolonisation ? La décolonisation a été plus rapide et a eu lieu d’abord dans les sociétés qui étaient les plus développées parmi les colonies, notamment l’Inde, les pays musulmans, les pays qui avaient une tradition d’organisation politique. Ces pays se modernisaient eux-mêmes et dis- posaient d’élites locales. Donc, certains pays colonisés avaient les ressources humaines et les ressources économiques pour lutter pour leur indépendance en premier ; et certains, dont le Congo belge, le Tchad ou la République centrafricaine, sont arrivés loin derrière. La décolonisa- tion s’est passée plus ou moins bien, entre autres, selon de telles variables. Chez les colonisateurs, ceux qui s’y sont pris le moins mal dans la décolo- nisation, ce sont les Britanniques, parce qu’ils ont eu une expérience de déco- lonisation les premiers, avec les États- Unis. Les Français n’ont pas eu d’expé- rience préalable de la décolonisation et il y a l’idée à Paris que la colonisation est mauvaise sauf quand on est colonisé par les Français. Il y a une espèce d’idéali- sation de soi-même. En outre, les Fran- çais ont une vision centralisée de l’État, alors que les Britanniques acceptent beaucoup plus les autorités locales et de pouvoir ainsi déléguer. Les Britanniques ont donc des interlocuteurs avec qui dis- cuter des indépendances, et les Français n’en ont pas. C’est la guerre d’Algérie qui a rendu la France incapable de résister par la force à l’indépendance des autres colonies en Afrique. Elle avait essayé de résister au Vietnam dans des conditions où elle n’avait aucune chance d’y arriver ; ensuite, elle s’est acharnée en Algérie, et lorsque les revendications d’indépen- dance sont arrivées en Afrique, il était trop tard pour y résister, et le processus s’est donc fait plus pacifiquement. Le dernier cas intéressant historique- ment est le cas des Portugais, qui étaient la puissance colo- niale la plus faible en Europe, et qui se sont acharnés le plus longtemps pour leurs posses- sions coloniales. L’explication est probablement que c’est la puissance coloniale qui n’était pas une démocratie, il n’y avait donc pas de contradiction entre les principes du régime poli- tique et la situation coloniale. Dans ce cas, la décolonisation se fait vraiment lorsque la puis- sance coloniale est épuisée, avec la révolte des soldats en 1974, où l’armée portugaise ren- verse la dictature et quitte les colonies très rapidement. Avec l’influence de nouvelles puissances comme la Chine, l’Inde, ou la Corée du Sud dans les anciennes colonies, beau- coup ont peur d’une vague de néocolo- nialisme. Le phénomène est-il récent et la crainte est-elle justifiée ? Il ne faut pas faire de paranoïa avec cela. LeprogrèséconomiquedelaChineestune bonne nouvelle pour tout le monde. La Chineétaitunegrandepuissancejusqu’au XVIIIe siècle et cesse de l’être au XIXe   ; c’était la première puissance économique, et la pauvreté chinoise est la conséquence d’une série de malheurs politiques. Cela commence avec les guerres de l’opium et se finit avec la révolution culturelle de Mao Tse-Tung. La Chine est en train de reprendre la place qu’elle avait avant dans le monde. Il n’y a que des raisons de s’en réjouir. Certes, il y a l’idée qu’on avait un ennemi soviétique aujourd’hui disparu, et qu’il faut absolument qu’on trouve une autre menace pour le monde occidental, et quel meilleur candidat que la Chine ? Mais il y a quelque chose de malsain dans cette idée. D’autre part, il est possible que ce soit une part de la solution du développement économique de certains pays d’avoir un nouveau type de partenaire avec lequel la structure des échanges ne sera pas la même qu’avec les anciennes puissances coloniales ou les États-Unis. Le fait que les Chinois soient moins riches que les Améri- cains, que beaucoup d’entre eux aient un mode de vie beaucoup plus modeste, peut jouer en leur faveur. Il y a un livre écrit par l’économiste zambienne Dambisa Moyo, L’Aide fatale, qui soutient que la Chine est la chance de l’Afrique, parce que les Chinois ne pré- tendent pas aider, mais investissent pour retirer des avantages économiques, et que c’est ça qui peut être un moteur de déve- loppement pour les pays africains  ; alors que les programmes d’aide sont une catas- trophe parce qu’ils entretiennent au pou- voirdesclassesdirigeantesparasitaires,des gens qui construisent leur contrôle sur la société en étant ceux qui servent d’intermé- diaires pour cette aide extérieure. Donc, ils ont intérêt à la préservation de la situation et au maintien de la pauvreté de la popula- tion pour pouvoir continuer à dire qu’on a besoin de l’aide et parce que c’est beaucoup moins fatiguant que d’essayer de déve- lopper le pays. C’est la thèse de l’auteure, mais il y a probablement une part de vérité danscettethéorie.Selonelle,lespaysquine sont pas d’anciennes puissances coloniales et qui veulent développer juste des relations économiques sont plutôt une opportunité et il n’est pas sûr qu’elle n’ait pas raison. J’ai une vision plutôt optimiste de cette question. C’est une chance pour l’Afrique d’avoir de nouveaux partenaires écono- miques possibles grâce aux pays d’Asie. Je ne vois pas pourquoi le développement de l’Asie ferait du tort à l’Afrique. Finalement, dans quelle mesure les décolonisations ont changé les relations internationales ? Le phénomène est-il une réalité ou tient-il plus de l’illusion ? Malheureusement, c’est peut-être une illusion pour une partie de l’Afrique. Ce n’est pas vrai pour l’Inde, le Vietnam ou l’Indonésie, ni pour le Maroc, l’Algérie ou la Tunisie. La décolonisation est réelle dans beaucoup de pays. Évidemment, la décolonisation a changé pour beaucoup les données mondiales, même si au départ ça n’a pas créé de nou- velle puissance  ; l’idée que les «  non-ali- gnés » seraient un troisième bloc face aux Américains et aux Soviétiques n’était pas fondée. C’était beaucoup trop divers, il n’y avait ni unité ni puissance. Maintenant, est-ce que l’Inde est en train de devenir une puissance ? Peut-être, du moins, d’un point de vue économique. Va- t-on avoir, avec quelques pays d’Afrique, le même genre de surprise économique que celle que l’on a eu dans les années 1970 avec la Corée du Sud et Taiwan ? Les séquelles de la colonisation ont-elles une importance pour expliquer les trajectoires de dévelop- pement ? Est-ce une différence d’attitude à l’égard des colonisateurs ou bien est-ce une différence de capacité ? Il est aussi possible que l’insistance sur les séquelles du passé colonial fasse du tort aux pays qui ont été colonisés, mais d’une certaine façon, le mondeactuelpermetd’êtreassezoptimiste pour presque tout le monde. Regards d’experts, notre nouvelle rubrique dans laquelle un membre du corps professoral de l’Université Laval partage son point de vue quant à la thématique en vedette pour chaque numéro, vous propose de profiter de l’entrevue que Jean-Pierre Derriennic, professeur au département de science politique, a accordée à notre équipe. Propos recueillis par Hobivola A. RABEARIVELO, Rédacteur en chef. Regards d’experts Jean-Pierre DERRIENNIC professeur au département de science politique université laval jean-pierre.derriennic@pol.ulaval.ca
  • 4. 4 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca La mise en place de Bandung En 1955, l’impérialisme était un sou- venir récent en Asie. L’Inde avait accédé à l’indépendance en 1947, l’Indonésie en 1949, et les Français venaient tout juste d’être expulsés d’Indochine. Entre les pays nouvellement émancipés, des méca- nismes de concertation se mettaient en place, des rencontres, des alliances. Aux Nations unies, les nations émergentes faisaient bloc pour protester contre l’oc- cupation française de l’Afrique du Nord. Il s’agissait, pour celles-ci, d’explorer les possibilités de coopération et d’affirmer le principe de la souveraineté nationale contre toute ingérence des Européens. C’est en 1954, à Colombo, que le Premier ministre indonésien, Ali Sastroamidjojo, a proposé le principe d’une grande confé- rence internationale réunissant les diri- geants des pays émergents, asiatiques et africains. L’organisation de l’évènement, dont on fixa la date à l’année suivante, a été confiée à l’Indonésie. Naturellement, il existait d’impor- tantes disparités démographiques et économiques entre les pays partici- pants. À côté de pays densément peuplés comme la Chine et l’Inde, le Libéria et le Népal ne semblaient pas peser lourd. Certains pays, tels Chypre et la Côte d’Or (aujourd’hui le Ghana), n’avaient pas encore obtenu leur indépendance. Les participants étaient aussi divisés par des considérations d’ordre idéo- logique. Alors que des pays comme la Thaïlande et les Philippines étaient fer- mement alignés sur le bloc occidental, d’autres refusaient de se compromettre; le bloc communiste, avec la Chine et le Vietnam, était lui aussi représenté. Le Japon, désireux de rétablir son influence sur le continent asiatique, a été le seul pays industrialisé admis à Bandung; l’Union soviétique et les États-Unis étaient tous deux exclus. Aussitôt annoncée, l’initiative suscita la désapprobation de l’Ouest. Tandis que les Américains craignaient de voir la conférence contribuer au progrès du socialisme dans la région, les Britanni- ques s’inquiétaient de possibles consé- quences sur la stabilité de leurs colonies africaines. C’est ainsi que Londres s’est appliquée à décourager les États afri- cains de participer aux discussions. Objectifs et réalisations de la conférence La conférence s’est déroulée du 18 au 24 avril 1955. Elle s’est ouverte sur un dis- cours du Président indonésien Soekarno, qui invitait tous les pays à se mobiliser pour la paix. Ceux qui s’étaient rassem- blés pour l’entendre figuraient parmi les principaux défenseurs de l’anticolo- nialisme : on y pouvait distinguer Jawa- harlal Nehru, Premier ministre de l’Inde, Gamal Nasser, Président d’Égypte, et Chou En-Lai, Premier ministre chinois. Les rapports n’étaient pas tous cor- diaux entre les pays représentés à Bandung : l’Inde et le Pakistan, notam- ment, continuaient de s’affronter sur la question du Cachemire. Pour autant, ces pays réalisaient qu’ils possédaient des intérêts communs. Leur préoccupation la plus immédiate était de combattre l’influence européenne. Fraîchement émancipés, ils souhaitaient officialiser leur libération par un geste d’éclat et mettre leur souveraineté nationale à l’abri d’un retour du colonisateur. Dans le communiqué final de la conférence, on insistait surtout sur la nécessité de lutter contre le racisme et la discrimina- tion à l’endroit des peuples de couleur. Les participants ont aussi exprimé leur soutien à la lutte et à la libération de tous les peuples demeurés sous domination étrangère, en particulier les Algériens et les Palestiniens. Les nations émergentes étaient éga- lement réunies par un attachement commun au maintien de la paix. Redou- tant les conséquences dramatiques d’un conflit global, leurs dirigeants souhai- taient empêcher l’accumulation d’armes nucléaires par les deux grandes puis- sances, les États-Unis et l’Union sovié- tique. Reprenant les propositions de Nehru, les membres de la conférence se sont ralliés au principe du neutralisme, en vertu duquel ils promettaient de ne pas contracter d’engagement militaire et stra- tégique avec les Américains ou les Russes. Tout conflit international, affirmaient-ils, devait trouver une solution pacifique. À l’issue de la conférence, des lettres appe- lant à la paix ont été délivrées personnel- lement à Washington et à Moscou. Par ailleurs, les pays représentés à Bandung étaient animés d’une même indignation face aux règles du système inter- national qui accordaient une place dérisoire aux aspirations des peuples asiatiques et africains. En conséquence, ils ont demandé une recons- truction complète du système mondial fondée sur la reconnaissance des droits des nations émer- gentes. Un de leurs griefs concernait les Nations unies. À Bandung, ils ont exigé qu’on leur accorde une place accrue au sein du Conseil de sécurité et que la République populaire de Chine soit finalement reconnue en tant que membre de l’organisation. Enfin, la conférence comportait un important volet économique. Après avoir discuté longuement des moyens de relancer le développement économique de leur région, les leaders asiatiques et africains se sont entendus sur un cer- tain nombre de résolutions. Relevant un besoin commun de savoir technique, ils ont ainsi accepté de procéder à des échanges d’expertise et d’encourager le partage de biens, de talents et de services chaque fois que cela serait possible. Ils ont également suggéré la mise en place d’un fond piloté par les Nations unies, et donc financé en majeure partie par les nations occidentales, pour aider au relè- vement de l’économie asiatique. Enfin, les participants ont manifesté le désir d’instaurer des politiques économiques communes, par exemple au niveau de la vente de pétrole. Appliquée quelques vingt années plus tard, cette initiative a cependant eu des effets désastreux sur l’économie de plusieurs pays en voie de développement. Les répercussions de Bandung La plupart de ces résolutions n’ont pas été suivies d’effet. Les nations représen- tées à Bandung étaient trop différentes, leursintérêtstropdivergents,pourqu’une coopération économique réelle s’installe entre la plupart d’entre elles. L’appel à la paix n’a pas non plus empêché un conflit militaire de se déclarer entre les deux principaux pays présents à Bandung, l’Inde et la Chine, en 1962. Cela ne suffit pas à affirmer que l’im- pact de la conférence a été nul, comme certains l’ont fait un peu légèrement. La conférence a eu une immense portée symbolique  : pour la première fois, les pays asiatiques et africains se sont ren- contrés sans la présence d’une puissance occidentale. C’est à cette date que le Sud est apparu comme une entité géo- graphique distincte et potentiellement opposée au Nord. C’est aussi à ce moment que l’inégalité économique et politique entre les pays riches et les pays pauvres, de plus en plus décriée, a pris la forme de revendications concrètes. Les récrimina- tions formulées à Bandung ont été sans cesse reprises par les nations émergentes au cours des décennies suivantes. La conférence a eu une autre consé- quence majeure. Après 1955, le refus de prendre parti en faveur des États-Unis ou de l’Union soviétique s’est étendu à un grand nombre de pays jusqu’à consti- tuer un mouvement caractéristique des pays non-alignés. Ce regroupement de nations, fondé sur la dénonciation du racisme et de l’impérialisme, a été assez considérable pour peser sur la politique internationale et influencer le cours de la Guerre froide. Ce mouvement existe encore de nos jours, il compte 118 États et près de 55 % de la population mondiale. Finalement, on ne saurait négliger les effets psychologiques de la conférence. À cette occasion, les pays émergents ont revendiqué une supériorité morale. Ils ont, en effet, affirmé la légitimité de leur combat pour l’émancipation face à un Occident matérialiste et supposément enrichi par l’exploitation. Cette décla- ration a été largement diffusée. Elle a fourni l’impulsion décisive qui allait conduire, quelques années plus tard, à la libération définitive de la plus grande partie du continent africain. Cet apport à la décolonisation est sans doute l’héri- tage le plus significatif et le plus durable de la conférence de Bandung. L’année 1955 a marqué un tournant dans l’histoire de la décolonisation. Réunis à Bandung, en Indonésie, dans un geste exceptionnel de soli- darité, les représentants de 29 nations asiatiques et africaines se sont mis d’accord sur une série de résolutions politiques, économiques et sociales. À cette époque, leur appel à la paix et à une redistribution de la puissance mondiale a rencontré un écho puissant dans l’opinion internationale. Il a conféré une nouvelle légitimité au combat pour la décolonisation et précipité la chute des dernières colonies européennes en Afrique. Retour sur un évènement capital du XXe siècle. Bandung, moment décisif de la décolonisation PIERRE-LUC PELLAND-MARCOTTE candidat à la maîtrise en science politique université laval plpm62@hotmail.com Du 18 au 24 avril 1955, la conférence de Bandung a réuni les représentants de 29 pays d’Afrique et d’Asie. alegarshg.blogspot.com Jawaharlal Nehru, premier ministre de l’Inde. Il a fait accepter le principe du neutralisme. www.schema-root.org
  • 5. 5Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca La monnaie est classiquement envi- sagée comme un attribut de la puissance publique, un instrument de propagande au service de cette dernière et naturel- lement une source de fierté nationale. Les juristes citent fréquemment la Cour Internationale de Justice de La Haye. En 1929, elle a donné, à l’occasion de l’affaire dite «  des Emprunts serbes et brésiliens », une formulation de la sou- veraineté monétaire de l’État (enracinée depuis dans le Droit International)  : « C’est un principe généralement admis que tout État a le droit de déterminer lui-même ses monnaies.  » Pourtant, dans le cas de l’Afrique, et particulière- ment des pays d’Afrique sub-saharienne francophone, la devise en circulation, le franc CFA, est restée, 40 ans après les indépendances, indexée à une monnaie étrangère, l’étalon français, et garantie sur les marchés financiers internatio- naux par le Trésor Français jusqu’en 1999, date à laquelle elle est arrimée à la nouvelle monnaie européenne, l’Euro. Ce paternalisme offensant dure jusqu’aujourd’hui. La souveraineté monétaire, un énième domaine où l’in- dépendance n’a pas eu lieu ! Le franc CFA et les indépendances politiques Le Franc CFA est la dénomination de la monnaie commune de 14 pays africains membres de la Zone Franc; en Afrique de l’Ouest, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, qui consti- tuent l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), dont l’institu- tion d’émission est la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). En Afrique Centrale  : le Cameroun, la Cen- trafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad, qui constituent la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), dont l’ins- titution d’émission est la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC). Le franc CFA «  naît  » le 26 décembre 1945, jour où la France ratifie les Accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds Monétaire International (FMI). Il signifie alors « franc des Colonies Françaises d’Afrique  ». En 1958, il devient « franc de la Communauté Française d’Afrique ». A partir du 1er janvier 1960, la plupart des pays d’Afrique sous domination française accèdent, bon gré mal gré, à l’indépendance politique et la souverai- neté internationale. A la création du franc CFA (FCFA), en 1945, sa parité est de 1 FCFA pour 1,70 francs Fran- çais (FF). Le 17 octobre 1948,  une première dévaluation du franc français affecte la « monnaie francophone sub-saharienne »;leFCFAestalorsréajusté à 2,00 FF. Dix ans plus tard, le 27 décembre 1958 quand prend effet en France l’instau- ration du nouveau franc français, le taux de change passe à 1 FCFA pour 0,02 FF. Les années 1990 : Crise économique et dévaluation On se serait raisonnablement attendu à ce que, 30 ans après les indépendances, que les questions d’autonomie écono- mique, pourtant au cœur des débats sur le développement,touchentàlaparitéFCFA/ FF. Mais il n’en est rien, pour ce qui est de la monnaie, qui reste aujourd’hui, alors même qu’en France le mot franc est depuis l’avènement de l’euro tombé en désuétude, l’appellation franc CFA signifie «franc de la Communauté Financière Africaine» pour les pays membres de l’UEMOA, et «franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale» pour les pays membres de la CEMAC. La Françafrique vit en fait parmi ses plus belles années de gloire, comme l’a expliqué avec brio François-Xavier Vers- chave, La Françafrique : Le plus long scan- dale de la République. Le 2 août 1993 entre en vigueur la mesure de suspension de rachat des billets de banque CFA par le Trésor Français. Auparavant, et ce jusqu’au 1er août 1993, la convertibilité des billets était libre et illimitée. Une mesure similaire de sus- pension de rachat des billets CFA entre la zone UMOA et la zone CEMAC est prise à compter de septembre 1993. Le 12 janvier 1994, c’est la dévaluation du FCFA (1 FCFA = 0,01 FF) – techniquement la première du genre, bien que, pour les pays concernés, chaque décision unilatérale prise par la France à l’encontre de leur monnaie s’est effectivement traduite par une déprécia- tion de celle-ci, et partant, du sentiment de fierté nationale, ou plus exactement la cruelle absence de ce dernier, censé accompagner l’usage de sa propre mon- naie. A l’arrimage du FCFA à l’euro, le 1er janvier 1999, 1 euro vaut 655,957 FCFA. Le projet panafricaniste : la monnaie, un casse-tête à venir Beaucoup d’Africains placent leurs espoirs de réhabilitation de leur souverai- netémonétairesurl’avènementdes« États Unis d’Afrique », un projet caressé par les « pères fondateurs » de l’Organisation de l’UnitéAfricaine(OUA)aujourd’huiUnion Africaine (UA), et régulièrement entre- tenu par certains intellectuels africains et la diaspora. La vérité est que, comme à la création de l’OUA, le 25 mai 1963, où les divisions entre les groupes « progres- sistes  » dits «  de Casablanca  » (conduit par le Ghanéen Kwame Nkrumah, mili- tant pour la création immédiate d’un État fédéral africain doté d’un gouvernement, d’une monnaie et d’une armée) et «  de Monrovia » (dit « des modérés » dirigé par le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et l’ivoirien Félix Houphouët-Boigny, résis- tant à l’idée d’une fédération politique, estimait que l’unité devrait être réalisée progressivement, notamment à travers la coopération économique) ont produit le résultat que l’on sait, les africains res- tent fondamentalement opposés sur la démarche a suivre, ce qui a fait dire au Professeur Jean Mfoulou, que l’ambiva- lence du projet résidait essentiellement dans le fait que, tout au long de son évo- lution, il oscille entre «  triomphe des nationalités  » et «  triomphe de l’unité  ». Aujourd’hui, les acteurs ont certes changé (du moins en partie) ; le Libyen Kadhafi a repris la houlette des « progressistes », alors que les « modérés », bien que sans leader déclaré, poursuivent fidèlement l’idée de leurs prédécesseurs dans le débat, étrangement encouragés, pour ainsi dire, par les résultats désastreux de 50 ans de sous-développement. En tout état de cause, la question d’une monnaie africaine, jugée trop sensible, n’a jamais été abordée, ni par la Com- mission de l’UA, ni par la Conférence des Chefs d’États, du moins pas encore. Mais point n’est besoin d’être devin pour postuler que ce « casse-tête » ne sera pas résolu de si tôt. Si les africains de la Zone Franc comptent sur l’Union Africaine pour leur rendre, ne serait-ce qu’en partie, leur fierté perdue, au moyen d’une mon- naie africaine commune et forte, et si les débats aux sommets annuels de l’organi- sation panafricaine sont une quelconque indication des « tendances lourdes » sur la façon d’aborder les questions impor- tantes, l’avenir, malheureusement, ne présage rien de bon. Mais comme disait Hegel, « Rien de grand ne s’accomplit sans passion » : « The dream must go on  ! ! ! » Le cinquantenaire de la plupart des indépendances africaines se célèbre cette année. Un vestige du passé colonial de l’Afrique est le franc CFA, la monnaie des pays d’Afrique francophone. Un billet de 10.000 Francs CFA regardscroises.ivoire-blog.com Thierry onga candidat au doctorat en études internationales université laval thierryonga@aim.com Souveraineté monétaire de l’Afrique Le cas CFA : la décolonisation qui n’a pas eu lieu Carte de la zone Franc CFA www.izf.net
  • 6. 6 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca L’indépendance pour ce qu’on avait laissé croire, devrait refléter de nouveaux États ou l’autodétermination constituait le principe fondamental de la souveraineté affirmée danslaChartedesNations-unies, signée en 1945, qui inclut, parmi « les buts des Nations-Unies », celui de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’éga- lité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes » (article 1, alinéa 2). Ainsi, dans l’esprit de plusieurs Afri- cains qui scandaient le   «  Vive les indé- pendances »  à cette époque de l’Afrique nouvellement libérée du joug de la coloni- sation, c’était une expression de la fierté nationale, un moment fort pour exprimer son appartenance à un peuple, tous fiers d’avoir une nationalité propre faisant le lien avec son territoire et non avec l’ancien colonisateur. L’année 2010, qui marque ces 50 années, représente à n’en point douter un moment bien choisi pour jeter un regard sur ce à quoi ont bien pu servir ces indé- pendances africaines. Plusieurs africains n’ont cessé de fustiger, de faire des critiques acerbes contre ces séries d’indépendances de 1960. M. Abozan, un interlocuteur afri- cain, souligne que «  les pays africains n’ont eu en réalité qu’une indépendance politique. Les blancs ont créé des sys- tèmes pour nous contrôler  ». Un autre, M.  Gnandja Patrice, renchérit en ces termes : « on a eu l’impression que 1960 consacrait l’indépendance de l’Afrique. Mais je pense que l’indépendance est venue comme si nous n’étions pas pré- parés. Les devanciers n’ont pas tenu compte des aspirations, de la culture du peuple africain. Nous avons copié ce qui venait de la France. Alors qu’il fallait inculquer aux Africains le goût de l’ef- fort et intégrer les richesses de l’Afrique dans notre développement ». Voici 50 années passées et l’impression que les indépendances n’ont été qu’une utopie, un leurre, est bien évidente. L’Afrique semble avoir hérité non d’une liberté, mais d’une somme de nouvelles situations qui, de nos jours, constituent une entrave majeure à son développement politique, économique et social. « Le soleil des indépendances », pour emprunter les termes d’Ahmadou Kourouma, qui pour tous, devait briller sur les nouveaux États et dans la vie des populations en particulier, semble mettre du temps à se lever. Qu’est-ce qui expliquerait cette léthargie de ces pays africains pourtant indépendants depuis un demi-siècle ? L’avènement du multipartisme dans plusieurs États est un constat fort patent etcelaestuneavancéeconsidérabledans le processus démocratique. Cependant, le constat est que ce multipartisme, tel que présenté dans certains de ces pays africains, n’est pas un multipartisme enraciné dans la démocratie. En effet, on retrouve des partis politiques à fond ethnique ou souvent basé sur la prove- nance d’une même région. Cela vient donc fausser le jeu démocratique. L’une des conséquences de cette situation demeurera la fragilité des institutions étatiques incapables d’assurer l’autorité suprême. La suite logique de cette situa- tion expliquerait les multiples instabi- lités politiques. L’Afrique des Grands Lacs paie les lourdes conséquences de ses nombreuses guerres civiles. Même son de cloche pour les pays de l’Afrique de l’Ouest, le cas en Côte d’Ivoire en est une belle illustration. À cela s’ajoute une autre conséquence, et non des moindres, que constitue la mauvaise balkanisation de l’Afrique, cause de nombreux conflits frontaliers pour ne citer que ceux entre le Tchad et la Lybie, l’Éthiopie et la Somalie, et le Nigeria et le Cameroun. Des conflits qui, par moment, ressurgis- sent encore aujourd’hui. On pourrait aussi analyser la situation de la dette extérieure comme un autre obstacle majeur qui ralentit le dévelop- pement depuis ces 50 dernières années. En effet, plusieurs des États nouvelle- ment indépendants, ont reçus des prêts des États-Unis et de l’Union Soviétique pour assurer l’éducation de la popula- tion et amorcer un réel processus de modernisation. Ces prêts très élevés, accompagnés parfois de multiples avantages, étaient censés accroître le développement, favoriser les investisse- ments et donc amorcer une croissance. Des prêts censés nourrir, éduquer et moderniser, mais il n’en est rien. Cette dette extérieure a atteint des niveaux insoutenables au point que le rembour- sement est devenu pour tous ces pays de l’Afrique subsaharienne presque impos- sible. L’économie africaine a désormais du mal à se détacher de ce processus d’endettement dans lequel elle se trouve enlisée. Cela justifierait à coup sûr la dépendance au plan international de plusieurs États du Sud vis-à-vis de leurs bailleurs de fonds du Nord, qui semblent maintenir cette épée de Damoclès tou- jours prête à s’abattre sur la tête de l’État qui se détacherait du rang. En effet, 90 % du tissu économique des pays africains est aujourd’hui contrôlé par des entre- prises étrangères. À quand l’indépen- dance économique pour l’Afrique ? En sus de ce que représente la dette extérieure sur l’économie, on ne peut passer sous silence la gestion chaotique des ressources financières au sommet de plusieurs de ces États. En effet, les énormes capitaux empruntés à l’Oc- cident ont non seulement augmenté la dette, mais aussi, et surtout, ont été dilapidés. Aucune gestion parcimo- nieuse de ces fonds n’a été faite. Les problèmes sociaux comme l’éducation, la santé et la stabilité politique ont été ignorés et perdurent. Il y a eu certes des écoles, des universités et des hôpitaux construits depuis lors, mais la qualité et le nombre par rapport à l’évolution démographique ne sont pas au rendez- vous. Les États sont restés sur les infras- tructures acquises des missionnaires en matière de santé et d’éducation. La gabegie totale au sommet des États et dans la gestion des biens publics, ainsi que la corruption qui prend une propor- tion très inquiétante, gangrènent l’éco- nomie africaine. En définitive, que peut-on retenir de ces indépendances que tous applaudis- saient en 1960 ? En dehors du Sénégal, du Bénin ou même du Mali qui pour- raient plus ou moins être vus comme des modèles, seulement au niveau de l’alternance politique, la majeure partie de ces États sombre toujours dans des situations politiques, économiques et sociales désastreuses. Il est clair qu’on ne saurait ignorer les efforts fournis. Mais que représenteraient ces acquis devant les énormes besoins actuels ? Beaucoup reste à faire et l’Afrique ne doit pas manquer sa place au rendez- vous de la mondialisation. Quel sens ou orientation donner aujourd’hui à toutes ces célébrations du cinquantenaire des indépendances africaines ? Revivre les moments fes- tifs et nostalgiques de la période « Vive les indépendances  » de 1960 ou témoi- gner devant le monde entier le désir des nouveaux dirigeants africains de s’ap- proprier le statut d’États véritablement indépendants et souverains soucieux du développement et du devenir de leur population et de l’Afrique en général. Il y a un demi-siècle de cela plusieurs pays africains, avec à leur tête des leaders nationalistes pour ne citer que : Jomo Kenyatta (Kenya), Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Félix Houphouet Boigny (Côte d’Ivoire), Kwame Nkrumah (Côte-de-L’or, Ghana actuel), Ruben Um Nyobe (Cameroun) et Patrice Émery Lumumba (RDC), menaient la lutte pour les indépendances. Ainsi à partir de 1960, l’horizon semble s’ouvrir pour plusieurs anciennes colonies désormais devenues des États indépendants. Le Cameroun donne le ton dès le 1er janvier 1960 et 16 autres pays vont suivre. Aujourd’hui, 50 années après, que pou- vons-nous retenir de ces indépendances africaines et comment les Africains perçoivent ce nouveau statut ? La situation actuelle des États africains reflète-elle celle de pays indépendants ? Jean-Marc Fiende candidat à la maîtrise en études internationales université laval jean-marc.fiende.1@ulaval.ca Les indépendances africaines : 50 années après… Les soleils des indépendances, de Ahmadou Kourouma, aux éditions Points. Kwame Nkrumah, premier dirigeant du Ghana indépendant (1957-1966) www.fnac.com www.ghana-pedia.org
  • 7. 7Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca L’accélération du processus de la mon- dialisation modifie en profondeur les rapports de force et les registres de puis- sance. L’ancienne lecture interétatique et géopolitique du monde échoue à expliquer les recompositions en cours car les trans- formations de la guerre ou les nouveaux conflits ne peuvent être comprises sans intégrer la combinaison particulière des facteurs économiques, sociaux, socié- taux et politiques. États défaillants, chaos social, combat sans issue du faible contre le fort, des États contre des réseaux ou groupes armés non étatiques, le monde est devenu plus incertain, plus dangereux, plus instable qu’il ne l’était. En effet, la conception classique de la guerre présente celle-ci comme le jeu normal entre États souverains ne résiste plus à l’avènement de nouvelles formes de conflits dont les acteurs ne sont plus nécessairement des entités souveraines, mais plus des belligérants transétatiques, des groupes armés non étatiques contre les forces gouvernementales. Certes, les conflits interétatiques n’ont pas disparu mais ils ne constituent plus la forme domi- nantedecedébutduXXIe siècle.Lesconflits infra-étatiques sous forme de guerres civiles, d’insurrections, ou de révolutions violentes ont des allures internationales : les conflits locaux à impact international s’imbriquent de façon complexe dans les relations internationales. La persistance des conflits armés en Afrique L’Afrique n’échappe pas à ces nouveaux conflits, mais elle présente la particularité qu’au lendemain des indépendances des États africains, la plupart ont connu les affres des guerres civiles, ou des mouve- ments de groupes armés qui ont conduit à des coups d’État. Mais derrière ces conflits relatifsàlaconquêtedupouvoirsedressent des motivations tout à fait inavouables : la captation des richesses et des ressources du sous-sol (diamant, pétrole, uranium). Dans ces guerres de prédation, où s’ins- tallent et se reproduisent des économies et sociétés de guerre, les États voisins peu- vent trouver quelque intérêt. Les nouveaux conflits internationaux, internes aux États mais aux ramifica- tions régionales et internationales, frap- pent d’abord les populations civiles. L’instrumentalisation des différences ethniques, religieuses, économiques et sociales par les seigneurs de la guerre et entrepreneurs de conflits brouille la per- ception des causes et la distinction entre civils et militaires. L’impact interna- tional de ces conflits opposant rebelles et gouvernements se mesure à l’aune de l’implication des puissances étrangères (enjeux des matières premières), de l’ins- tabilité et de l’insécurité internationales mais aussi des désastres humanitaires qui obligent la communauté internatio- nale à intervenir pour le sauvetage des populations civiles et à s’impliquer dans la résolution de ces guerres qui s’enlisent de plus en plus. En effet, les populations prises en otage, sont soit enrôlées de force, soit objet de privations alimentaires et de soins de santé, de massacres, d’épura- tions ethniques, voire de génocides ou de mutilations. Les combats, outre les restes d’armes de la guerre froide et celles issues de trafics mondiaux rendent inopérant tout embargo sur les armes. Si l’Afrique est grandement touchée par les conflits et l’instabilité politique, force est de reconnaître que la conflictualité s’est cristallisée dans certains pays. En 2010, le spectre des conflits continue de hanter, la Côte d’Ivoire, la République centrafricaine, la République Démocra- tique du Congo, le Togo, la Somalie et le Tchad. La région la plus conflictuelle demeure la corne de l’Afrique. Risques d’attentats, piraterie, terrorisme, crises, conflits et tensions affectent cette région complexe située au carrefour des mondes arabe, africain et asiatique. Les conflits armés en Afrique résultent ainsi à la fois de la résurgence des réfé- rents identitaires ethniques, religieux ou nationalistes, de la faillite de l’État de droit et des souverainetés en déshérence, des immixtions des puissances régionales et internationales, et d’une montée en puissance des organisations criminelles internationales. Les guerres de rareté autour des ressources (eau, pétrole, dia- mant, etc.) se combinent avec les guerres de frontières ou d’influence. On note une accentuation de nouvelles formes de vio- lence avec l’extension de la piraterie mari- time le long des côtes somaliennes et dans le Golfe de Guinée, ou le MEND (mouve- ment pour l’émancipation du Delta du Niger) au Nigéria. Le Tchad n’a pas cessé d’être le théâtre d’affrontements entre les forces gouvernementales et le regroupe- ment des forces rebelles de l’Union des forces de résistance (UFR), sous la res- ponsabilité du neveu d’Idriss Deby, Timan Erdmi et du général Mahamat Nouri, sou- tenu par le Soudan. Ces conflits en Afrique, en raison de leur menace à la paix et la sécurité internatio- nales, des enjeux de matières premières pour les puissances étrangères et des drames humanitaires qui s’y perpètrent, ne sauraient laisser la communauté inter- nationale indifférente. 15 des 40 opérations de maintien de paix des Nations unies en cours actuellement dans le monde, se déroulent en Afrique. Le rôle ambivalent de la communauté internationale dans les conflits en Afrique La persistance des conflits africains illustre la relative impuissance de la com- munauté internationale et de l’ONU à mettre fin aux conflits internes qui mena- cent la paix et la sécurité internationales et portent atteinte aux droits de l’homme. Les initiatives de paix n’empêchent pas les rebelles et les forces gouvernementales de commettre des carnages dans les pays concernés. Selon Mabire, la continuation de ces situations chaotiques puise son ori- gine dans les agissements des membres de la communauté internationale. La multi- plication des initiatives de paix a en effet eu pour résultat de brouiller les cartes et de permettre aux forces en présence de tergi- verser et de camper sur leurs positions. La communauté internationale a également contribué à instrumentaliser les différents processus de paix ou les acteurs. Ainsi, on voit l’Égypte, la Libye, l’Érythrée, le Sénégal, les États-Unis, la Chine, l’Union européenne, l’Union africaine, l’Organi- sation de la Conférence islamique (OCI), l’Organisation des Nations-unes dépêcher des médiateurs ou lancer des initiatives de paix sur le continent. Ces tentatives de règlement des crises ont jusqu’à présent joué en faveur d’un prolongement des conflits. A qui profitent donc ces conflits ? Au Tchad, en RDC et ailleurs en Afrique, les Occidentaux et la Chine se livrent malheureusement à des rivalités dans le secteur pétrolier. Mais la persistance des conflits inter- pelle également et de façon spécifique l’Union Africaine (UA). Les initiatives de l’UA en matière de prévention et de gestion des conflits en Afrique En plus de sa participation aux opéra- tions de paix de l’ONU sur le continent africain, l’UA se mobilise de plus en plus pour gérer les guerres africaines. Face à l’ampleur des conflits qui dés- tabilisent et freinent le développement de l’Afrique dans son ensemble, l’orga- nisation panafricaine a décidé, en plus de toutes ses initiatives antérieures, de prendre en 2009 des mesures plus éner- giques. Ainsi, les dirigeants africains ont adopté le 2 septembre 2009, lors d’une session spéciale de l’Union Africaine (UA) qui s’est tenue à Tripoli en Libye, à la veille du 40e anniversaire de la révo- lution libyenne, un plan d’action de ges- tion des crises en Afrique (plan d’action n°16519). Ce plan d’action qui comporte 17 points, consacre la volonté des diri- geants africains de s’impliquer plus réso- lument dans le règlement des conflits. Il est une invite à tous les chefs d’État et de gouvernement à redoubler d’efforts pour réduire les zones de conflictualité sur le continent. L’Afrique a également com- mencé à s’impliquer dans la gestion des conflits, à travers son Conseil de paix et de sécurité (CPS). De même, l’UA a commencé en 2009 une réflexion sur la mise en place d’une convention africaine de protection des personnes déplacées à l’intérieur du ter- ritoire de l’Etat dont elles sont ressortis- santes du fait de la guerre (l’Afrique abrite 1/3 des déplacés internes du monde). C’est la première initiative du genre dans le monde pour combler le vide juridique dont sont victimes des déplacés alors que les réfugiés sont protégés par la conven- tion de Genève relative au statut des réfu- giés en date du 28 juillet 1951. Il est donc à souhaiter que ces élans ne soient plus ralentis par des considéra- tions politiques et politiciennes. Les origines de ces conflits sont à rechercher dans la mauvaise gestion du pouvoir et des ressources de l’État au lendemain des indépendances des États africains. Ces pays sortiront de la pauvreté et de la stagnation économique lorsqu’ils réussiront à se libérer des forces internes et externes qui les contraignent au cercle infernal de l’assistanat et la misère. En 1960, 17 pays africains dont deux anglophones, le Nigéria et Somalie, naissaient comme des États souverains, sujets de droit international et acteurs de la politique internationale. Mais cette accession à la souve- raineté nationale et internationale qui a suscité l’espoir de la libération définitive du joug étranger s’est révélé un cauchemar pour beaucoup de ces nouvelles entités étatiques. Le basculement dans les conflits armés et l’instabilité politique constituent des signes que l’Afrique n’est probablement pas libérée. En 2010, nombre de ces pays célèbrent leur cinquantième anniversaire dans la violence et le chaos politique. Per- çues comme des conflits nouveaux, les guerres qui ravagent l’Afrique actuellement sont possiblement le résultat de la mauvaise gestion de la souveraineté, de la mal gouvernance des affaires publiques et des ressources de l’État. Cette situation est subtilement exploitée par les puissances étrangères à leur profit. 50 ans d’indépendance en Afrique Un bilan politique chaotique Coffi Dieudonné ASSOUVI candidat au doctorat en études internationales université laval coffi-dieudonne.assouvi.1@ulaval.ca
  • 8. 8 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca Les premières années postcoloniales Dès l’accession à l’indépendance de son pays, le président Félix Houphouët- Boigny opte pour une coopération avec la France. À cette époque, deux concep- tions différentes de l’Afrique s’affron- tent : d’une part les « progressistes » du groupe de Casablanca, qui souhaitent à la fois une indépendance totale des pays africains ainsi qu’un fort panafri- canisme et, d’autre part, les « modérés » du groupe de Monrovia dont faisait partie Félix Houphouët-Boigny, qui aspi- rent également à une indépendance de l’Afrique, sans toutefois désirer se déta- cher des anciennes puissances colo- niales. De plus, ne voulant pas faire de son pays la « vache à lait » d’autres États africains, le président ivoirien préconise une union plus souple pour le continent. C’est donc dans cet état d’esprit que cette république, nouvellement indépendante, entame ses premières années postcolo- niales : « une Afrique des patries coopé- rant avec son ancien colonisateur ». En à peine 20 ans, les résultats affi- chés par la Côte d’Ivoire sont impres- sionnants : le taux de croissance annuel moyen du Produit Intérieur Brut est d’environ 7  % entre 1960 et 1980, indique la Banque Mondiale. Contrairement à certains pays voisins, la Côte d’Ivoire est considérée comme autosuffisante en produits vivriers. Le pays parvient dans le même temps à accroître sa production agricole, ce qui lui permet d’exporter davantage. Le développement écono- mique de la Côte d’Ivoire repose donc sur ses matières premières. Cette expansion de l’économie ivoirienne n’est pas seule- ment due à la forte croissance de la pro- duction agricole, les cours favorables des matières premières, notamment ceux du café et du cacao (principaux produits d’exportation en Côte d’Ivoire) ont forte- ment contribué à cet essor. Les recettes engendrées par les exportations de café et de cacao ont permis à la Côte d’Ivoire de développer ses infrastructures de transport (réseaux routier et ferroviaire, port et aéroports), infrastructures indis- pensables à sa croissance. Selon Woods, le développement économique de la Côte d’Ivoire n’est pas uniquement conjonc- turel sous l’ère Houphouët-Boigny, il est aussi structurel. Les dépenses dans le domaine de l’éducation et de la santé sont très importantes, 40  % du budget de l’État est alloué au secteur de l’éduca- tion et de nombreux hôpitaux et dispen- saires de village sont mis à la disposition des populations. Au-delà de sa situation socioécono- mique enviable qui encourage la venue d’une main-d’œuvre bon marché en provenance des pays frontaliers, la Côte d’Ivoire jouit d’une stabilité politique qui favorise les investissements étran- gers, principalement français. Cet état de fait conduit un bon nombre d’obser- vateurs à parler de « miracle ivoirien ». Toutefois, il convient de nuancer les 30 années de stabilité politique en Côte d’Ivoire, dans la mesure où le parti unique monopolise l’activité politique, où les manifestations de tout ordre sont réprimandées et où les opposants au régime sont emprisonnés. La fin du miracle Au début des années 1980, la chute du cours du cacao vient freiner la forte expansion économique du pays et à cela s’ajoute des difficultés pour le rembour- sement de la dette intérieure et exté- rieure. Les conséquences sociales de cette crise économique sont frappantes, d’autant plus que le « miracle ivoirien » n’a pas profité à la majeure partie de la population. C’est dans ce climat morose que le multipartisme voit le jour dix ans plus tard, à la suite de pressions internes qui se traduisent par de nombreuses manifestations à travers le pays; la com- munauté internationale joue également un rôle non négligeable dans l’instaura- tion du multipartisme en Côte d’Ivoire. En dépit de toutes les protestations à l’encontre de son régime, Houphouët est réélu à la présidence de son pays en octobre 1990, face à Laurent Gbagbo, leader du principal parti d’opposition, le FrontpopulaireIvoirien(FPI).Houphouët décède trois ans plus tard, après avoir passé 33 ans au pouvoir. Pour certains observateurs, ce dernier n’a pas réelle- ment préparé sa succession. À la mort du « père de la nation », les potentiels « héri- tiers » que sont le premier ministre Alas- sane Dramane Ouattara (ADO) et le pré- sident de l’Assemblée nationale, Bédié, se disputent le pouvoir. Toujours est-il que le président de l’Assemblée natio- nale, Bédié, assure l’intérim, selon les dispositions prévues par la constitution ivoirienne. Bédié est élu sous l’étiquette du PDCI lors des élections présidentielles de 1995, boycottées par les partis politi- ques de Gbagbo et d’ADO, le Rassemble- ment des Républicains (RDR), parti né d’une scission du PDCI. C’est donc dans un climat de tension que Bédié accède à la magistrature suprême. De surcroît, ce dernier détourne le concept d’ivoirité – censé permettre d’unir les différentes ethnies présentes en Côte d’Ivoire – à des fins politiques. Ce concept, également utilisé par d’autres politiciens, conduit à écarter ADO de l’échiquier politique ivoirien, ce dernier ne pouvant pas se présenter aux élections présidentielles étant donné le caractère « douteux » de sa nationalité. L’ivoirité n’est pas seule- ment synonyme d’exclusion sur la scène politique, elle a aussi de profondes réper- cussions sur les étrangers qui vivent dans ce pays. Les affrontements entre autochtones et étrangers ne sont pas rares, notamment envers les populations d’origine Burkinabès. Le coup d’État du 24 décembre 1999, accueilli favorablement par l’opinion publique, contraint Bédié à l’exil. Le Général Robert Guéi, « père » de ce coup de force, décide de briguer la magistra- ture suprême l’année suivante. Il effectue plusieurs manipulations dans le but d’écarter certains candidats dont ADO. À la surprise générale, ces élections sont remportées par Laurent Gbagbo. Le président actuel de la Côte d’Ivoire, Gbagbo, organise un forum de récon- ciliation nationale afin d’atténuer les tensions sociopolitiques. À l’issue de ce forum, des portefeuilles ministériels sont attribués aux principaux partis politiques du pays, et un certificat de nationalité ivoirienne est attribué à ADO. Malgré cette volonté d’ouverture, le pays est à nouveau frappé par une tentative de coup d’État le 19 septembre 2002 qui aboutit à la partition du pays entre le Nord et le Sud. À la suite de nombreux accords signés entre les différents acteurs de la crise ivoirienne, et ce, sous l’égide de la communauté internationale, notam- ment des pays de la sous-région, la Côte d’Ivoire tente de renouer avec la stabilité. Des avancées, certes timides mais notables, peuvent être soulignées; cependant on ne pourrait envisager une sortie de crise sans la tenue d’élections libres et transparentes sans cesse repor- tées depuis cinq ans. Un retour à la normalité ? Quand bien même les élections tant attendues auraient lieu, les Ivoiriens demeurent confrontés aux impacts de la crise. Celle-ci a accentué des maux déjà présents tels que la corruption, « les crispations identitaires », et les carences des politiques sociales, notamment au niveau de l’éducation et de la santé… Les explications historiques, somme toute partielles, relatées dans cet article démontrent l’ampleur du problème ivoirien. Si les « enfants de Félix » sou- haitent retrouver la prospérité d’antan et se réapproprier un nouveau miracle, ils devront établir leur développement sur des bases plus solides, afin de per- mettre aux générations futures de dresser un bilan moins amer pour le centenaire de l’indépendance. Situé le long du Golfe de Guinée, cette ancienne colonie française, qui accède à l’indépendance le 7 août 1960, a été pendant longtemps un des pays les plus stables de la sous-région. Félix Houphouët- Boigny, fondateur du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) – parti unique jusqu’en 1990 – est élu président le 27 novembre 1960. Il tient son pays d’une main de fer pendant plus de 30 ans et parvient à faire de ce dernier la « vitrine de l’Afrique de l’Ouest ». « Aucun pays de la région n’a connu pareil développement écono- mique », « c’est l’État le plus avancé de l’Afrique francophone », se plaisent à dire certains spécialistes de l’Afrique, dans les années 1960 et 1970. Toutefois, cela fait près de deux décennies que la Côte d’Ivoire souffre de plusieurs maux : crise économique, crise sociopolitique et identitaire, atteinte à la sûreté de l’État, tensions diplomatiques, corruption, délestage électrique… Le « miracle ivoi- rien » s’est effondré en quelques années et depuis, les Ivoiriens sont toujours en quête d’un nouveau miracle. Hervé Bastart candidat à la maîtrise en études internationales université laval herve.bastart.1@ulaval.ca Côte d’Ivoire Les enfants de Félix peuvent-ils espérer un retour à la normalité ? La ville d’Abidjan, 50 ans après la décolonisation. commons.wikimedia.org
  • 9. 9Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca Origines du conflit Tout d’abord, il ne faut pas oublier que le Mexique est une jeune démocratie. Bien qu’il ait obtenu son indépendance en 1810, cet État ne peut se qualifier de république démocratique que depuis l’an 2000 lorsque le Partido Revolucionario Institucional, au pouvoir pendant 71 ans, a finalement été déchu. Cependant, suite à ce dramatique changement de régime, une période de réadaptation et de stagna- tion de la plupart des instances gouverne- mentales s’est installé. En fait, le Mexique a été plongé dans un long processus de réformes, dont les changements visaient le renouveau d’une nation affectée par une corruption institutionnelle toxique et un système de gouvernance fortement touché par le crime organisé. Le premier président élu démocratiquement, Vicente Fox, s’est, notamment, attaqué aux plus hauts fonctionnaires et aux responsables des plus importants réseaux criminels, dont les cartels de Sinaloa et du Golfe. Avec un succès mitigé, il a réussi à créer un semblant de tranquillité en assurant la stabilité du pays pendant son admi- nistration sans réaliser que ses actions allaient avoir une incidence majeure sur l’insurrection des cartels de drogue déchus de leurs dirigeants. Changement de cap L’arrivée au pouvoir de Felipe Calderon en 2006 a été le point tournant de cette bataille. Élu difficilement suite à une campagne présidentielle tumultueuse avec le populaire chef de la gauche mexi- caine Jose Manuel Lopez Obrador, le nouveau dirigeant mexicain visait à légi- timer son gouvernement avec l’emploi de grands moyens pour contrer la corrup- tion, le crime organisé et surtout, le tra- fique des drogues, afin de purifier le pays. Toutefois après des discordes au sein de son parti, des années économiques difficiles (le PIB du Mexique a plongé de plus de 7 % en 2009), un manque de stratégie claire et une expérience limitée en résolution de conflits, la violence n’a pas cessé d’augmenter. Avec une soif de grandeur et la possibilité de renforcer leurs opérations, les cartels les plus forts se sont développés davantage en s’atta- quant aux autorités gouvernementales et en consolidant  les ressources des réseaux criminels plus petits. Égale- ment, sans leurs dirigeants, des conflits internes au sein des grands groupes ont surgi et peu à peu de nouveaux réseaux, plus forts et plus violents, ont vu le jour. Entre autres, la rupture de l’ancien cartel du Golfe et sa branche armée, les Zetas, a causé la mort de centaines de personnes, incluant de nombreux journalistes. Ces nouveaux cartels formés par des déser- teurs de l’armée mexicaine, des assas- sins d’élite, des dirigeants d’État cor- rompus et des agents de la police locale créent un réseau criminel complexe qui dépasse grandement les capacités du gouvernement. Est-ce une perte de contrôle ? Certes, la situation est devenue alar- mante. Étant un pays émergent avec une population de plus de 100 millions d’habitants et la treizième économie du monde, l’idée d’une défaillance poten- tielle du Mexique est critique. Par contre, ce que vit le pays n’est pas une insur- rection, une révolution ou une guerre civile causée par un groupe qui cherche à détrôner un pouvoir quelconque, sinon une guerre d’intérêts qui dépasse les structures gouvernementales classiques. Par ailleurs, bien qu’on croie que la plu- part des Mexicains continuent à soutenir la croisade de Calderon pour éradiquer les cartels de drogue, les critiques ne ces- sent d’augmenter. Dans une société traditionnelle- ment pacifique, c’est la peur qui risque de devenir la plus grande menace. Le Mexique n’a pas une tradition militaire au-delà du maintien de la paix et le pays n’a pas été exposé à ce type de violence gratuite et sanglante dans son histoire récente. À vrai dire, ce n’est qu’une fois que l’espoir disparaît et que la popula- tion estime qu’elle n’a plus rien à perdre que le chaos s’ensuit. En outre, les dispa- rités sociales et la corruption au sein des forces de l’ordre ont seulement contribué au problème. Le corps policier, probable- ment l’une des sources les moins crédi- bles d’autorité au Mexique, n’a pas encore été en mesure de surmonter ses insuffi- sances structurelles. De plus, la présence d’une armée inexpérimentée au sein de la population n’a pas amélioré la situation ; les accusations de violations des droits de la personne de la part du cadre mili- taire ne cessent d’augmenter. Toutefois, des événements récents, dont l’assas- sinat intentionnel de deux ressortissants états-uniens travaillant au consulat des États-Unis à Ciudad Juarez, pourraient être un point tournant du conflit. En fait, la nécessité d’une intervention proactive de la part des États-Unis pour régler la situation est incontestable. Les opéra- tions criminelles traversent les frontières et la proximité du marché - plus de 90 % de la drogue produite ou de passage au Mexique est destinée aux États-Unis - ne fait qu’encourager ces activités depuis la dernière décennie. Avec des élections prévues en 2012, le gouvernement mexicain doit faire la preuve de ses compétences et déve- lopper une stratégie de coopération avec toutes les parties concernées malgré une méfiance historique vis-à-vis son voisin du nord. Cette épreuve est une étape que l’État doit franchir afin d’éviter un retour vers une politique pseudo-officielle d’ac- ceptation de la criminalité et de la cor- ruption. Ce dur processus n’est pas sans risque, mais il peut être une opportunité unique pour la transformation massive des institutions mexicaines grâce à un échange de connaissances et à un effort de coopération supranational pour éra- diquer la criminalité. Toutefois, à court terme, le Mexique doit mettre en place une stratégie axée sur la protection civile afin de regagner la confiance du peuple et d’assurer l’espoir. Le bien-être de la population est primordial pour contrer les effets pervers de la criminalité et éviter son augmentation. En effet, sans espoir, il n’y a plus de cohésion et sans cohésion, il n’y a plus de gouvernance. A l’aube du 16 de septembre 1810, sous la bannière de la Vierge de Gua- dalupe et accompagné d’une poignée de paysans, Miguel Hidalgo a lancé le long mouvement d’indépendance du Mexique avec un cri de ralliement, d’espoir et de libération. Deux cents ans plus tard, c’est sous la consternation que la population mexicaine vit une violence sans pré- cédent qui ne cesse d’augmenter et qui se répand rapidement partout au pays. Avec environ 45 000 soldats déployés et plus de 14 000 victimes, la guerre contre le trafic de drogue au Mexique n’a pas de fin en vue. Ce qui a commencé par un effort structuré de la part du gouvernement fédéral pour contrer le crime organisé dans les États frontaliers avec les États-Unis se transforme peu à peu en un mouvement de violence qui touche toutes les instances gouvernementales, paragouvernementales et sociales du pays ; mettant en péril la stabilité du Mexique. Victor Sanchez Lopez candidat à la maîtrise en études internationales université laval victor.sanchez-lopez.1@ulaval.ca 200 ans après son indépendance, le Mexique est-il au bord de la défaillance ? Murale représentant l’exécution de Miguel Hidalgo au Palais du Gouvernement de Chihuahua situé à côté de l’endroit où il a été tué. commons.wikimedia.org
  • 10. 10 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca Les cinq républiques d’Asie centrale, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan, fraiche- ment converties au régime démocratique, ont connu des bouleversements majeurs durant les deux décennies qui les séparent de leur indépendance. La désintégration de l’Union soviétique a donné à ces républi- ques une existence sur la scène internatio- nale, tout en apportant un désir de liberté doublé d’une aspiration légitime à toute nation de déterminer son propre destin politique.  Cela a entrainé comme consé- quence une deuxième vague de démocrati- sation et un ajout considérable du nombre des États membres à  l’Organisation des Nations Unies. Néanmoins, de nombreux éléments de continuité avec l’Union sovié- tique peuvent être constatés simplement en observant la longévité des mandats des chefs d’États ainsi que la quasi-inexistence effective des alternances politiques. État des lieux : vingt ans après. Suite à la révolution bolchévique, l’ob- jectif de l’Union soviétique était le suivant : découper de toute pièce les États-nations, sur les décombres des anciens empires centrasiatiques, en regroupant grossiè- rement les mêmes groupes ethniques sur un territoire unique et unifié. La stratégie du «  diviser pour mieux régner  » s’appli- quait désormais à  la politique de l’Union soviétique qui devait prendre en main les anciens protectorats de la Russie tsariste en assumant l’héritage territorial de cette der- nière dans les années 1920. Située au carrefour de plusieurs civilisa- tions millénaires et abritant une partie de la route de la soie, l’Asie centrale possède une histoire aussi riche que bouleversante. Souvent présentés comme un ensemble homogène, les États d’Asie centrale ont tous leurs particularités spécifiques. Leurs res- sources économiques, héritées du décou- page territorial, varient considérablement d’un pays à l’autre. Certains dépendent essentiellement de leurs exportations agri- coles comme le coton (l’Ouzbékistan ou le Tadjikistan), d’autres bénéficient de cer- taines ressources naturelles comme le gaz naturelouencorelepétrole(leKazakhstan, le Turkménistan). Néanmoins, la persis- tance d’un taux de chômage élevé et la dégradation des infrastructures semblent faire sombrer une part importante de la populationdecetterégiondanslapauvreté. D’après le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), l’Asie cen- trale est l’une des régions du monde qui a connu une augmentation importante de la pauvreté absolue en vingt ans. En ce qui concerne les aspects politiques, prenons un exemple récent et concret. Les élections législatives qui ont eu lieu au Tad- jikistan le 28 février dernier ont « ...échoué dans le respect des standards démocra- tiques...  »  a souligné un observateur de l’Organisation pour la Sécurité et la Coo- pération en Europe (OSCE). Le parti du président, le Parti Démocratique du Peuple, a remporté les élections avec environ 71 % des voix, obtenant par là même la majorité des sièges du « Majlisi Namoyandagon », la haute chambre du parlement. Ces élections sontunexempleparmid’autresquireflètele désastreux bilan démocratique des régimes politiques en Asie centrale. À cela s’ajoute la persistance de tensions sociales dues à une piètre performance économique et à la dégradation continuelle des niveaux de vie. Selon le think tank International Crisis Group,ilexisteraitunsérieuxdangerpourle Tadjikistan de devenir un « État en faillite ». La diminution des revenus envoyés par la main-d’œuvre travaillant en Russie, à cause de la crise économique, risque d’être à l’ori- gine de montées des tensions sociales sans précédents. Étant donné que la moitié du PNB du pays est constituée de ces revenus, le gouvernement risque d’être en incapacité de secourir la population. La persistance des rivalités et des hostilités entre les États centrasiatiques constitue un obstacle non négligeable  au libre-échange, à la coopé- ration en matière d’énergie mais aussi à la libre circulation des individus. Entre les puissances étrangères, le nationalisme et l’extrémisme musulman Au lendemain des attentats du 11 sep- tembre 2001, l’Asie centrale, considérée comme  «  l’étranger proche  » de la Russie, attire toutefois l’attention de certaines puis- sances mondiales qui lui étaient jusqu’alors étrangères. Dans le cadre de la guerre en Afghanistan, les États centrasiatiques paraissent désormais incontournables pour accéder à ce terrain de conflit enlisé. D’une part, l’appui des États centrasiati- ques devient désormais nécessaire pour contrecarrer l’influence des mouvements islamistes dans le cadre de la « sainte croi- sade  » contre le terrorisme. D’autre part, l’émergence de l’extrémisme musulman permet à ces républiques de justifier des politiques autoritaires ainsi que des répres- sions à l’égard d’opposants jugés hostiles au régime en place. « Le massacre d’Andijan », ou le bain de sang perpétré lors des événe- ments de la partie ouzbèke de la Vallée de Ferghana en 2005, a été la conséquence d’un affrontement brutal entre forces gou- vernementales et civiles, qui contestaient certaines décisions des autorités centrales. Faceauvideidéologiquecrééparladésin- tégration de l’URSS, dans une Asie centrale où ses républiques sont en quête d’identité nationale, les statues de Lénine et de Marx ont déjà remplacé celles de Tamerlane et Ismoil Somoni, les héros nationaux glori- fiés d’un passé lointain. Parallèlement, on assiste  à une recrudescence des nationa- lismes et à des tensions récurrentes entre les différentes ethnies au sein de ces États- nations. Du fait de leur faible intégration, tant sur le plan économique que politique, les républiques d’Asie centrale ne semblent pas peser lourd dans les enjeux majeurs de larégion.Leurfaiblemargedemanœuvreet leur autonomie réduite en ce qui concerne la conduite de leur politique étrangère res- tent limitées à cause de l’influence de l’an- cien Grand Frère, et l’influence croissante des États-Unis dans la région. La présence de ces deux puissances dans la région pousse les États d’Asie centrale à maintenir un équilibre aussi fragile que délicat dans leur politique étrangère. Peut-on parler pour autant d’échec de la démocratisation en Asie centrale ? La répression politique que les populations centrasiatiques ont connue pendant la périodesoviétiquesemblepersisteràtravers des régimes politiques autoritaires pour qui la question des droits humains paraît loin de leurs préoccupations actuelles. À cela s’ajoutent des souffrances d’un tout autre ordre liées à l’augmentation de la pauvreté et à l’absence de perspectives économiques gérables dans un avenir proche. Face à ces constats,deuxdécenniesaprèslesindépen- dances, il reste encore un chemin sinueux et long à parcourir. La révolution des Tulipes au Kirghi- zistan en 2005 a permis le renversement d’Askar Akayev qui dirigeait le pays depuis 1990 et a fait naître un espoir cer- tain de changement démocratique dans la région. Cependant, la politique de son remplaçant n’a pas apporté de change- ments majeurs, provoquant à nouveau la déception de la société civile. Dès lors, quelles sont les perspectives pour l’avenir en Asie centrale ? Il est certain que les États d’Asie centrale seront en mesure d’avoir un poids politique vis-à-vis des grandes puissances uniquement si elles adoptent des positions communes pour mieux défendre leurs intérêts dans la région. De même, la création d’une zone de libre-échange pour débuter un pro- cessus d’intégration régionale semble être une solution incontournable pour connaître une certaine forme de pros- périté économique. La solution est-elle de créer une Ligue des États Centrasia- tiques ? La question reste ouverte. Avec le renouvellement de l’élite politique, le dépassement du cadre ethno-nationa- liste peut être envisagé dans une Asie centrale déchirée par les antagonismes politiques et la stagnation économique. Nous sommes aujourd’hui rendus deux décennies après la disparition de ce que Churchill appelait le « rideau de fer ». Qu’en est-il de la situation politique en Asie centrale dans les républiques de l’ex-bloc soviétique, cette région du monde peu connue de l’opinion publique mondiale ? Asie centrale, 20 ans après les indépendances État des lieux Anahita Boboeva candidate à la maîtrise en études internationales sciences po bordeaux/université laval a.boboeva@gmail.com La ville de Samarcande en Ouzbékistan témoigne de la richesse historique de l’Asie centrale www.concept.kg Les cinq républiques indépendantes d’Asie centrale www.Stratfor.com
  • 11. 11Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca Par la découverte tardive de la carto- graphie de l’Océanie s’est aussi déroulée une colonisation dite tardive dans l’his- toricité coloniale alors que les peuples autochtones de la région, peu touchés auparavant par l’européanisation du monde se sont retrouvés au cœur même du développement de l’anthropologie. Divisé d’abord en trois régions, selon des critères géographiques pour la Micronésie (petites îles) et la Polynésie (plusieurs îles) et un critère racial pour la Mélanésie (îles noires), ce territoire maritime immense est ensuite devenu le théâtre des luttes d’influence entre les grandes puissances de l’époque. Les premiers contacts entre les peu- ples d’Océanie et les Européens se sont réalisés par l’entremise du développe- ment des réseaux navals et la recherche toujours poussée de marchandises et de certaines espèces animales telles que l’huile de palme, la nacre, le bois de santal, le coprah, les baleines et les phoques. Les commerçants ont formé leur propre système économique et ont ainsi amené la multiplication des contacts entre les archipels et le besoin, devenu inévitable, d’établir des escales. Dans ce sillage, un phénomène appelé « beachcomber » ou écumeurs de plage est apparu alors que l’Occident utili- sait le Pacifique comme exutoire pour les laissés pour compte et les criminels. Certains de ces lieux sont devenus des repères pour la perdition et la corrup- tion. Dans sa contribution à l’ouvrage Le Pacifique, un monde épars; introduction interdisciplinaire à l’étude de l’Océanie, Jean Chesnaux avoue qu’il n’est pas «  exagéré de parler ici d’un génocide diffus, du fait de la contamination, des épidémies et donc de dépopulation mas- sive » observé au XIXe siècle. Dès les premiers contacts établis, les missionnaires protestants et catholi- ques sont arrivés dans les îles du Paci- fique, précédant parfois la colonisation formelle. Bien que l’entreprise mission- naire soit en théorie indépendante de l’entreprise coloniale, les États ont pu grandement s’appuyer sur les Églises afin de consolider leur pouvoir. Encore aujourd’hui, la religion demeure une valeur importante au sein de la popula- tion, entre autres, à Tahiti. Une consolidation coloniale Alors que l’on partage l’Afrique en esquissant quelques traits sur une carte lors du Congrès de Berlin en 1884, le même processus de partage du monde s’effectue aussi au fur et à mesure pour les territoires océaniens. Plusieurs grandes puissantes sont présentes, que ce soit l’Angleterre, la France, les Pays-Bas, l’Espagne, ou l’Allemagne. On remarque toutefois l’arrivée d’un nou- veau joueur, les États-Unis, qui prend en charge pratiquement tout ce qui se retrouve au-dessus de l’Équateur (entre autres, Samoa et Hawaï). Les acteurs sont donc variés, par le fait même on y recense différentes formes de gouvernance coloniale telles que les colonies, administrées par les métro- poles (Guam, Nouvelle-Calédonie, Fidji), les protectorats (Tonga, Tahiti), les annexions directes (Hawaï, Île de Pâques), les condominiums, c’est-à-dire une gestion partagée à deux (les Nou- velles-Hébrides devenues Vanuatu et administrées par la France et la Grande- Bretagne) mais aussi les tridominiums (les Samoa). Souvent perdues, cédées, marchandées et redistribuées selon les bons coups et les moins bons des grandes puissances, les îles du Pacifique Sud et ses habitants n’ont certainement pas accueillis à bras ouverts cette grande démonstration de l’impérialisme occi- dental et les conséquences de ces instabi- lités des structures coloniales. Par contre, bien que la résistance fut tenace et dure à certains endroits (guerres maori en Nou- velle-Zélande – 1842-1846 et 1860-1868 –, révolte des Kanaks en Nouvelle-Calé- donie – 1878 –, lutte en Nouvelle-Guinée, résistances en Polynésie française, etc.), l’isolement géographique, la taille démo- graphique et la pauvreté des petites îles offrent peu d’espoir à ses habitants quant à la viabilité d’une nation indépendante. Décolonisation inachevée ? Évènement phare dans l’histoire de la décolonisation et le détachement des modèles dominants de la Guerre froide, la Conférence de Bandung de 1955 constitue un moment charnière dans l’af- firmation de l’indépendance des peuples des pays en développement. Les grands absents ? Les peuples de l’Océanie, ceux-ci n’étant pas encore reconnus poli- tiquement. Effectivement, la décoloni- sation du Pacifique s’effectua sur le tard, comparativement à l’Asie et l’Afrique. Une autre distinction primordiale dans le processus de décolonisation découle du fait que les luttes d’indépendance des îles du Pacifique ne se sont pas réalisées selon des motivations révolutionnaires et marxistes et ne sont en rien compara- bles aux luttes violentes menées dans les années 1960 et 1970. L’expression «  Pacific Way  » ou «  Voie pacifique  », vient d’une formule assez répandue qui signifie la résolution d’un désaccord par voie de consensus, ne laissant ainsi à personne un sentiment de défaite. Considéré historiquement, à bien ou à tort, comme étant la façon de faire de la politique dans le Pacifique, le concept a été repris dans le cadre du processus de décolonisation. Vrai que la décolonisation fut assez libre de violence dans les îles, il est néanmoins faux de penser qu’il ne s’est pas produit des épi- sodes de domination et de violence. L’une des expli- cations à ce paci- fisme observé dans la région provient du fait que ce sont d’abord et avant tout les métro- poles qui ont voulu mettrefinàleurrôle colonial comme la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. L’indépendance de leurs colonies ne fut qu’une ques- tion de temps malgré certains désaccords sur les plans administratifs de l’accession et de la création ou modification de l’ap- pareil étatique. Dans certains cas, le gouvernement colonial alla au-devant des demandes autochtones alors que dans certains autres, les obstacles furent plus nombreux (intérêts des colons, iné- galité raciale, etc.) malgré l’apparence de la « Pacific Way ». La plupart des îles obtinrent leur indépendance à la fin des années 70 et durant la décennie 1980. La problématique de l’indépendance se présenta davantage dans les terri- toires de juridiction française et amé- ricaine. Premièrement, la France n’a jamais considéré ses conquêtes comme étant des colonies mais plutôt comme des Territoires d’Outre-Mer (TOM). L’in- dépendance n’était donc pas un sujet susceptible de discussions mais il posa problème alors qu’une activité politique indépendantiste et autochtone surgit en Nouvelle-Calédonie. Puis, les îles sous tutelle américaine, la majorité en Micro- nésie, se rendirent compte que, malgré les sommes importantes versées pour le développement des îles, la politique américaine dans le Pacifique se définis- sait par une simple prolongation de la politique étrangère et des intérêts amé- ricains. Au final, ce fut la formule de libre association qui se développa dans les années 1980 alors que la mise en œuvre fut retardée par le Congrès et que les petits États de Micronésie réalisè- rent qu’une indépendance totale n’était guère possible. La décolonisation en Océanie demeure inachevée et incomplète. La viabilité des petits États est constamment remise en question et par conséquent, le destin de ses habitants demeure largement tribu- taire des aléas de la mondialisation. Problématiques contemporaines Bien que l’on doive séparer distincti- vement les processus de colonisation et de décolonisation survenus dans le Paci- fique Sud de ceux en Afrique ou en Asie, il est possible d’observer un point commun entre eux tous lorsque l’on fait l’analyse des différentes séquelles laissées par l’en- treprise coloniale et ses partages territo- riaux artificiels. Que ce soit l’instabilité et l’aliénation politiques, l’exploitation économique ou environnementale, les tensions sociales et le désœuvrement des jeunes, ce sont toutes des conséquences déplorables où souvent les populations locales en sont les premières victimes. Aujourd’hui, les micro-États du Paci- fique Sud ont bien peu de poids sur l’échiquier international. Toutefois, leur positionnement stratégique comme zone tampon, située entre les États-Unis et la Chine, peut laisser croire que les luttes d’influence ne sont pas terminées dans cette région du monde. Pacific way ? Pas vraiment. Isolation géographique, territoires vulnérables, conditions précaires et paysages paradisiaques dans l’imaginaire collectif, les îles du Pacifique Sud demeurent une région du monde peu abordée dans la littérature scientifique et peu de chercheurs y spécialisent leur champ d’études. Toutefois, les espaces insulaires et leurs habitants se sont trouvés gran- dement altérés dès les premiers contacts avec les Européens, alors que les processus respectifs de colonisation et de décolonisation tardives ont largement contribué au portrait actuel de la région. Joanie Dionne Rhéaume candidate à la maîtrise en études internationales université laval joanie.dionne-rheaume.1@ulaval.ca Les îles du Pacifique Sud « Pacific way » et partage du monde États contemporains du Pacifique Sud. www.ispf.pf
  • 12. 12 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca En se distinguant principalement sur le front religieux d’une Inde jugée trop imprégnée par la tradition anglaise, le Pakistan représente depuis 1947 l’idéal de la nation constitutionnellement isla- mique. Or, cet idéal peut aujourd’hui être considéré comme la source de sérieux problèmes de stabilité politique, juri- dique, économique et sécuritaire. La culture du conflit avec l’Inde, rival histo- rique, notamment quant à la question de l’appartenance du Cachemire constitue toujours un sujet qui soulève les plus vives passions entre les deux pays. De plus, l’ensemble de la relation du Pakistan avec l’Occident est très inconfortable, puisqu’elle est traditionnellement mal acceptée par la population pakistanaise, même si la dépendance du pays envers l’aidereçueestcruciale.Structurellement, la décolonisation vient donc influencer la stabilité du Pakistan actuel, en ayant créé, il y a plus de 60 ans, un pays artificiel aux fondements instables et insuffisants. Le contexte idéologique de la partition de 1947 Le Pakistan peut bien rejeter une part de la responsabilité de ses problèmes sur la manière dont la décolonisation a été effectuée à son égard, même si les Britan- niques ont suivi les souhaits des premiers leaders pakistanais. L’origine de la parti- tion malheureuse ne relève donc pas cette fois du colonisateur, car ce sont les élites du Congrès et de la Ligue Musulmane qui ont imposé une telle séparation. À la diffé- rence du processus de décolonisation du continent africain qui a été l’objet de divi- sions utilitaires aux conquérants, la Parti- tion du sous-continent indien s’est plutôt concrétisée en respectant les divergences culturelles et idéologiques existant entre les majorités indiennes et pakistanaises. Cette partition jugée réussie par le Royaume-Uni a cependant entraîné des déplacements permanents de populations et des grandes migrations entre les deux pays. Environ 14 millions de personnes se sont déplacées dans un sens ou dans l’autre et il y a eu plus de 200 000 morts à la suite d’affrontements violents entre les diversesgroupesreligieux.Lanaissancedu Pakistan et du Bangladesh (anciennement Pakistan Oriental) ainsi que la restructu- ration de l’Inde se sont effectuées dans des conditions difficiles, sans encadrement du colonisateur. Malheureusement, ces déplacements et morts violentes n’ont pas mêmeatteintleuruniqueobjectif,puisqu’il reste encore aujourd’hui des minorités de chaque côté des lignes de partage qui revendiquent des droits particuliers. La division territoriale a été principale- ment construite sur des bases religieuses. Cette recherche d’un foyer séparé pour les Musulmans est une idée qui s’est concré- tisée à la suite des abus hindous à la défa- veur des Musulmans dans les Indes britan- niques, renversant ainsi le sort subis par les Hindous sous l’Empire mongol musulman. De plus, il est intéressant de retenir que l’ouverture pour une cohabitation d’idéo- logies a initialement été envisagée par le Mahatma Gandhi, qui voyait une possibi- lité de « Fédération des communautés ». La partition a repris ce souhait peu après son assassinat par l’un des siens. L’unique raison d’exister de l’État pakis- tanais est d’être islamique. Après plusieurs années d’échec concernant sa tentative de stabilisation, il est possible de croire que le Pakistan n’est, en fait, qu’un État artifi- ciel sans véritable unicité. À elle seule, la croyance religieuse commune en l’Islam n’arrive pas à cimenter une nation, même laplusengagée.C’estdoncdanscecontexte que les problèmes de stabilité et de gouver- nance sévissent encore au pays. Instabilité interne politique et sécuritaire L’évolution de la conception politique ainsi que l’accent mis sur une meilleure gouvernance et une plus grande démo- cratisation par la société civile semble véritablement avoir pris son essor depuis le départ de Musharraf et l’élection démo- cratique de 2008, non renversée par le pouvoir militaire. Actuellement, le gouvernement civil de Zardari est faible et ne se maintient au pou- voir que grâce à l’appui de quelques partis de moindre envergure.  Plusieurs défis de taille s’offrent à ce dernier  : gérer effica- cement l’attribution de l’aide étrangère en faveur de la population civile, mettre de l’avant les réformes économiques et poli- tiques exigées, s’assurer de la loyauté de l’armée et des Services secrets pakista- nais, désignés sous l’appellation ISI (Inter Services Intelligence), et relever le pari que représente la sécurité étatique dans le combat contre les mouvements militants extrémistes. Tant le gouvernement civil, l’ISI que l’armée désirent atteindre la même fin : assurer la sécurité du pays. Cependant, les moyens qu’ils utilisent ne sont pas les mêmes. Dans l’histoire du Pakistan, se positionner contre les mouvements terroristes, c’est être contre l’IslaM.  Et l’armée et l’ISI sont engagés envers la cause pakistanaise, qui intrinsèquement est reliée à l’identité musulmane. Sans l’Islam, le Pakistan n’est plus. Ajoutant à cela que la valeur prioritaire de l’Islam est soutenue par les populations, laquelle perdure en tant que pouvoir unificateur entre les différentes ethnies, particuliè- rement à l’intérieur de l’armée plurieth- nique pakistanaise. Dans les dernières années, la sécurité interne au Pakistan est devenue un enjeu de plus en plus impor- tant et inévitable, puisqu’elle n’a cessé de se détériorer. Histo- riquement, la sécurité du pays est menacée sur deux fronts : d’une part, le Cachemire, noyau dur de l’exis- tence du Pakistan, est une zone fortement militarisée et en proie aux échanges de tirs constants. De l’autre, des zones tribales partagées avec l’Afghanistan, avec une frontière poreuse où les drones américains sévissent quotidiennement et où l’armée tente de reprendre le contrôle. Dans une perspective de lutte globale contre le ter- rorisme, renforcée par la stratégie amé- ricaine Af-Pak, l’incapacité de l’armée pakistanaise à neutraliser complètement les Talibans sur son territoire, alors qu’elle est déjà fortement engagée dans l’Est sur la frontière avec l’Inde, est un problème majeur, même à l’international. Le Pakistan en Asie et à l’international Ciblé comme un pays prioritaire concer- nant l’insécurité mondiale, le Pakistan n’en est pas moins bien traité pour autant. Ajoutant aux contradictions, le Pakistan est, malgré son programme nucléaire avancé, considéré par les États-Unis comme un allié dans la région d’Asie du Sud-est pour la lutte au terrorisme sur la frontière afghane et est perçu par la com- munauté internationale comme l’un des Next Eleven (pays économiquement les plus prometteurs). Le Pakistan tente éga- lement des rapprochements avec la Chine et mise énormément sur la diplomatie avec l’Inde dans tous les domaines. Traditionnellement reconnu comme hostile envers la plupart de ses voisins, le Pakistan est un pays qui cherche son chemin vers la stabilité et qui, poussé par sa fierté nationale, tente d’être le premier État islamique véritablement démocratique. Il pourrait donc s’agir d’un début de projet de société, plus porteur d’espoir et mieux appuyé par la communauté internationale. Un futur Pakistan stable ? Le projet commun de société, fondé sur le rêve d’un État-nation musulman n’appa- raît pas suffisant pour ancrer le Pakistan dans la stabilité. En effet, une fois cet État créé en 1947, l’absence de projet de société plus englobant ne mène qu’à un seul constat : il faut tenter de redéfinir l’État sur une base autre que religieuse. Mais vers quoi ? Il faut d’abord considérer que tous les Pakistanais ne sont pas des Talibans et que lepaysestencoremalcompris.Entrel’inté- grisme religieux et la pratique de l’Islam en général, il y a une marge que la population d’aujourd’hui, qui souhaite de plus en plus un État stable et démocratique, ne désire franchir.Larecherched’unÉtatmusulman démocratique pourrait en conséquence constituer un projet de société nouveau. Par contre, étant généralement opposé aux actions indiennes, hostile au gouver- nement afghan, peu enclin à la chaleur envers les Américains et l’Occident et se dissociant également des autres États isla- miques, le Pakistan est en quelque sorte isolé dans la situation qu’il a initialement choisie. L’ouverture sur le monde pour- rait peut-être apporter quelques solu- tions. Fortement imprégné par l’instabi- lité découlant de ses nombreux conflits à l’interne, les Pakistanais devront toutefois s’armer de patience avant de voir poindre l’espoir d’un pays sécuritaire, efficace et plus démocratique. Possible ou non, un tel Pakistan en Asie du Sud aurait assurément des répercussions positives sur l’économie, la politique, la justice et la sécurité de la région et également du monde. Depuis sa création en 1947, issue de la partition des Indes britanniques, le Pakistan est demeuré un pays qui s’autodéfinit à travers les oppo- sitions qu’il entretient. Caractérisé par ce qu’il n’est pas, le Pakistan maintient plusieurs relations antagonistes avec certains pays voisins et occupe aussi, volontairement ou malgré lui, une position conflictuelle sur la scène internationale. La recherche d’une nouvelle identité pakis- tanaise est ardue mais essentielle à sa propre stabilité ainsi qu’à celle du reste du monde. Portrait d’un pays fabriqué sur mesure selon les revendications d’une majorité musulmane, mais qui doit paradoxale- ment son instabilité à son accession à l’indépendance. La stabilité postcoloniale au Pakistan La fin de l’Islam comme unique projet de société DARINA BRUNEAU candidate à la maîtrise en études internationales université laval darina.bruneau.1@ulaval.ca Les nombreux attentats perpétrés par les groupes religieux extrémistes et l’engagement du gouvernement et de l’armée dans la lutte au terrorisme ont fait de l’année 2009 l’une des plus meurtrières depuis la création du Pakistan. Dawn News, Pakistan
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  • 14. 14 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca Il ne faut pas se réduire à accuser les grandes puissances coloniales de tous les maux en Afrique, mais leur présence aura tout de même imposé des frontières igno- rantes des réalités régionales de l’époque, et qui contribuent encore aujourd’hui à alimenter tensions et conflits dans maints États du continent. Si les réfugiés ont toujours fait partie de la réalité inter- nationale, ils s’imposent, particulière- ment depuis la seconde moitié du dernier siècle, comme une problématique alar- mante à laquelle aucune solution d’en- vergure n’a encore été apportée. Les conflits en Somalie, en République démocratique du Congo, les tensions au Kenya, la pauvreté récurrente de cer- taines régions de l’Afrique subsaharienne et bien d’autres tensions et problèmes se posent comme un leitmotiv infernal qui façonne l’Afrique moderne et crée des déplacements massifs de populations en quête d’asile. Rondement, les réfugiés sont définis par la Convention Relative au Statut des Réfugiés de 1951 comme toute personnenepouvantseréclamerdelapro- tection de son pays, car craignant d’y être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social et qui, pour ces raisons, se trouve hors des frontières de ce pays. En droit international, c’est cette Convention qui demeure le principal outil assurant les droits des réfugiés. En 1967, elle a été additionnée d’un protocole qui assure une protection aux réfugiés, même si les événements qui ont généré leur situation se sont déroulés après 1951, ce que ne permettait pas la Convention. Le système de protection des réfugiés, créé après la Seconde Guerre pour répondre aux besoins qu’elle avait engendrés, y a vu là sa seule modification. Une définition réductrice L’organe international chargé des réfu- giés est le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR). Ce dernier doit pallier aux changements qu’engen- drent l’évolution du contexte interna- tional, tout en tentant de monnayer avec la définition réductrice du statut de réfugié. Là réside la première critique faite au droit international en la matière; la défi- nition du statut de réfugié telle qu’établie par la Convention de 1951 est peu adaptée à la réalité d’aujourd’hui et représente une lacune majeure dans l’adéquation de ce droit. L’absence de notion relative aux réfugiés économiques et climatiques, entre autres, exclut de celui-ci nombre de personnes exilées. De fait, avec les chan- gements dans la nature des conflits - de moins en moins internationalisés, donc souvent internes - et le contexte mondial actuel où globalisation économique et les changements clima- tiques enfantent des situations jusque là inconnues, il n’est guère étonnantdeseretrouver faceàunsystèmedésuet et débordé. Bien que le HCR tente d’élargir son mandat aux personnes déplacées, ou « déplacés internes  » (des «réfugiés» n’ayant pas tra- versé de frontières internationales), aux apatridesetauxnouveauxtypesderéfugiés, les droits fondamentaux de ces personnes, dans ce contexte, sont aisément bafoués dû àcettedéfinitionrestrictive.Or,leHCRn’est pas un organe de contrôle chargé de punir les contrevenants aux droits des réfugiés. Il ne peut que tenter de procurer eau, nourri- ture et abris à ces derniers. Demandes grandissantes versus paranoïa exacerbée Une autre lacune majeure réside dans l’incapacité du HCR à répondre à une demande toujours grandissante. Si son mandat s’élargit d’abord pour des raisons louables, il alourdit énor- mément l’organisation et la paralyse,fautederessources. En 1999, l’agence de presse Reuters avait d’ailleurs rap- porté les propos d’un porte- parole du HCR œuvrant au Pakistan et qui incitait les réfugiés à ne pas se masser aux portes de l’organisation; faute de ressources, celle-ci ne pouvait répondre à leurs requêtes. Or, malgré la pré- sence de plusieurs ONG à proximité des camps (par exemple la Croix-Rouge et Oxfam, pour ne nommer que celles-ci), c’est d’abord et avant tout le HCR qui coor- donne les actions. S’il ne peut suffire, aucun rempla- çant n’est désigné pour pal- lier aux demandes. Dans Refugees and Forced Displacement, publié aux presses de l’ONU, Edward Newman sou- ligne le fait que le HCR était d’abord un arrangement temporaire pris dans un contexte de Guerre froide pour assouvir un désir occidental de subvenir aux besoins des exilés des régions commu- nistes, et donc teinté d’intérêt politique. Aujourd’hui la réalité est toute autre et les États, profitant de leur souveraineté, met- tent à l’avant plan la sécurité nationale comme un argument de taille contre un afflux massif de réfugiés. Ce qui rend l’in- tervention auprès des déplacés internes pris au sein de guerres civiles ou de conflits au sein du même territoire qua- si-impossible; la non-ingérence primant encore et toujours sur les droits humains. En fait, la sécurité devrait se penser à deux niveaux, de renchérir Newman. La sécu- rité étatique est certes primordiale, mais il faut également considérer la sécurité humaine comme une priorité; cette der- nière pouvant, si défaillante, engendrée des situations où la sécurité de l’État elle- même est mise en danger. Qui plus est, depuis le 11 septembre 2001, la paranoïa des États occidentaux a amené une modification de la percep- tion des réfugiés par les sociétés. Selon M.  Valluy, ancien juge à la Commission des recours des réfugiés en Europe, il y a eu un retournement du droit des exilés : ceux-ci sont passés du statut de victime à celui de danger potentiel, voire de persé- cuteur. Ainsi perçus par les populations occidentales, les réfugiés sont de plus en plus refoulés aux frontières de l’Occident et se masse dans les pays en développe- ment. Les plus récents chiffres du HCR démontrent d’ailleurs que 80  % de la population réfugiée se retrouve dans ces pays. De plus, considérant le fait tel que souligné par M.  Newman, les réfugiés sont, dans des contextes différents, à la fois conséquences et causes des conflits. Il ne faut donc pas s’étonner de l’appa- rition de problèmes endémiques que les mouvements de populations engen- drent dans les pays africains, mais aussi ailleurs dans le monde. Le HCR ne sait où se poser dans cette situation délicate car l’aide financière qui lui est attribuée repose en très grande partie sur l’Oc- cident; lui déplaire serait un mauvais calcul. «Sa position [celle du HCR] était et est injuste : chargé de protéger les réfu- giés, ses donateurs s’attendent de plus en plus à ce qu’il protège leurs frontières», affirme M. Newman. Quel avenir ? Ainsi, avec une définition qui n’englobe pas tous les réfugiés, un organe interna- tional insuffisant et des pays occidentaux qui refusent d’ouvrir leurs frontières, les questions demeurent nombreuses à l’égard de l’adéquation du droit interna- tional des réfugiés. Bien que certaines régions du monde, notamment l’Afrique, l’Amérique latine et l’Europe se soient dotées de règles propres en la matière, force est de constater que cet effort ne reçoit pas écho et est aussi inadéquat. Il faut toutefois considérer les efforts du HCR, qui tente d’achever un travail colossal et d’aider le plus de personnes possibles. Il faudrait néanmoins donner à ce géant une assise solide à l’aide d’outils juridiques efficaces, question de rem- placer ses fragiles pieds d’argile. Si les célébrations du cinquantenaire des indépendances de 17 États africains promettent tout au long de l’année 2010, elles ne sont pas sans rappeler les legs du colonialisme. Tensions, conflits et guerres ont fait naître une problématique toujours grandissante en Afrique à laquelle le droit international répond mal, celle des réfugiés et des personnes déplacées. Les réfugiés face au droit international Une question toujours sans réponse Le HCR distribuant des vivres HCR Emilie Desmarais-Girard candidate à la maîtrise en études internationales université laval emilie.desmarais-girard.1@ulaval.ca Mouvement massif de population en Afrique. media-2.web.britannica.com
  • 15. 15Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca Le référendum du 4 août 2009 L’enjeu de ce référendum portait spécifi- quement sur l’article 36 de la Constitution nigérienne qui limite le mandat du Prési- dent de la République à « une période de cinq ans » au terme de laquelle il « est réé- ligible une seule fois ». Avec l’adoption de la nouvelle constitution, le président aurait la possibilité de prolonger son mandat de trois ans et de se représenter à des élections présidentielles futures autant de fois qu’il le souhaiterait. Selon plusieurs observa- teurs, le président Tandja qui, veut s’accro- cher à son règne, s’est octroyé des pouvoirs exceptionnels en dissolvant l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle pour organiser unilatéralement un référendum qui se vouait joué d’avance. L’ex-président de l’Assemblée nationale dissoute et nou- veau leader du Mouvement de Défense de la Démocratie et de la République (MDDR), Mahaman Ousmane, a proclamé dans un des ses discours que « les actes posés par le Président de la République pouvaient com- promettre durablement l’avenir politique et économique du pays ». De nombreuses organisations citoyennes nigériennes, notamment l’Alternative Espaces Citoyens, se sont rassemblées dans le but d’analyser la stratégie politique de Tandja. La majorité des intervenants présents lors des journées de réflexion ont été unanimes pour dire que le référendum constitutionnel aurait des impacts sur la préservation du cadre démocratique au Niger. Outre la classe politique et la popula- tion nigérienne, la communauté inter- nationale, l’Union européenne, l’Union africaine et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont réagi promptement en dénonçant ouvertement les agissements du prési- dent qui, ont-ils déclaré, sont contraires au processus démocratique transparent favorisant l’alternance. L’Union euro- péenne et la majorité des principaux États donateurs en matière de dévelop- pement ont prévenu le Président Tandja que le dialogue politique devait aboutir à un compromis acceptable sinon ils se verraient dans l’obligation d’adopter des mesures appropriées concernant leurs programmes de coopération avec le pays, allant peut-être même jusqu’à la suspen- sion temporaire de ces derniers. L’annonce d’un référendum consti- tutionnel au Niger a également suscité de vives réactions auprès des quatorze États membres de la Communauté éco- nomique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui ont ratifié le Protocole sur la lutte contre la corruption à Dakar en 2001 stipulant que les pays membres doivent proscrire toutes réformes cal- culées et partisanes de la loi électorale : « Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six mois précédent les élections sans le consentement d’une majorité des acteurs politiques ». Par conséquent, si le Niger, qui a ratifié ce protocole, le contrevient, il pourrait s’exposer à des sanctions éco- nomiques de la part de la CEDEAO, de l’Union Africaine ou même des Nations Unies. Faisant fi des pressions extérieures, des partis politiques de l`opposition nigé- rienne et de la société civile, le président Tandja a officiellement annoncé le début de sa campagne référendaire le 13 juillet 2009 pour la terminer par un plébiscite le 4 août 2009. La Commission électo- rale nationale indépendante (CENI) a annoncé le 7 août 2009 que les « Nigériens avaient approuvé l’adoption d’une nou- velle Constitution par 92,50 % des votes, avec un taux de participation de 68  %  » Dans les faits, selon l’opposition, le taux de participation aurait plutôt été de 5  %. Deux mandats contestés Au cours de ses dix années passées au pouvoir, le président Tandja a fait face à de nombreux opposants qui lui reprochent notamment son intransigeance et son refus de négocier ses visions quant à sa façon de gérer le pays et dans ses relations diplomatiques. Plusieurs observateurs se souviennent particulièrement de son refus à reconnaître la rébellion touareg et à entamer un processus de dialogue pacifique. D’autres n’ont pas oublié son intransigeance à accepter la famine qui a frappée le Niger en 2005 et lui reproche de ne pas avoir pris rapidement des mesures permettant d’enrayer l’insécurité alimen- taire dans le pays. Finalement, plusieurs opposants aux politiques de Tandja ont constaté une intensification importante du pillage des ressources publiques, pro- venant notamment de l’aide internatio- nale et de la rente minière depuis son arrivée au pouvoir. Un audit organisé par l’Union européenne en 2001 a d’ailleurs dénoncé l’existence de cette situation alarmante. Voilà maintenant qu’après des élections truquées remplies d’irrégularités telles, la monopolisation et l’instrumentalisa- tion des médias publics et la fabrication d’une volonté populaire, l’adoption de la nouvelle Constitution ne fait qu’ajouter à la déception de la population nigérienne qui traverse actuellement une période de crise tant sur les plans économique, social que politique. Un coup d’État attendu ? Le 18 février dernier, un coup d’État organisé par le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (junte militaire) dirigé par le Chef Salou Djibo, a permis de renverser le pré- sident Tandja et quelques minis- tres au pouvoir. Malgré les balles tirées qui on fait quelques morts et blessés, ce nouveau coup d’État n’a pas surpris ni effrayé le peuple nigérien qui a déjà subi de tels évènements à trois reprises aupara- vant, soit en 1974, en 1996, et en 1999. Aus- sitôt au pouvoir, le Chef de la junte s’est fait rassurant en s’adressant à la population par le biais de la radio nationale précisant que la seule « ambition du Conseil est d’ac- compagner le retour à la démocratie dans notre chère patrie ». Au cours de la même journée, le Conseil a désigné Mahamadou Danda, ex-ministre en 1987 et 1999 et ancien conseiller politique au Bureau de l’ambassade du Canada, comme premier ministre du gouvernement de transition. Ce dernier s’est empressé d’apaiser la com- munauté internationale et les instances africaines quant à la volonté de la junte d’organiser des élections démocratiques, au terme d’une transition dont la durée n’a pas encore été déterminée. En date du 12 mars 2010, le Chef Djibo a signé une ordonnance qui rend inéligibles les militaires, les paramilitaires, les minis- tres et les membres du Conseil suprême de restauration de la démocratie aux pro- chainesélections.Cetteinitiativeaétébien reçue par la communauté internationale et la société civile, qui voient en ce geste une intention sincère de poursuivre les démarches de démocratisation. En atten- dant de voir la suite des évènements, plu- sieurs observateurs de la scène politique se demandent si la junte militaire pourra enfin ramener la démocratie au Niger comme elle l’a déjà fait au Ghana. Le Niger pourra-t-il un jour joindre les rangs des pays les plus démocratiques de l’Afrique ? Seul l’avenir pourra nous le dire… Le 26 mai 2009, le président de la République du Niger, Mamadou Tandja, a dissout l’Assemblée nationale puis, un mois plus tard, la Cour constitutionnelle qui s’opposaient toutes deux à son projet de référenduM. Après avoir limogé son premier ministre Hama Amadou et le président de l’Assemblée nationale, Mahaman Ousmane, le chef de l’État Tandja est allé de l’avant avec son référendum qui, selon ce dernier, donnerait la chance aux Nigériens de se prononcer sur la nouvelle constitution, mais surtout démontrer la volonté de « son peuple à le voir rester au pouvoir ». DOSSIER AFRIQUE La junte militaire pourra-t-elle ramener la démocratie au Niger ? Catherine Dandonneau candidate à la maîtrise en études internationales université laval catherine.dandonneau.1@ulaval.ca
  • 16. 16 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca Plus de la moitié de ceux que certains ont baptisés les « fous de la mer » sont Sénéga- lais.LeSénégal,traditionnellementunedes- tination d’immigration, est devenu un pays d’émigration. C’est au tournant des années 1980quecettetransitions’estopérée,letaux d’émigration surpassant dorénavant le taux d’immigration. La situation économique va de mal en pis depuis le début des années 1970 en raison de la fluctuation du prix des matières premières, d’une dette décuplée par la hausse faramineuse des taux d’in- térêt aux suites des deux chocs pétroliers et des conséquences désastreuses des pro- grammes d’ajustements structurels. Malgré une relative stabilité politique et une situa- tion géographique avantageuse lui permet- tant d’être l’un des pays les plus industria- lisés de l’Afrique de l’Ouest, le Sénégal ne figure qu’au 169e rang de l’Indice de Déve- loppement Humain (IDH). Avec un PIB per capita annuel d’à peine 1600 $ (PNUD 2009), des infrastructures sanitaires et sociales lacunaires et une pression sociale constante pour supporter financièrement leur famille, l’on peut comprendre que les jeunes hommes célibataires peu scolarisés soient les principaux candidats à l’exode vers les pays développés, comme l’indiquait Papa Demba Fall en 2006 dans sa confé- rence Les Îles Canaries : le nouveau « Lampe- dusa » des Subsahariens de l’ouest. Pour celui qui désire émigrer, l’obtention d’un visa européen ou américain constitue lemoyenidéald’échapperauxconditionsde vie difficiles de son pays pour de meilleurs horizons. Malheureusement, le nombre de visas officiels distribués ne satisfait qu’une infime proportion des demandeurs. L’adage « beaucoup d’appelés, peu d’élus » illustre bien la nécessité de se tourner vers d’autres options nécessitant parfois une créati- vité nouvelle. Parmi cet éventail limité de moyens, notons la possibilité d’acquérir son visaauprèsd’intermédiaires.Leprixduvisa varie, selon la commission prise par l’inter- médiaire, et peut avoisiner les 4500 $CAN, une somme démesurée lorsque l’on consi- dère le PIB par habitant. Le succès de l’opé- ration ne peut être garanti, certains inter- médiaires se faisant prendre par la police ou disparaissant dans la nature. Malgré tout, certains Sénégalais tentent cette expé- rience à plusieurs reprises. Une fois l’option d’un voyage légal (i.e. en possession d’un visa) en avion écartée, demeure celle de la traversée du désert, qui peut prendre jusqu’à trois mois et comporte moult dangers. Depuis 2005, on recourt de moins en moins à cette pratique en raison d’une surveillance accrue des fron- tières et d’une consolidation des mesures sécuritaires. Faute d’alternatives, la route maritime vers les Îles Canaries jouit d’une popularité récente. En effet, depuis son émergence en décembre 2005, le phéno- mène de l’exode en pirogue, ou mbëkk (lit- téralement « donner un coup de tête »), est rapidement devenu une option attrayante pour ceux qui rêvent d’une vie meilleure. Le succès de cette «  pratique circonscrite à quelques villages de pêcheurs et secrète- ment diligentée dans le cadre de stratégies familiales et parentales  » (Fall) a tôt fait d’attirer des candidats à l’émigration issu de tout le pays. Fall identifie le mois d’avril 2006 comme celui où le mbëkk s’est trans- formé en un phénomène de masse et s’est étendu à d’autres ports d’embarquement. Pour se payer l’onéreuse place à bord d’une pirogue, les migrants vendent leurs effets personnels (chaîne stéréo, télévision, scooters, bijoux, etc.). Bien souvent cela requiert un effort collectif dans l’entourage de celui qui partira. Dans son article Crise de la citoyenneté en Afrique et responsabilité des élites : la question de la migration clan- destine publié en 2008, Fatou Sarr dénote quel’émergencedecettepratiqueaentraîné l’appauvrissement des femmes qui doivent souvent vendre le peu d’effets personnels qu’elles possèdent, voire s’endetter, afin de permettre le départ de leur enfant. Lors de mon passage au Sénégal en 2007, Ibrahima Camara, retraité et père d’une nombreuse famille, me racontait l’histoire d’un homme tivaouanais (i.e. de Tivaouane, une ville à une centaine de kilomètres de Dakar) qui avait vendu sa maison et laissé sa petite famille aux bons soins de parents éloignés pour se retrouver, au terme d’un bref voyage en pirogue, sur les côtes de St-Louis, une villeàmoinsde200kmdeTivaouane.Ayant sacrifié le maigre pied qu’il avait su acquérir au cours de sa vie, cet homme est revenu bredouille avec comme seul but d’amasser à nouveau les fonds afin de retenter cette expérience. Les autorités sénégalaises ont agi de concert avec les pays européens afin de mettre sur pied différents programmes et mesures visant à endiguer ce phéno- mène. Un accord a été conclu avec l’Es- pagne  : des policiers sénégalais ont été envoyés aux Îles Canaries afin d’identi- fier leurs compatriotes et de les rapatrier. Un programme en trois phases, Hera I, II et III fut mis sur pied pour renforcer les capacités technologiques et accroître la surveillance aérienne et côtière, identi- fier et rapatrier les migrants sénégalais illégaux et les interroger afin de cerner les failles leur ayant permis de contourner les mesures sécuritaires et d’atteindre l’archipel. Ces efforts déployés conjoin- tement ont, semble-t-il, porté des fruits puisque le Président Wade clamait, lors de son discours de fin d’année, qu’en 2009, aucun départ en pirogue n’avait été enre- gistré. Néanmoins, il soulignait l’impor- tance de maintenir ces efforts. Les conditions de la traversée sont par- fois effroyables. À titre d’exemple, certains groupes de migrants peuvent rester des jours sans manger ni boire, si le temps et la mer n’ont pas été cléments, ou si le capi- taine n’a su maintenir le cap. Certains ne peuvent supporter le soleil, certains ont le mal de mer et meurent déshydratés. Dans ce cas, pour seules obsèques le défunt sera balancé par-dessus bord. Une autre pratique démontrant le désespoir des jeunes migrants est celle que Fall identifie comme le lang avion, ou le squat du train d’atterrissage d’un avion. En 1999, un jeune Sénégalais ayant auparavant réussi à atteindre Lyon de cette façon est mort, en tentant à nouveau sa chance après avoir été rapatrié. Différents événements similaires, impliquant tour à tour Came- rounais, Guinéens, Algériens, Congolais, etc. se sont produits depuis. À la lumière de cette réalité affligeante, l’on peut s’interroger sur les motivations qui poussent ces jeunes africains à se lancer dans des entreprises aussi dange- reuses, voire suicidaires. La note laissée par les deux jeunes Guinéens retrouvés morts dans un avion assurant la connexion Conakry-Gbessia est poignante et révéla- trice de la misère vécue : « vous voyez que nous sacrifions nos vies parce que nous les enfants nous souffrons beaucoup en Afrique  ». Nous sommes donc confrontés au triste constat que les jeunes africains ne voient pas les possibilités d’un avenir lui- sant sur leur terre natale. Pourquoi ? Sarr ne ménage pas ses mots. Selon elle, « la migra- tion de jeunes africains vers l’Europe est d’abord imputable aux politiques de déve- loppement qui depuis la période coloniale ont rendu l’Afrique exsangue ». Si certains pensent que cette affirmation devrait être nuancée, il demeure néanmoins que les peuples africains ont souvent dû assumer des choix qui n’étaient pas les leurs, que ces choix soient ceux du colonisateur ou de l’élite dirigeante. La décolonisation en Afrique ne peut être considérée véritable- ment comme l’acquisition de la liberté de ces peuples, puisque la majeure partie de la société civile demeure prisonnière de conditions de vie consternantes. Une partie du problème peut certes être attribuée à la période coloniale qui chamboula à jamais les modes de vie et de pensée des Africains, mais il serait réducteur d’attribuer au colo- nisateur l’entièreté des maux dont souffre aujourd’hui l’Afrique. En somme, la survie de ce continent ne peut être assurée que par une réelle appropriation de leur État par les citoyens, ce qui passe nécessairement par une démocratie inclusive et la réduction des inégalités sociales et entre genres. Le relèvement de l’Afrique ne sera possible que lorsque celle-ci prendra conscience et assu- mera sa part de responsabilité et du rôle qu’elle doit jouer dans cette émancipation. En 2006, plus de 30 000 migrants originaires de l’Afrique de l’Ouest atteignent les Îles Canaries. Des côtes sénégalaises d’où est partie la majorité d’entre eux, cela signifie un voyage de 1 500 kilomètres en haute mer dans de simples pirogues. Ce voyage d’une durée de sept jours peut constituer un tremplin vers la liberté comme un aller direct pour l’au-delà. En effet, nombreux sont ceux qui n’attei- gnent jamais la terre promise et qui ne reviennent jamais de cette traversée. Vu la clandestinité de l’opération, il est difficile de chiffrer avec exactitude le nombre de gens qui n’ont pu atteindre les côtes des Îles Canaries, mais l’on estime que plusieurs milliers de migrants ont terminé leur périple dans les abîmes de l’océan. Depuis cette année record, le phénomène s’est significativement résorbé grâce aux efforts conjoints de l’Europe et des autorités sénégalaises, mais le président sénégalais Wade soulignait dernièrement qu’il demeure nécessaire de continuer dans cette lignée. Audrey Auclair candidate à la maîtrise en études internationales université laval audrey.auclair.1@ulaval.ca La pirogue est synonyme de gagne-pain pour bien des Sénégalais, mais pour certains c’est un instrument pouvant mener vers une vie meilleure. Audrey Auclair, Sénégal 2007 L’immigration clandestine vers l’Europe L’exode en pirogue : quitter à tout prix
  • 17. 17Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca Les attaques terroristes du 11 sep- tembre 2001 ont eu un impact profond sur la perception du monde par les militaires et politiciens. La nouvelle réalité ne pouvait plus être ignorée; les menaces d’aujourd’hui sont multiples et souvent provenant d’États qui sont fai- bles ou défaillants. L’OTAN c’est donc muni d’une stratégie proactive et d’une force de réponse rapide (La NRF) pour intervenir dans tout conflit régional avant qu’il devienne un problème inter- national. Ceci coïncide avec le chan- gement de la perception de l’Afrique et son importance stratégique, surtout en ce qui concerne quelques États et leur potentiel comme berceau pour le terro- risme, le trafic de drogues, la piraterie, les problèmes de réfugiés et la menace, que sont les conflits régionaux, aux investissements étrangers occidentaux. L’OTAN agit donc sur le continent africain pour promouvoir la stabilité et l’ordre, mais elle le fait en collaboration avec les pays volontaires, l`ONU et les organisations régionales comme Union Africaine et l’Union Européenne. Ceci démontre un effort de coopération pour la sécurité collective, une recherche de synergie pour augmenter l’efficacité des missions, et une manière d’utiliser les compétences spécifiques à chaque entité afin de partager l’expertise et d’éviter la duplication. Active Endeavour et Mediteranean Dialogue L’espace méditerranéen, en plus d’être géographiquement adjacent à l’Europe, se voit être le lieu de transit de 65  % du pétrole et du gaz naturel consommés par les pays d’Europe de l’Ouest. C’est donc pour cela que depuis le Athens Council Statement de 1993, elle est mentionnée explicitement comme intérêt straté- gique pour l’OTAN. En octobre 2001, suite au 11 septembre, une flotte perma- nente portant le nom d’ « Active Endea- vour » a été donnée comme mission de patrouiller la Méditerranée. L’OTAN jumela à cet effort en 2006 le «  NATO Training Cooperation Initiative  ». Ce programme vise au transfert d’exper- tise pour moderniser les structures de défense, une meilleure coordination des institutions militaires et l’entraînement des forces de sécurité des pays du « Medi- teranean Dialogue », un forum de coo- pération entre l’OTAN, la Mauritanie, le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, Israël, la Jor- danie et l’Algérie. Ainsi, aidant les États volontaires à augmenter leur capacité de gestion de la sécurité dans la région. Les opérations en sol africain l’OTAN opta pour intervenir au Soudan mais seulement en tant que force de support. Décision prise suite à un calcul stratégique incluant plusieurs variables comme le besoin de légitimité, la limite de capacités et la compétition avec d’autres organisations de défense collective. Le président de l’Afrique du Sud d’alors, M.  Mbeki, représente bien le désir qu’avait l’Union Africaine d’être l’organisation primaire à gérer le conflit en déclarant au Washington Post : « Il est critiquequelecontinentafricains’occupe de ces situations de conflit, cela inclus le Darfour…. Nous n’avons demandé à personne de l’exté- rieur de fournir des troupes au Darfour. C’est une respon- sabilité africaine et nous pouvons le faire  ». L’OTAN aux prises avec la mission en Afgha- nistan n’était pas en mesure d’agir mais était plus qu’enthousiaste de répondrefavorable- ment à la demande d’aide logistique à l’entraînement de troupes et le transport aérien de matériel et d’effectifs pour la mission AMIS de l’Union Africaine. Depuis, l’al- liance agit en concert avec l’UA, UE et l’ONU au Darfour. Une situation similaire a eu lieu en Somalie, où une mission de l’Union Africaine (AMISOM) a été créée en 2007 pour contrecarrer l’expansion des forces favorables à l’Islamic Courts Union, qui met- taient en danger le gouvernement central faible et étaient jugées favorables au radi- calisme islamiste. Avec le support militaire des États- Unis et logistique de l’OTAN, l’Union Africaine assura le contrôle du pays. La situation dans ces deux pays y est encore précaire, l’instabilité y règne encore, et l’OTAN multipliesesefforts pour venir combler les lacunes des organisations sur leterrainenoffrant son expertise en contreterrorisme, coor- dination et maintien de la paix. Ainsi le dialogue, les programmes d’entraîne- ment et la collaboration sont devenus quasi-permanents entre l’OTAN, l’Union Africaine et le gouvernement Somalien. L’action unilatérale de l’OTAN est appré- hendée par l’État major et ne sera qu’em- ployée en dernier recours. L’opération Ocean Shield Ceci peut être facilement la mis- sion de l’OTAN la mieux connue et la plus médiatisée. Il s’agit de la flotte qui patrouille les eaux environnant la Somalie, où il y a depuis 2008 une recrudescence de la piraterie. Même dernièrement, le monde a pu lire dans les journaux internationaux à propos de la destruction d’un navire pirate par un destroyer danois. Cette mission a récemment été officiellement prolongée jusqu’en 2012 par l’OTAN qui a aussi fait vœu d’une meilleure coordination avec les nombreux navires non-membres de l’alliance dans la région, qui sont venus assurer le transit commercial, de biens et d’énergie, par le canal de Suez. Interopérabilité et coopération L’OTAN fait face au dilemme d’une limite de ses capacités et la volonté d’in- tervenir dans les conflits régionaux avant qu’ils ne deviennent transnationaux. Avec les missions en Afghanistan, Iraq, au Kosovo, et la création de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) par l’UE, l’OTAN a vu ses effec- tifs disponibles diminués énormément. Quelquespartiesdel’Afriqueétantencore très instables et étant des lieux propices au radicalisme, depuis longtemps vu par les généraux de l’OTAN comme un pro- blème potentiellement aussi sérieux que le communisme. L’alliance a donc vu dans les nouvelles organisations régio- nales comme l’Union Africaine des par- tenaires potentiels pour assurer l’ordre et minimiser le développement d’États voyous, comme l’Afghanistan. La coor- dination entre eux pourrait utiliser les capacités de chacune pour atteindre un objectif commun de stabilité tout en limitant la duplication et le gaspillage de ressources. L’ONU, quant à elle, se voit donnée le rôle de légitimateur de ces missions et de maintien de la paix et reconstruction suite à la stabilisation de la région par les forces armées des diffé- rentes alliances. Cette coordination de plus en plus étroite entre les différentes entités internationales nous donne beau- coup d’espoir pour un futur meilleur. Depuis 2005, l’OTAN conduit des opérations en Afrique et sa présence ne fait qu’augmenter. Avec le temps, les effectifs de l’OTAN ont pris position au Soudan dans la région du Darfour, en Somalie sur le terri- toire et dans les eaux avoisinantes, et partout en Afrique du Nord sauf en Lybie et au Sahara occidental. L’OTAN est aussi allée jusqu’à faire un exercice de déploiement massif de ses forces de réaction rapide (NRF) au Cap Vert en 2006. Cependant, la nature de cette présence ne doit pas être perçue comme une menace à la souveraineté des États africains, mais plutôt comme une aide pour encourager la paix et la sécurité dans la région. Arber Fetiu candidat au baccalauréat en études internationales et langues modernes université laval délégation d’otan laval - otan.laval@hei.ulaval.ca arber.fetiu.1@ulaval.ca L’OTAN en Afrique DAMIAN KOTZEV candidat à la maîtrise en études internationales université laval délégation d’otan laval - otan.laval@hei.ulaval.ca damian.kotzev.1@ulaval.ca Des casques bleus de l’ONU à dos de chameau OTAN Le commandant de la NATO Task Force, Commodore Steve Chick, Royal Navy, avec des membres du gouvernement somalien OTAN
  • 18. 18 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca Plus que jamais, on apprend à réflé- chir et à s’intéresser au Brésil, à travers un regard autre que celui de l’exaltation face à sa beauté édénique, de la joie de son peuple, et de l’exotisme de ses para- doxes. Sans doute, l’une des plus magis- trales contradictions brésiliennes est mise en évidence par la figure emblé- matique qu’est le président Lula. Cet ancien métallurgiste et véritable enfant de la pauvreté est devenu le premier pré- sident du Brésil du XXIe siècle. Lors de son discours d’investiture, il déclarait avoir décroché son « premier diplôme », celui de «  président du Brésil  ». L’élec- tion de Lula à la présidence a quand même représenté un symbole de la réussite populaire au pouvoir, comme si la population elle-même gravissait les marches du Palais du Planalto et était entourée d’un souffle d’espoir de voir se concrétiser une impulsion démocra- tique dans le pays. Aujourd’hui, l’éveil brésilien sur la scène internationale - entrepris depuis lesannées1990etmodeléultérieurement par la politique extérieure du président Lula - confère une résonance mondiale au débat quant au candidat qui pourra lui succédera. Celui-ci se chargera du poids imposant d’une destinée mani- feste affirmée dans le drapeau national brésilien et dans l’hymne national répu- blicain. La devise comtienne et posi- tiviste «  ordre et progrès  » du drapeau et les hommages rendus au «  géant  », «  colosse impavide  », dont «  l’avenir reflète cette envergure » embrassent un pays qui a toujours cru en son potentiel, malgré ses difficultés. En définitive, un coup d’œil sur quel- ques événements internationaux semble bien indiquer la recherche brésilienne pour sa place dans le monde. Au bout du compte, comme l’annonçait le quotidien FolhadeSãoPauloenjuin2009,quiaurait pu croire que le pays deviendrait contri- buteur, après de laborieuses années de dette, au Fond monétaire international (FMI) en mettant jusqu’à 4,8 milliards de dollars à la disposition de l’institu- tion ? Faisant référence aux propres mots du président Lula, l’acte représenterait le changement d’une position de pros- ternation « à genoux » par l’affirmation de « l’autorité morale ». Une autorité qui, d’ailleurs, a été bien présente pendant son mandat. Après tout, ce n’est pas tous les jours que quelqu’un gagne le titre de l’homme politique le plus populaire du monde, comme Barack Obama l’a pré- senté en marge de la rencontre du G20 à Londres, en avril 2009. La scène vient de faire le tour du monde comme l’expres- sion métaphorique de la prodigieuse mutation qu’a connue la politique brési- lienne au cours de ces dernières décen- nies, démontrant quand même une cer- taine audace. Plus récemment, la presse internationale a mis en relief l’appui brésilien au programme nucléaire ira- nien, malgré la pression américaine pour aller dans l’autre sens; l’effort pour s’imposer comme acteur déterminant pour la paix dans le monde arabe; son désir de siéger de façon permanente au Conseil de sécurité des Nations Unies; et sa surtaxe sur des produits américains pour forcer les États-Unis à mettre fin aux subventions sur le coton, après avoir appelé le « camarade Obama » à régler le litige commercial à l’Organisation mon- diale du commerce (OMC). En contrepartie, si le Brésil refuse de croire en sa soumission et dépendance à l’échelle mondiale, le slogan «  Brésil pour tous » ne s’est pas encore concré- tisé au niveau interne. L’action diplo- matique «  guidée par une perspective humaniste » comme « un instrument du développement national  » selon le dis- cours présidentiel n’est certes pas une perspective très exaltante. En ce sens, la dette sociale - qui a contribué à faire du Brésil ce qu’il est aujourd’hui : à la fois, un pays riche et un pays pauvre - n’est pas facile à régler. Elle relève de l’histoire. Essentiellement, il fallait aller jusqu’au bout de l’expérience historique pour comprendre l’origine de ses dilemmes. Ainsi, il est inévitable de considérer le processus brésilien d’alter- nances politiques épousant assez étroi- tement les réalités sociales. On ne sau- rait surestimer l’empreinte d’un système économique qui a prévalu durant trois siècles de l’histoire du Brésil, soit depuis sa découverte par les Portugais. Dans un sens, le processus de coloni- sation a contribué à la « coformation » de l’identité brésilienne, esquissant quelque chose de relativement nouveau entermesdesociété,mentalitéetculture, au point de devenir un riche laboratoire pour les interprétations sociologiques et artistiques. La préservation de son unité territoriale, les cycles économiques coloniaux et l’histoire des trois ethnies fondatrices, solidifiant l’architecture sociale, ont forgé une nationalité qui s’est éloignée du projet européen, inau- gurant l’originalité brésilienne basée sur une culture de synthèse et une nation métisse. Par contre, cette originalité n’a pas su produire une autonomie et une dynamique propre et capable, après l’in- dépendance politique, de façonner une nation plus juste, développée et souve- raine. Le régime imposé de l’extérieur a conditionné le Brésil à une place subal- terne, lui conférant un héritage dysfonc- tionnel, soit de servir aux autres et non à lui-même. La formation de la nation brésilienne a été définie en référence à un système « patrimonialiste » et clien- téliste, dans lequel l’alliance entre le pouvoir économique et le pouvoir poli- tique n’a jamais été capable d’intégrer la population, la reléguant à l’exclusion et à la pauvreté. Du point de vue externe, la condition périphérique du Brésil a été consacrée, entraînant une énorme per- plexité et une inquiétude autour de l’af- firmation de son identité et de sa quête du développement. Aujourd’hui, à l’ère de la mondiali- sation et de l’interdépendance entre les États, si le Brésil révèle un compor- tement différent de sa conduite histo- rique, les vieux problèmes et les mêmes thèmes subsistent dans son agenda. Pio Penna Filho, expert en relations inter- nationales, soutient que les objectifs à atteindre demeurent le besoin de rompre avec l’héritage colonial, de surmonter le sous-développement, de moderniser les institutions et de corriger les déforma- tions sociales. À ce propos, vers quelle direction se dirige désormais le Brésil ? Chico Whitaker, l’un des initiateurs des Forums sociaux mondiaux, croit même en un échec du projet de chan- gement. Cela est vrai si l’on pense  au déséquilibre causé par la poursuite prioritaire du remboursement de la dette économique au détriment de celui de la dette sociale; aux efforts commer- ciaux tournés vers l’extérieur, tandis que le marché intérieur reste oublié; aux politiques sociales compensatoires qui ne contribuent pas au développement; ou à l’absence d’une réforme politique pour l’amélioration de la participation citoyenne et l’introduction des mesures progressistes. Certes, l’État est une réalité historique. Il n’existe pas seul et ne se transforme pas par lui-même. On parle au nom d’un État encore en devenir, qui ne veut pas être arrêté dans sa volonté d’exister. Toutefois, ce désir de puissance doit être articulé à une contrepartie interne. Une politique qui place le peuple dans le centre décisionnel et dans la logique directe des activités est indispensable pour rompre avec l’héritage colonial. Il faut aussi que les citoyens entrent en scène, à part entière. Si le passé histo- rique du Brésil ne tend pas naturelle- ment vers une vie démocratique efficace, la démocratie peut se construire grâce à la volonté des acteurs. Alors que tous les débats sur l’avenir du pays tournent autour de son passé, la politique exté- rieure brésilienne ne peut pas rejeter la réalité nationale dans ce qu’elle a de différent, de difficile et d’irréductible. Il ne s’agit pas encore d’agiter le drapeau vert et jaune, sauf pour les matchs de la Coupe du monde de football… Toutefois, les corrections d’itinéraire sont possi- bles, après tout, si « Dieu est brésilien », alors toutes les voies sont ouvertes ! 2010. Les Brésiliens se préparent pour deux événements majeurs qui viendront animer leur vie quotidienne : la Coupe du monde de football et les élections présidentielles. Rien n’est plus représen- tatif. D’un côté se pose l’image folklorique du Brésil comme la terre de Pelé, du Carnaval et des beautés naturelles. D’un autre côté, la patrie de la samba se révèle beaucoup plus complexe que ne le laissent paraître les clichés. Fernanda Kundrát Brasil candidate à la maîtrise en études internationales université laval fernanda.brasil.1@ulaval.ca DOSSIER AMÉRIQUES Le Brésil : entre les étoiles et les comptes avec son passé
  • 19. 19Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca São Paulo est incontestablement la grande métropole sud-américaine. Elle concentre beaucoup d’entreprises transnationales et constitue un nœud, en fonctionnant comme un point de connexion de l’économie régionale avec des réseaux mondiaux. L’image des innombrables tours à bureaux qui com- posent le paysage urbain de São Paulo est répandue partout dans le monde. Toutefois, les conditions de formation de cette métropole restent très peu connues, ainsi que leur articulation avec le cadre économique mondial. La formation de la ville industrielle En 1910, São Paulo comptait une petite population de 375 439 habitants. Il s’agis- sait plutôt d’un point qui assurait la liaison entre les régions de culture du café et le port de Santos, où la produc- tion était négociée et exportée vers les marchés européens et nord-américains. En raison de difficultés techniques, il n’y avait qu’une voie ferrée arrivant à Santos. C’était à partir de la ville de São Paulo que les chemins de fer s’étendaient jusqu’aux plantations de café, dans l’État de São Paulo. À cette époque-là, la monocul- ture du café était la principale source de richesse du pays. À la fin du XIXe siècle, c’était les besoins de la caféiculture de São Paulo qui com- mandaient le rythme de l’immigration au pays, dont les vagues majeures étaient composées principalement des Italiens, des Allemands et des Japonais. La présence des Italiens dans la ville de São Paulo a été fondamentale au début de l’industrialisation, soit comme main- d’œuvre ouvrière soit pour leur savoir-faire apporté au pays. En 1901, environ 90  % des 50  000 ouvriers à São Paulo étaient d’origine italienne. Malgré le fait d’être attirées au pays pour le travail agricole, les mauvaises conditions dans les cam- pagnes de l’État de São Paulo stimulaient l’établissement des familles d’immigrants à São Paulo. De plus, de nombreux Italiens se consacraient à la production manu- facturière, telles celles de vêtements et de chaussures, car il y en avait parmi eux qui connaissaient déjà ces activités dans leur pays d’origine, ce qui favorisait encore plus leur établissement dans la ville. Pendant la Première Guerre mondiale, le Brésil a connu une forte crise dans l’expor- tation du café, car ses principaux marchés consommateurs étaient en guerre. Paral- lèlement, il y a eu une pénurie de produits industriels, puisque le pays était presque complètement dépendant de l’importation des biens manufacturés. Le capital accu- mulé par la caféiculture a permis l’instal- lation massive d’usines à São Paulo. La ville réunissait les principales conditions pour faire déclencher une «  Révolution indus- trielle » :duréseaudetransport(leschemins de fer), du capital et de la main-d’œuvre. Dans les premières décennies du XXe siècle, l’exode rural interne au pays a aussi joué un rôle important dans l’industrialisa- tion, en composant un marché de consom- mation très expressif. De plus, le manque de concurrence a laissé place au développe- mentdenombreusesentreprisesnationales pour la production des biens de consom- mation non durables, tels la nourriture et les vêtements. Au long de la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement fédéral a bâti plusieurs usines de biens de production, notamment la sidérurgie. L’État de São Paulo n’a pas été fortement favorisé par ces investissements, étant donné que son gouvernement s’op- posait au pouvoir fédéral. Cependant, dans l’après-guerre, sa région métropolitaine a été l’endroit ciblé pour l’installation de l’in- dustrie automobile. Durant les trois décen- nies suivant la période de guerre, la produc- tion automobile massive se déclencherait progressivement par la mise en place des principales entreprises de construction automobile, tels Wolkswagen, Chevrolet, Ford et Fiat. São Paulo devient donc une puissante région industrielle, commandée principalementparlecapitalétranger,étant donné que les entreprises transnationales étaient de plus en plus nombreuses. Ce moment correspond à un virage éco- nomique très important dans l’histoire du pays, puisque le modèle de développement adopté privilégiait l’attraction du capital étranger.Eneffet,ils’agitdu« trépied capital étranger, capital national et celui de l’État » : l’État investissait dans la construction de l’infrastructure pour la production et le transport des marchandises, en favorisant certains secteurs économiques nationaux, telle la construction civile; ainsi se créaient les conditions pour la mise en place des entreprises transnationales au pays. Selon l’étude São Paulo 450 anos : de vila a metrópole, publiée en 2004, les données démographiques révèlent la croissance extraordinaire de São Paulo  : en 1930, un million de personnes vivaient dans la ville; en 1950, ce chiffre s’est dupliqué; et en 1960, il attendrait 3,7 millions. Pour loger les gens qui arrivaient de par- tout au pays, il fallait constituer des poli- tiques d’étalement urbain, cependant la solution adoptée semblait être plutôt une antipolitique. En fait, le pouvoir public fermait les yeux sur la transformation des fermes en projets résidentiels, les lotisse- ments irréguliers. Les lots étaient vendus à bas prix aux familles qui se chargeaient du bâtiment par l’autoconstruction. C’est l’origine de la banlieue de São Paulo. La pré- sence de favelas se ferait noter plus tard, à partir des années 1980. La grande métropole tertiaire Dans les années 1990, la concurrence entre les États fédérés prenait son élan afin d’attirer des usines et des entreprises industrielles, ce qui a été nommé « guerre fiscale  ». Il s’agit de l’offre d’exemption d’impôt (entre autres mesures) de la part des gouvernements des États fédérés, et même des municipalités dans un même État fédéré. Un des résultats de ce pro- cessus a été la délocalisation des usines à plusieurs échelles. L’autre côté du phénomène de décon- centration des usines est la concentration des sièges des entreprises industrielles à São Paulo, en fonction de l’existence d’infrastructure de transport et de com- munication, ainsi que de l’offre de main- d’œuvre qualifiée. Ce processus concerne principalement aux tâches de gestion de la production et du capital de l’entreprise. À São Paulo, on trouve actuellement au moins trois agglomérations centrales : le centre-ville, où se concentrent les com- merces de détail et les services juridiques; l’avenue Paulista, le cœur financier et culturel de la métropole; et le pôle Berri- ni-Marginal, le nouveau centre d’affaires. Chacune de ces centralités exprime les conditions de production de l’espace de São Paulo à un moment précis. Dans les années 1950, lorsqu’on trouvait une ville entourée de quartiers, le centre-ville était le noyau de la vie urbaine. L’avenue Pau- lista symbolise la force de l’économie industrielle dans la ville. C’est là qu’on trouve le siège de la fédération des Entre- prises industrielles de l’État de São Paulo. Quant au pôle Berrini-Marginal, il s’agit du cœur de la nouvelle économie, celle de la puissance du capital financier. Les bureaux des principales entreprises qui opèrent au pays se concentrent à São Paulo. Des 72 plus importants établis- sements situés à São Paulo, 54,2  % sont consacréesàlaprestationdeservice,telles les institutions financières, la construc- tion civile et la publicité. Cela démontre l’importance des activités tertiaires dans l’économie de la métropole. En dépit de l’intense modernisation économique dont subit la ville, l’écart social est depuis toujours la marque la plus forte de son paysage, où la richesse prend la forme de petits îlots entourés des lotissements irréguliers et des favelas. À São Paulo, la modernité n’arrive pas à tous ses 11 millions d’habitants. Dans l’après-guerre, l’ascension de l’État providence en Europe et en Amérique du Nord contrastait énormément avec la « modernisation » économique de certains pays du Tiers Monde, selon l’expression de l’époque. En Amérique latine, l’installation des usines a été stimulée par les potentialités du marché de consommation et aussi par les pos- sibilités de faire accroître les taux d’accumulation du capital. C’est l’origine de la croissance de São Paulo, qui est devenue rapidement la grande ville industrielle du pays. Néanmoins, sa force économique actuelle se structure autour du tertiaire, notamment celui attaché à la gestion de la production et du capital. Daniella Almeida Barroso candidate au doctorat en géographie université de montréal daniella.almeida.barroso@umontreal.ca São Paulo, métropole à vocation internationale Le centre-ville de São Paolo. iStockphoto 2010 L’avenue Paulista. iStockphoto 2010
  • 20. 20 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca La Bolivie : noyau de changements Depuis la première victoire électo- rale d’Evo Morales qui a constitué un grand tournant en 2005, la Bolivie est le théâtre d’importants changements. Ayant retrouvé leur voix, les indigènes, les pau- vres et les déshérités perçoivent désormais une meilleure répartition des richesses comme étant un idéal possiblement attei- gnable. En s’opposant aux politiques pro- hibitionnistes en matière de culture de coca, à l’ingérence étrangère (pour ne pas dire américaine) et à la spoliation des ressources naturelles, Morales a fait de la Bolivie le siège des revendications sociales en Amérique latine. Les tensions avec le Brésil entraînées par la nationali- sation des hydrocarbures n’ont pas arrêté Morales dans la poursuite de ses objectifs de réduction des inégalités. En 2007, la nouvelle constitution bolivienne a créé un État plurinational octroyant l’égalité juri- dique aux différentes communautés qui composent le pays. Selon Marcelo Ebrard, « Evo (Morales) est la preuve qu’il est pos- sible d’avoir un gouvernement populaire national qui se préoccupe des intérêts du peuple, respecte les institutions démocra- tiques, en plus de transformer la réalité de la société et de défendre les intérêts natio- naux avec succès ». Ebrard rappelle dans ce sens que la politique sociale mise de l’avant par le gouvernement bolivien est l’une des plus grandes et des plus profondes qu’a connue l’histoire du pays andin. Identifier les ennemis internes et externes En expliquant aux Mexicains comment parvenir à de tels changements sociaux dans leurs pays, Morales a mentionné la nécessité de concentrer les efforts dans l’organisation d’une opposition capable d’identifier les ennemis communs internes et externes. Ces derniers sont inévitablement associés aux mécanismes de gouvernance financière internatio- naux comme la Banque Mondiale (BM) et le Fond monétaire international (FMI). En ce qui a trait aux ennemis internes, Morales n’a pas hésité à employer le terme de vendepatrias, littéralement « vendeurs de patrie » en faisant référence au gouver- nement de Felipe Calderon (Parti d’Action Nationale) et ses alliés, suscitant l’exalta- tion de la foule présente. Il a ainsi déclaré que «  le développement social, la démo- cratie, la dignité, la souveraineté, ne sont possibles qu’en marge de l’impérialisme nord-américain et du capitalisme ». «  En Amérique latine, le socialisme communautaire va s’imposer face au capitalisme; de cela je suis convaincu  » a-t-il ajouté en entrevue. Réélu à la prési- dence bolivienne le 6 décembre dernier, Evo Morales a promis d’approfondir et d’accélérer le processus de changement. Même si son parti, le Mouvement vers le socialisme (MAS) a essuyé un récent scandale de corruption, il n’en demeure pas moins que l’identification des classes populaires à ce chef d’État semble iné- branlable. Engagé dans la défense et la reconnaissance des droits des peuples autochtones, Morales a été nommé lors de son passage à Mexico « Guide moral des nations autochtones d’Amérique latine », titre qui lui a été conféré lors de la céré- monie ancestrale des « Quatre Vents » au cours de laquelle ont participé des repré- sentants de communautés autochtones desÉtatsdeVéracruz,Michoacan,Oaxaca et Sonora. Il est donc compréhensible que la population bolivienne, dont la majorité est d’origine autochtone, soit derrière lui. Ainsi, Morales a-t-il déclaré à La Jornada le 22 février 2010 que les changements survenus au cours des dernières années en Bolivie peuvent servir d’exemple aux autres pays de la région en démontrant qu’il est possible de formuler soi-même des politiques adéquates. Le mandataire bolivien a également signalé que le chan- gement du modèle néolibéral était le plus important défi auquel fait face la région de l’Amérique latine. Dans le même ordre d’idée, il a affirmé que les changements opérés en Bolivie sont irréversibles, dans la mesure où les citoyens boliviens sont conscients de la transformation de leur pays. Il note à cet effet le développement d’une conscience communautaire qui fait en sorte que pour beaucoup de Boliviens, le travail quotidien ne s’effectue plus seu- lement pour la famille immédiate mais bien pour le bien-être de la communauté. «  Donner plus d’importance au peuple qu’à l’oligarchie », telle est la recomman- dation que Morales émet à l’égard de ses homologues de la région. Réformes constitutionnelles et droits des autochtones Depuis le début des années 1980, des pas se sont effectués vers le multicul- turalisme dans presque tous les pays d’Amérique latine. Pensons au Brésil, au Panama, à l’Équateur, à l’Argentine et à la Colombie. Cependant, les avan- cées ne sont notables que dans les cas où il y a eu une participation indigène suffisante dans l’élaboration de ces nou- velles normes. Les réformes partent d’un nouveau concept de l’État multieth- nique et pluriculturel qui a permis aux communautés marginales de sortir de la sphère privée pour gagner du terrain dans la sphère publique. Cependant, les nouvelles constitutions ne peuvent pré- tendre plus que de faciliter ce passage de la sphère privée à la sphère publique dans la mesure où ce sont les États qui contrôlent la mise en pratique des idées de droits basés sur la culture. Ainsi, le multiculturalisme crée, en Amérique latine, des systèmes juridiques hybrides où des concepts comme autodétermina- tion, égalité et territoire acquièrent de nouvelles connotations. La Bolivie à la source du développe- ment du mouvement autochtone en Amérique latine  Depuis leur participation comme soldats à la guerre du Chaco contre le Paraguay (1932-1935), les indigènes de Bolivie se sont organisés en divers syn- dicats agraires. Durant les années 1950 et 1970, les gouvernements en poste ont tenté d’incorporer ces secteurs au mou- vement syndicaliste officiel. Cependant, il ne faut pas oublier les Kataristes – dont le nom s’inspire du personnage histo- rique de Tupak Katari, indien qui s’op- posa farouchement aux colonisateurs espagnols – qui représentent le premier mouvement massif de revendication indigène (1860-1870). De retour après la réforme agraire de 1953, les Kataristes ont repris la tête du mouvement indigène à l’échelle continentale. Plus récemment, la Marcha Indigena por el Territorio y la Dignidad (1990) s’est convertie en un élément extrêmement important dans la valorisation de l’identité nationale boli- vienne en plus de cristalliser un change- ment du paradigme dominant de la com- position sociale. Aujourd’hui, le Guatemala reconnaît à ses communautés indigènes le droit d’avoir une culture propre, la Colombie reconnaît la « diversité ethnique et cultu- relle », le Pérou quant à lui reconnaît la «  pluralité ethnique et culturelle  », le Panama le «  pluralisme linguistique  » et le Mexique une timide «  composition pluriculturelle  », alors que la Bolivie se déclare multiethnique et pluriculturelle, et ce, jusque dans son nom officiel. Il est doncnormalquelesmilliersdepersonnes qui sont venues à Coyoacan acclamer Evo Morales le 21 février dernier aient vu en lui l’image d’un peuple qui s’est reconnu, avoué et propulsé dans la lutte en faveur de la reconnaissance des droits des autochtones. Alors, déjà la veille de la réunion du Groupe de Rio à Cancun, on appelait à l’unité des peuples d’Amérique latine. Dès le lendemain, cet appel fut tra- duit par l’adoption d’un projet de création d’un organisme régional qui unirait les voix des peuples du Sud du Rio Grande à la Terre de Feu. Le dimanche 21 février 2010, veille du sommet du Groupe de Rio à Cancun, la plaza Hidalgo de la délégation de Coyoacan, au Sud de la capitale mexicaine a revêtu le temps d’un après-midi les couleurs de la Bolivie, de Tupak Katari et de la lutte autochtone. Des milliers de personnes se sont soumises aux imposants contrôles de sécurité afin d’accueillir le président bolivien Evo Morales. Invité par le maire de la mégapole, Marcelo Ebrard (Parti Révolutionnaire démocratique), Morales s’est d’abord rendu à l’Alameda Central afin de rendre hom- mage à Benito Juarez, premier président autochtone d’Amérique. Après avoir reçu symboliquement les clefs de la ville de Mexico, le président bolivien s’est ensuite rendu sur les lieux où s’étaient donné rendez-vous non seulement des dizaines d’organisations pro-autochtones, mais aussi plusieurs représentants des secteurs populaires. Et là a débuté un discours qui, selon certains, aura une portée historique. Les peuples autochtones d’Amérique latine Vers la libération ? Sofia Maaroufi candidate à la maîtrise en sciences politiques université de montréal sofia.maaroufi@umontreal.ca Evo Morales avec une autochtone après son discours à la Plaza Hidalgo. Claudio Valle Evo Morales pendant son discours sur les peuples autochtones à la Plaza Hidalgo. Claudio Valle
  • 21. 21Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca Bref historique de l’intégration centraméricaine Les tentatives d’intégration multilaté- rale dans l’isthme centraméricain ont été nombreuses et empreintes de dynamisme au cours des dernières décennies. En 1951, soit plus de cent ans après que le projet politique d’une confédération des États centraméricains ait échoué, l’Organisa- tion des États centraméricains (ODECA) est créée. Ce regroupement régional com- prend le Costa Rica, le Guatemala, le Nica- ragua, le Honduras et le Salvador. L’un des objectifs de l’ODECA était d’en arriver à établir un marché commun entre ces cinq États membres, objectif qui est partielle- ment atteint le 13 décembre 1960 lors de la signature du Traité de Managua. C’est à cette occasion que les États faisant partie de l’ODECA, le Costa Rica en moins, ont approfondi le processus d’intégration en créant le Marché commun centraméricain (MCCA). Jusqu’en 1966, le MCCA fonction- nait très bien, à un point tel que les pays membres avaient commencé à instaurer un tarif extérieur commun et que 90 % des échanges intrarégionaux étaient désormais exempts de tarifs douaniers. Les décennies 1970 et 1980 ont par la suite sérieusement freiné les avancées de l’intégration centraméricaine. La Guerre du football de 1969 entre le Salvador et le Honduras a notamment contribué à inter- rompre, à partir de 1973, le fonctionnement de l’ODECA et du MCCA pour une période de 20 ans. En plus du fait que le Honduras se soit retiré du marché commun en 1970, ces deux décennies ont aussi été marquées par des guerres civiles au Guatemala, au Nicaragua et au Salvador. À la suite de ces décennies de perturba- tion, six pays centraméricains ont créé, en décembre 1991, un nouveau forum pour faire avancer le processus d’intégration dans l’isthme  : le Système d’intégration centraméricain (SICA). Entré en vigueur en janvier 1993, ce système - qui incarne l’évo- lutiondel’ODECAetduMCCA-regroupesix paysd’Amériquecentrale,soitleGuatemala, le Belize, le Honduras, le Salvador, le Nica- ragua, le Costa Rica et le Panama, en plus d’avoir accordé le statut d’État associé à la République dominicaine. Le SICA agit aujourd’hui à titre d’organisation parapluie et regroupe des institutions aux vocations économiques, politiques et juridiques. Bien que les principes du MCCA continuent de guider le processus d’intégra- tion régionale, le SICA est loin d’être intégré au point de mériter pleinement la qualification de «marché commun». Pour ce faire, un accord devrait d’abord per- mettre à ses pays membres de faire circuler librement biens, services, travail et capital, ainsi que d’imposeruntarifextérieurcommun.Pour l’instant, l’intégration commerciale cen- traméricaine ressemble essentiellement à une simple zone de libre-échange impar- faite et dotée de tarifs extérieurs communs partiels. La région a maintenant comme objectif d’avancer vers l’établissement de l’étape supérieure de son intégration éco- nomique : l’union douanière. Cette forme d’intégration aurait la vertu d’établir la libre circulation des biens et services, ainsi qu’un tarif extérieur commun qui com- prendrait toutes les parties. Cette éven- tualité faciliterait grandement les négo- ciations avec l’Union européenne dans la perspective de la signature d’un Accord d’association avec la région centraméri- caine dans son ensemble. Modalités de l’Accord d’association L’année 2010 pourrait bien marquer une avancée majeure tant pour la coopération entre les deux régions que pour le pro- cessus d’intégration dans l’isthme centra- méricain. En effet, l’arrivée de José Luis Rodriguez Zapatero - chef du gouverne- ment espagnol - à la présidence tournante de l’Union européenne a déjà permis de donner un nouveau souffle aux négocia- tions entre l’Europe et l’Amérique centrale afin d’en arriver à la signature d’un Accord d’association stratégique bilatéral. D’une manière concrète, cet éventuel accord serait divisé en trois piliers : le com- merce, la politique et la coopération. Pour ce qui est de l’aspect commercial, il s’agi- rait d’instaurer une zone de libre-échange entre les deux régions, conformément aux dispositions de l’OMC. La composante politique, quant à elle, viserait à établir un dialogue et à faciliter les échanges d’in- formation entre l’Amérique centrale et l’UE par l’établissement de mécanismes institutionnalisés. Cela pourrait faciliter l’adoption de positions communes aux deux régions à propos de sujets d’intérêt international. Au niveau de la coopération, on entend notamment les compensations financières aux industries affectées par le libre-échange, le développement de programmes de santé et d’éducation, le développement des infrastructures, la pré- occupationdelasituationdespeuplesindi- gènes, la lutte contre le terrorisme, l’aide au développement, la protection de l’environ- nement, l’énergie et les transports. Loin d’avoir une vision strictement éco- nomique de son Accord d’association avec l’Amérique centrale, l’Union européenne souhaite ainsi rendre l’entente condition- nelle à une plus forte intégration générale de la région centraméricaine. Il faut donc comprendre qu’un tel accord, en plus de créer une nouvelle dynamique de coopéra- tionentrelesdeuxrégions,auraitpoureffet direct de renforcer le degré d’intégration au sein des pays de l’isthme centraméricain. Si la volonté d’intégration économique fait l’unanimité parmi les membres du SICA, il n’en va toutefois pas de même pour ce qui est de l’intégration politique et juridique, d’où la difficulté qu’ont les pays centramé- ricains à parler d’une même voix. Ces der- niers devront pourtant réussir à régler plu- sieurs de leurs différends, faute de quoi ils pourraient se voir contraints de renoncer à tous les bénéfices que ledit accord pour- rait avoir pour la région. Tel que l’illustre l’exemple de l’Union européenne, ces trois dimensions de l’intégration représentent un gage de stabilité, en plus d’être cru- ciales pour le développement économique et social de la région. Dès lors, il est plus aisé de comprendre les motivations de Bruxelles de conclure un accord avec une «région» dans son ensemble plutôt que de négocier séparément avec une multitude de pays hétérogènes. L’Amérique centrale possède déjà des accords commerciaux bilatéraux avec le Canada, les États-Unis et le Mexique, mais cette formule d’Accord «d’association» s’avère inédite. Lesnégociationsportantsurcepotentiel accord entre l’Union européenne et l’Amé- rique centrale ont été lancées à San José au Costa Rica en octobre 2007, soit plus d’un an après la tenue du Sommet de Vienne de mai 2006 - qui a réuni l’Union euro- péenne, l’Amérique latine et les Caraïbes - où l’on avait officiellement annoncé qu’il y aurait des pourparlers afin d’en arriver à un accord. Si aucun obstacle majeur ne vient perturber le reste du processus de négociations, la signature de l’Accord devraitseréaliseràl’occasionduprochain Sommet regroupant l’Union européenne et l’Amérique latine et les Caraïbes, qui aura lieu dans la capitale espagnole les 18 et 19 mai 2010. Reste à voir si les efforts d’intégration économique, politique et juridique faits par les pays membres du SICA seront conformes aux exigences de l’Europe pour qu’un Accord d’association puisse être conclu. Le bloc économique centraméricain passe plutôt inaperçu au beau milieu d’uncontinentdominéparl’ALENAetleMercosur.Saconsolidations’avère pourtant fondamentale pour assurer son insertion au sein de l’économie internationale. C’est dans cette optique que l’Amérique centrale négocie actuellement les modalités d’un «Accord d’association» avec l’Union européenne, qui ne pourra toutefois voir le jour que si la région centramé- ricaine parvient à approfondir le niveau de son intégration. État de l’intégration centraméricaine En route vers un accord entre l’Amérique centrale et l’Union européenne Présidents des cinq pays d’Amérique centrale au moment de l’établissement du siège de l’ODECA au Salvador en 1956. Logo officiel du SICA : Paix, développement, liberté et démocratie. Site officiel du SICA Site officiel du SICA GABRIEL COULOMBE candidat à la maîtrise en études internationales université laval auxiliaire de recherche au centre d’études interaméricaines gabriel.coulombe.1@ulaval.ca
  • 22. 22 Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010www.regardcritique.ulaval.ca L’Arctique est depuis l’arrivée au pou- voir du gouvernement Harper, une prio- rité nationale évidente et peu nombreux sont ceux qui peuvent se permettre d’en critiquer les efforts. Le nord du Canada a été depuis des décennies, le théâtre d’un intérêt ambivalent de la part d’Ottawa, mais voilà qu’avec la réalité des change- ments climatiques et la fonte de la calotte polaire, la région arctique devient rapi- dement la dernière frontière géopolitique à contrôler. Les enjeux y sont d’ailleurs très grands  : le quart des réserves mon- diales d’énergies fossiles non découvertes s’y trouverait, sans parler des possibilités d’exploitations des autres ressources natu- relles et minérales dans la région et l’ouver- ture probable à la navigation du passage du Nord-Ouest d’ici quelques années. Canada : une première véritable politique arctique Voilà pourquoi les questions de souve- raineté en Arctique ont refait surface dans les milieux médiatiques, politiques et aca- démiques depuis les dernières années. Au Canada par exemple, le gouvernement s’est doté en 2009 de sa première véritable poli- tique arctique à travers la Stratégie pour le Nord, laquelle se divise en quatre volets  : exercice de la souveraineté, promotion du développement économique et social, protection de l’environnement arctique et amélioration et délégation de la gouver- nance dans le Nord. Auregretdesopposantsdugouvernement conservateur, ces quatre piliers sont bien plus que des promesses. L’annonce de l’ac- quisition au coût de 720 millions de dollars d’un nouveau brise-glace de classe polaire, le NGCC John G. Diefenbaker, ainsi que de nouveaux navires de patrouille arctiques/ côtiers, l’application de la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques à toute la zone économique exclusive (ZEE) de 200 milles marins, l’investissement de 40 millions de dollars additionnels, sur quatre ans, pour financer des études scientifi- ques visant à déterminer l’étendue totale du plateau continental cana- dien en vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), la création de l’Agence de développement économique et social duNord(CanNor),ainsiquel’engage- ment à créer un centre de recherche dans l’Arctique ainsi que la création d’aires de conservation et de parcs nationaux, dont l’agrandissementduparcnationalNahanni, sont d’autant d’éléments démontrant le sérieux avec lequel Ottawa entend ne plus se contenter de la traditionnelle vision d’est en ouest qu’on a du Canada. Accords et désaccords au nord du 60e parallèle Le Canada n’est toutefois pas seul à vou- loir démontrer que le Nord fait partie inté- grante de son territoire, voire de son iden- tité. Les États-Unis, malgré une longue histoire de collaboration nordique avec le Canada, continuent de contester l’ar- gument canadien selon lequel les eaux de l’archipel arctique seraient des eaux inté- rieures canadiennes. Éternel défenseur de la liberté de navigation, mais n’ayant toutefois pas encore ratifié la CNUDM, Washington estime plutôt que le passage du Nord-Ouest serait un détroit interna- tional. Et ce n’est pas uniquement cette question qui différencie les positions canadiennes et américaines. En effet, le matin même de la rencontre de Chelsea, Hillary Rodham Clinton avait critiqué le choix du Canada de ne pas avoir invité tous les membres ayant des intérêts légi- times dans la région, faisant référence à la Finlande, la Suède, l’Islande et la Confé- rence circumpolaire inuit. Notons tout de même que lors d’une entrevue avec CTV après la rencontre, la secrétaire d’État Clinton a insisté sur le fait que s’il y avait un incident majeur dans la région, ce sont finalement les États côtiers arctiques qui auraient la responsabilité d’intervenir, et non pas les autres. L’appa- rente discorde entre Ottawa et Washington ne vient enfin peut-être que rappeler la tra- dition voulant que les deux États s’enten- dent sur leur désaccord mutuel à propos du statut du passage du Nord-Ouest. Une première rencontre des États côtiers arctiques avait eu lieu en 2008 à Ilulissat au Groenland, laquelle avait été suivie par une vague de protestations des autres membres du Conseil de l’Arctique, laissés alors pour contre. Ces derniers avaient été plus tard assurés que ce type de rencontre ne se reproduirait plus. Ensuite, alors que le représentant russe Sergey Viktorovich Lavrov était davantage concerné par les attentats qui s’étaient produits à Moscou le matin même, son homologue norvégien Jonas Gahr Støre allait dans la même direc- tion que les États-Unis en affirmant qu’il envisageait mal que les trois États absents n’en fussent pas heureux. Selon lui, la rhé- torique et les tensions entourant la région devraient diminuer afin de favoriser un esprit de collaboration. Rhétorique, discours et politique arctique canadienne Cetterhétoriqueetlesnombreuxdiscours, principalement canadiens et russes, qui pour certains, nous ramènent amèrement au temps de la Guerre froide, font en effet partie de la réalité arctique d’aujourd’hui. Si plusieurs, même madame Clinton, s’enten- dent sur le fait que certaines questions rela- tives à la sécurité publique, la délimitation des plateaux continentaux ou la recherche et le sauvetage ne concernent avant tout que les États côtiers arctiques, a priori, les États-Unis, le Canada et la Russie, tous sont conscients que l’organisation même de cette rencontre à l’initiative du Canada avait d’autres objectifs que la gestion et la coopération circumpolaires. Les communiqués de presse intitulés « Le ministre Cannon met en valeur le lea- dershipcanadienàlaRéuniondesministres des Affaires étrangères des États côtiers de l’océanArctique »oulamentionquasiquoti- dienne que « la souveraineté du Canada sur l’Arctique est reconnue depuis longtemps et s’appuie sur des fondements historiques  » ne sont que deux exemples démontrant que derrière une apparente unité politique arc- tique se cache le fait que le Canada utilise toutes les tribunes possibles pour clamer haut et fort sa vision souveraine du Nord canadien. Qu’il s’agisse des différentes ini- tiatives et annonces nationales d’Ottawa ou des propos des représentants du gouverne- ment à l’international, les questions de sou- veraineté arctiques sont pour le Canada et sa population très sensibles. Un sondage en mars dernier, de Léger Marketing, le démontre d’ailleurs claire- ment. Selon ce dernier, la moitié des Cana- diens croient que nous devrions utiliser notre puissance militaire afin d’affirmer notre souveraineté dans l’Arctique. Selon le sondage, les Canadiens âgés de moins de 35 ans et les Québécois (38 %) seraient moins en faveur de l’option militaire, favorisant plutôt une approche diplomatique. Néan- moins, selon David Scholz, vice-président chez Léger Marketing, le « Canada n’est pas reconnu pour son désir d’exercer sa puis- sancemilitaire,maislorsqu’ils’agitduNord, nous sommes davantage prêts à utiliser la force militaire que des moyens légaux ou diplomatiques », et, « même le Québec, nor- malement moins intéressé par les conflits, est plus enclin envers cette possibilité ». La rencontre du G5 arctique aura donc eu plusieurs effets, à commencer par le soulignement de la tension grandissante entourant la nouvelle région géopoli- tique arctique, notamment en raison des propos des représentants des États-Unis et de la Norvège, qui comme ceux de la Russie et du Danemark se sont absentés de la conférence de presse à laquelle ils devaient participer. Fort à parier que cette fois, il est vrai qu’il s’agira d’une dernière pour ce type de rencontre, compte tenu du mécontentement des membres absents et présents du Conseil de l’Arctique. Le ministre Cannon aura donc permis de démontrer, une fois de plus, à quel point son gouvernement est sérieux à propos de l’Arctique. Cependant, il aura désormais à prendre véritablement au sérieux les autres États et communautés nordiques dans ses prochaines décisions à propos de la vision circumpolaire canadienne. (Chelsea, QC) Le 29 mars dernier, s’est tenue sous l’invitation du Canada, la réunion des États côtiers de l’Arctique à Chelsea, non loin d’Ottawa. En marge de la rencontre des ministres des Affaires étrangères du G8, ce « G5 arctique » a donné l’occasion au Canada, aux États-Unis, à la Russie, au Danemark ainsi qu’à la Norvège, de discuter de questions uniques à la réalité des États côtiers de l’océan Arctique. Néanmoins, si l’intention du Canada était de réchauffer le climat des relations politiques arctiques, il semble plutôt que ce sont les dissensions par rapport aux sensibles questions de souveraineté de la région qui ont pris le dessus. Les déclarations de la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton en matinée, concernant le choix du Canada d’exclure les autres membres du Conseil arctique, ainsi que la seule présence du ministre Lawrence Cannon à la conférence de presse clôturant la rencontre, sont autant de preuves que le climat politique arctique s’est refroidi à Chelsea. DOSSIER ARCTIQUE PHILIPPE GENEST candidat à la maîtrise en études internationales université laval genest.philippe@gmail.com REPORTAGE Réunion des États côtiers de l’Arctique Les représentants du groupe de l’Arctic 5 Philippe Genest
  • 23. 23Volume 5 - Numéro 2 - Avril 2010 www.regardcritique.ulaval.ca Nivat était donc venue nous entretenir de sa conception du journalisme, métier qu’ellepratiquedepuis10ans,déplorantdu mêmecoupladynamiquedefermetureetle manque de curiosité ambiant des sociétés occidentales face à l’actualité internatio- nale. La particularité de la journaliste, afin de mettre en scène les communautés touchées par les conflits qu’elle couvre, est de s’immerger en leur sein en leur donnant la parole, pour mieux les décrire et mieux comprendre la réalité de la guerre du point de vue de ceux qui la subissent. Beaucoup de temps, des semaines voire des mois, lui sont donc nécessaires pour raconter le ter- rain d’une façon qui ne se veut pas celle des journalistes en général, qui accompagnent le plus souvent les armées occidentales, se mettent en vedette, ou encore, travaillent de l’extérieur du terrain où se déroule pourtant le conflit. Dans un monde où règnent les chaînes d’information continue, le processus de production de l’information s’est gran- dement accéléré, ne laissant plus place à l’explication des conflits. C’est pourtant précisément ce qu’Anne Nivat se donne la mission de faire, insistant sur la pers- pective tellement différente qu’offrent le temps et le vécu. À ses yeux, en l’absence de journalistes sur le terrain, comme dans le cas de la guerre en Tchétchénie qui a sans doute été la moins média- tisée, c’est un peu comme si cette der- nière n’avait jamais existée; les images n’ayant pas été captées, et du même coup, jamais été présentées au monde qui ne s’en est pas soucié. Nivat, pour- tant, couvre le conflit tchétchène sans relâche depuis 10 ans, retournant sans cesse dans cette région pour rendre la réalité des tchétchènes, comme elle a décidé de le faire en Irak au lendemain du 11 septembre 2001. Cela implique bien entendu de partager avec les popu- lations victimes de la guerre les mêmes dangers, provoquant un respect mutuel facilitant les longues conversations qui permettent de rendre la réalité. Une autre des missions que se donne Anne Nivat est celle d’inverser les regards de ses lecteurs et auditeurs, de ceux qui ne vivent pas la guerre; une opération rendue possible souvent grâce aux entretiens qu’elle vit avec des gens qui jamais n’ont la parole, qui ne sont pas des officiels, et qui, malgré tout, vivent la guerre. Ce qu’elle appelle l’in- version des regards permet de se défaire des idées reçues envers des sociétés dif- férentes des nôtres, à une époque où le média télévisuel engendre, au contraire, la peur de l’autre et les stéréotypes. Marie-Aude Lemaire (marie-aude.lemaire.1@ulaval.ca) Dans une conférence organisée par la Chambre de com- merce de Québec avec la collaboration de la SORIQ, l’hono- rable Lawrence Cannon, ministre des Affaires étrangères du Canada, a présenté le 19 mars dernier à Québec les enjeux liés à la réunion des ministres des Affaires étrangères du G8 qui a eu lieu à Gatineau le 29 et 30 mars derniers. Cette rencontre précède la tenue du Sommet du G8 qui se tiendra à Muskoka (Ontario) en juin prochain. Originaire de Québec et diplômé de l’Université Laval (maî- trise en administration des affaires), le ministre Cannon s’est concentré dans son discours sur les thèmes économique et de sécurité, et sur l’étroit lien existant entre les deux. Dans un premier temps, M. Cannon a rappelé que de tous les pays du G8, le Canada était celui qui avait le mieux traversé la crise économique et qui s’en était le mieux sorti. La croissance de 5 % au 4e trimestre de 2009 en est d’ailleurs la preuve. Le ministre a également fait part des progrès du Canada sur la scène économique internationale en mentionnant que sous son mandat, le pays avait ouvert 6 bureaux commerciaux en Chine et 3 en Inde, en plus de réaliser 5 accords de libre- échange, notamment avec la Colombie, le Pérou, la Jordanie et le Panama. Sur le plan de la sécurité, le ministre Cannon a souligné l’importance pour le Canada de soulever trois sujets lors de sa rencontre à Gatineau avec ses homologues du G8. Le premier servira à préparer le Sommet mondial sur la sécurité nucléaire qui aura lieu en avril à Washington ainsi que la Conférence d’examen de 2010 des parties au Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) qui se tiendra d’ici mai prochain à Genève. Le deuxième thème de sécurité cher au ministre concerne la relation entre le Pakistan et l’Afghanistan où le Canada soutiendra les échanges économiques entre les deux régions ainsi qu’un rapprochement et des pourparlers entre les régions frontalières des deux États. Le dernier thème abordé fait référence aux pays et régions fragiles du monde qui ne peu- vent assurer leur propre sécurité comme le Yémen, les pays du Sahel, l’Afghanistan, Haïti et d’autres pays des Amériques. Philippe Genest philippe.genest.1@ulaval.ca Mme Suzanne Éthier, déléguée géné- rale du Québec à Tokyo, a présenté briè- vement la nouvelle conjoncture éco- nomique au Japon et les perspectives offertes par ce marché aux entreprises québécoises. Elle a mis en relief les nombreux changements apportés par le nouveau parti au pouvoir, qui sou- haite réviser les programmes sociaux et le fonctionnement de l’économie. Alors que le Japon est à un moment où sa population est vieillissante et où son endettement augmente, le pays cherche à investir dans les nouvelles sphères de croissance, comme l’environnement et les énergies vertes. On remarque à ce propos que le Japon démontre sa volonté de se positionner comme leader mondial de la lutte aux changements climatiques. Plusieurs compagnies québécoises ont compris que ce pays était un pôle d’at- traction exceptionnel et y ont du succès. L’Université Laval y a également une bonne réputation, particulièrement dans le domaine de la foresterie, des neutra- ceutiques et des aliments fonctionnels. Alexandre Morin alexandre.morin.4@ulaval.ca La Société des relations internationales de Québec (SORIQ), organisme à but non lucratif et à caractère non partisan, a pour mission de promouvoir l’intérêt du public à l’égard des relations internationales.   Tribune internationale reconnue, elle permet aux milieux économique et poli- tique, à la haute fonction publique, aux uni- versitaires ainsi qu’aux milieux de la culture et des communications d’avoir un accès pri- vilégié à une information et des contacts de qualité nécessaires à une compréhension juste de ces enjeux et à une action efficace sur la scène internationale.   La SORIQ sert de forum où l’on aborde et analyse, par des exposés, des discussions et des débats, toutes les dimensions des rela- tions internationales. Dans le cadre de l’une de ses grandes conférences, lundi le 15 mars dernier, l’Institut québécois des hautes études internationales (HEI), avec la participation, entre autres, de la SORIQ, pré- sentait Anne Nivat. Cette journaliste française, au passage en sol québécois fortement média- tisé, était venue nous témoigner du contexte journalistique difficile sévissant à notre époque en Occident, et dans lequel elle a choisi de faire cavalier seul pour mieux livrer les enjeux se rapportant aux grands conflits qu’elle couvre. Anne Nivat – docteure en science politique, grand reporter et auteure, correspondante à Moscou des quotidiens et magazines Ouest-France, Le Soir, Le Point ainsi que pour RMC, collaboratrice régulière de l’International Herald Tribune, du New York Times et du Washington Post. Lawrence Cannon – ministre des Affaires étrangères du Canada Suzanne Éthier déléguée générale du Québec à Tokyo « Tchétchénie, Irak, Afghanistan : comment couvrir ces nouvelles croisades ? » Grand témoin de la Francophonie Un parcours diplomatique exemplaire Calendrier des activités à venir Le mercredi 21 avril 2010 11h45 Catalogne, une nation à valeur ajoutée  Par Josep-Lluis Carod-Rovira, vice-président de la Catalogne et responsable des relations internationales Fairmont Le Château Frontenac Salon Petit-Frontenac 1 rue des Carrières, Québec Automne 2010 (à déteminer) Droits humains - occidentaux ou universels ? À la recherche de racines communes Par Peter Leuprecht, ancien secrétaire général adjoint du Conseil de l’Europe
  • 24. • Des disciplines piliers : science politique, droit, économie et gestion internationale • Des séminaires thématiques qui intègrent ces disciplines • Un milieu de recherche stimulant • L’expertise de professeurs réputés et de diplomates en résidence • La possibilité d’étudier à l’étranger pour une session • Des stages dans des organismes prestigieux • Un taux de placement de 90% • Un passeport pour une carrière internationale MAÎTRISE ET DOCTORAT EN ÉTUDES INTERNATIONALES Une formation pluridisciplinaire au service des enjeux globaux contemporains depuis plus de 20 ans Le programme d’études de l’équipe de Regard critique informez-vous : www.hei.ulaval.ca